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La restauration était urgente

Nizar Halloun
30 janvier 2018
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La restauration était urgente
Les bois ont été intégralement redorés suivant la technique du bolus. Le bolus, généralement de la terre d’Arménie, est appliqué sur la surface à dorer. Sa couleur et la souplesse du matériel donne plus d’éclat à l’or apposé par-dessus.

Le roi Abdallah de Jordanie annonçait en 2006 qu’il lançait un projet
de rénovation général pour Al Aqsa (comprendre ici toute l’esplanade
et ses monuments). Il devait permettre la réfection du système électrique, de la sonorisation, l’éclairage, le drainage de l’eau en hiver et bien sûr la restauration du Dôme du Rocher et de la mosquée
Al Aqsa. Montant des travaux ? 6 millions d’euros d’après le site officiel du roi. Durée des travaux : six ans. Bassam il-Halaa’, directeur des projets, revient pour TSM sur les travaux dans le Dôme du Rocher.


Nous avons placé les échafaudages pour atteindre le plus haut point du Dôme du Rocher, l’état du Dôme était terrifiant”, s’exclame de sa voix grave et ponctuée Bassam il-Halaa’, directeur des projets de constructions d’Al-Aqsa. “Je travaille dans ce lieu depuis 39 ans, confie-t-il, et à chaque fois que je mets les pieds dans le Dôme du Rocher je découvre quelque chose de nouveau.”

Le bureau de il-Halaa’, se trouve à deux pas du Dôme du Rocher ; derrière son bureau, des répliques de fenêtres en plâtres, tesselles et feuilles d’or soigneusement recouvertes d’une feuille de papier. “Le Dôme du Rocher pour être précis, explique il-Halaa’tout en débarrassant son bureau de photos en noir et blanc de l’édifice, est constitué en réalité de deux dômes : l’un interne et l’autre externe, avec un espace entre les deux de 80 cm. Le côté le plus touché, au nord-ouest, est le plus exposé à la pluie. Les ornements en plâtre se décollaient. Du bas on ne pouvait rien voir. Les fuites ont fini par toucher les mosaïques et les plaques de marbres sur les huit côtés de la structure.”

Décision fut prise. Il fallait urgemment restaurer l’ensemble de la structure. À la tête des travaux de restauration des mosaïques on trouve le dr Abu Eisheh, accompagné de trois spécialistes italiens et de trois apprentis palestiniens.

 

Le sanctuaire ayant été rénové, son entretien nécessite de nouveaux moyens.
Cet ouvrier époussette le “reliquaire” qui couvre, selon la tradition musulmane, la trace de pied du prophète Mahomet. A noter que la grille est, elle, de facture croisée.

 

Abu Eisheh est consultant pour les restaurations des mosaïques dans les deux bâtiments, la mosquée Al-Aqsa et le Dôme du Rocher. Le projet de restauration des mosaïques d’Al-Aqsa est une initiative du Royaume Hachémite de Jordanie, en coopération avec le Ministère des Affaires religieuses et des Waqfs. Son budget est gardé secret. Il a débuté en 2010 avec un double objectif : le premier était de former une équipe de restaurateurs qui participerait aux restaurations et assurerait le maintien après les travaux. Au programme : cours théoriques et pratiques et cours sur l’histoire du sanctuaire. Le second était la longue période de restauration précédée par une étude minutieuse.

Lire aussi : En passant par l’esplanade des mosquées (3e partie)

“Les mosaïques que nous voyons remontent à la période omeyyade, explique Abu Eisheh, en prenant en compte évidemment les différents ajouts et retouches et autres interventions au cours de l’histoire ancienne et moderne. Plusieurs projets de restauration se sont succédés au cours de l’Histoire, de la période fatimide à l’actuelle avec le Royaume Hachémite de Jordanie actuel gardien du sanctuaire. Nos interventions ont été faites sur les deux structures, le Dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa.” Les chiffres indiquent l’ampleur du chantier à accomplir, puisqu’il n’est pas tout à fait terminé. Le Dôme du Rocher est recouvert d’un total de 1.375 m2 de mosaïques qui ornent la bande supérieure et inférieure du Dôme, appelées en arabe le “cou du Dôme” ; par ailleurs les mosaïques tapissent également le cercle du déambulatoire interne encerclant le rocher et l’octogone interne sur 560 m2. La mosquée Al-Aqsa contient 6 fois moins de mosaïques que le Dôme du Rocher, soit un total de 255 m2.

Du fait de la masse de travail, le bureau des restaurations a fait appel d’abord à une équipe de spécialistes italiens, “mais il ne faut pas oublier qu’une partie importante du projet était de former une équipe locale en offrant des cours théoriques concernant la préservation de l’héritage culturel en général, les techniques de restauration des mosaïques en particulier, ainsi que des sessions pratiques d’application dans les techniques et les matériaux originels utilisés par les Omeyyades.”

 

Comme dans la basilique de la Nativité à Bethléem, les mosaïques nettoyées et restaurées ont repris des couleurs et offrent aux yeux un spectacle chatoyant.

