
Prochainement, le Musée d’Israël, à Jérusalem, exposera exceptionnellement le Grand rouleau du prophète Isaïe, retrouvé dans les grottes de Qumrân en 1947. Le manuscrit hébreu mesure plus de sept mètres de long et remonte à 125 av. J.-C.
À Jérusalem, dans les salles blanches et silencieuses du Musée d’Israël, devrait avoir lieu prochainement un événement qui s’annonce tout simplement unique. Pour célébrer les soixante ans du musée, sera présenté dans son intégralité – pour la première fois depuis des décennies – le Grand rouleau d’Isaïe, le plus long et le mieux conservé des célèbres manuscrits de la mer Morte. L’exposition – initialement prévu du 12 décembre au 26 avril 2026, mais apparement retardée – est intitulée Une voix venue du désert. En temps voulu, elle offrira aux visiteurs comme aux pèlerins la possibilité d’admirer un vestige appartenant à la mémoire la plus profonde de l’humanité.
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« Après 77 ans d’étude et de reconstruction du rouleau, nous sommes enfin arrivés à cet extraordinaire aboutissement », a déclaré le professeur Marcello Fidanzio, de l’Université de la Suisse italienne, l’un des commissaires de l’exposition et concepteur du projet muséographique. Ses paroles résument la portée symbolique d’un événement où se rejoignent recherche et spiritualité.
Le Grand rouleau d’Isaïe est l’un des textes les plus anciens et les plus complets de la Bible hébraïque jamais retrouvés. Il mesure plus de sept mètres et rassemble, en 54 colonnes d’écriture, les 66 chapitres du Livre d’Isaïe. Il remonte à environ 125 av. J.-C., et est donc de plus d’un millénaire antérieur aux manuscrits bibliques connus avant la découverte des manuscrits de la mer Morte.
Il fut découvert en 1947, sur la rive nord-ouest de la grande mer salée, par un jeune bédouin, dans une grotte (désignée par les chercheurs comme la grotte 1) près de Qumrân, un désert qui avait gardé durant deux millénaires le silence d’une communauté ancienne que certains identifient aux Esséniens. Ces découvertes, poursuivies jusqu’en 1956, bouleversèrent à jamais l’histoire des études bibliques et l’archéologie du Proche-Orient. Aujourd’hui, on connaît plus de 900 fragments de manuscrits retrouvés dans onze grottes de Qumrân : textes bibliques, commentaires, règles communautaires, écrits apocryphes. Mais aucun, par son intégrité et son importance, n’égale le Grand rouleau d’Isaïe.
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Le manuscrit est conservé au Musée d’Israël, dans l’enceinte du Sanctuaire du Livre, une architecture symbolique