 

La première étape du chantier consista à documenter l’ensemble des mosaïques dans les deux structures. “À notre arrivée, pour commencer les travaux, nous avons demandé des plans des mosaïques, mais ils étaient inexistants. Des documents d’une valeur inestimable dans l’hypothèse d’une catastrophe naturelle (Jérusalem est sur une faille sismique importante NDLR), souligne Abu Eisheh. Nous avons donc entamé un travail de documentation graphique et photographique qui comprenait également la documentation des restaurations ultérieures, qu’elles soient récentes ou plus anciennes comme aux époques abbasside, fatimide, ou plus tard encore en 1961 égyptienne. Cette dernière a causé beaucoup de dégâts aux mosaïques.”

La seconde étape fut la documentation minutieuse des différentes morphologies des dégradations. Ensuite vint à proprement parler le temps de la restauration et de la consolidation, lui-même suivi du nettoyage, soit à l’aide de différents produits, soit mécanique, de certains sédiments.

“Dans les deux structures nous avions des dégradations de plusieurs tailles, des fissures, bombements, infiltrations, sédiments de minéraux. Nous avions également des tentatives de restaurations précédentes ayant fait usage de matériaux de rénovation et non de restauration, et l’emploi de techniques de très mauvaise qualité, qui ont causé plus de mal que de bien.”

 

L’or une fois posé, ce sont des milliers de petites cavités qu’il faudra de nouveau colorer dans une gamme de couleurs précises et correspondant aux critères de l’art islamique et de sa symbolique des couleurs.

 

Technicité

Au cours des études préliminaires, deux techniques du travail des mosaïques utilisées par le passé ont été repérées, deux techniques relevant de périodes différentes, la technique omeyyade et la technique fatimide.

“Parce qu’elle fixe mieux les tesselles je préfère personnellement la technique omeyyade, qui se décompose de la manière suivante : le mur est isolé avec de la chaux puis une couche de paille recouverte à nouveau de chaux. Les couches sont épaisses d’environ 2 cm. La technique fatimide n’est pas très différente, explique-t-il. Sur le mur sont apposées deux couches, la première est plus rugueuse et la seconde plus lisse. Mais cette technique posait des problèmes dans le placement des tesselles.”

Les mosaïques de la période omeyyade, un âge de fleurissement et de grand raffinement, sont issues de l’art byzantin. Le Dôme du Rocher a de nombreuses similitudes architecturales avec les églises, notamment avec la basilique voisine du Saint-Sépulcre. C’est sous les Omeyyades (661 à 750) que naît réellement l’architecture religieuse islamique, et le chantier du Dôme du Rocher a joué en cela un rôle majeur. Le décor architectural de l’époque dépend encore beaucoup de l’art byzantin et est d’ailleurs souvent réalisé par des architectes et chrétiens locaux.

“Parmi les techniques utilisées on trouve celle de clous en forme de T, qui aident à la mise en place de coquilles de mer pour les fixer au mur. Si nous comparons les techniques omeyyade et byzantine, nous remarquons qu’elles sont en vérité très semblables.” Sous les mosaïques se cachent de nombreuses et précieuses informations qui ont permis de se faire une idée des techniques utilisées dans le passé. Parmi celles-ci, les mosaïques inclinées à 30 degrés permettant aux visiteurs de voir la beauté des couleurs et du travail même placées à plus de 20 m au-dessus du sol, comme le sont les mosaïques de la basilique de la Nativité à Bethléem.

“Les tesselles d’or ou d’argent sont en réalité formées de trois couches, précise Abu Eisheh. Une base de verre, sur laquelle est appliquée une feuille d’or ou d’argent qui constitue la seconde couche, et une troisième couche de verre protégeant la précieuse feuille. Les fuites d’eau avec le temps ont atteint la couche supérieure qui se détachait de la base dorée.”

Les mosaïques murales des deux bâtiments sont en grande majorité des tesselles en verre. Celles en pierre ne constituent pas plus de 2 % du total. Les mosaïques du sol, au contraire, sont en majorité en pierre et l’on en trouve très peu en verre.

 

Le travail de conservation des mosaïques a – comme pour l’église de la Nativité – été réalisé par des Italiens, spécialistes en la matière. Ils ont parallèlement formé des Palestiniens capables dorénavant d’assurer un suivi.

 

Fin des travaux en 2018

“Nous avons commencé les restaurations en 2010, elles devaient se terminer en 2017, estime Abu Eisheh. Mais nous avons rencontré des difficultés dans l’exécution des travaux du fait des problèmes (politiques) sur l’esplanade des mosquées. Nous avons également eu du mal à nous procurer les matériaux nécessaires pour l’accomplissement des travaux. Il a fallu nous adapter à tous ces impondérables.”

Le Dôme du Rocher est unique de par sa structure et connu dans le monde entier pour son dôme en or. L’or qui habille le Dôme est obtenu par un processus chimique, il est plongé dans un liquide qui contient des particules d’or et se trouve recouvert de 80 kg d’or. “Nous avons également le projet de le restaurer, explique pour sa part il-Halaa’. Nous pouvons identifier 10 plaques du dôme qui noircissent, signe qu’elles se gâtent. Et de toute façon, il faut le nettoyer, il se ternit sous la poussière.” Les travaux du Dôme du Rocher sont donc loin d’être terminés.

 

Le directeur des projets de constructions d’Al-Aqsa, monsieur Bassam il-Halaa’lors de l’entretien qu’il a accordé
à Nizar Halloun pour Terre Sainte Magazine.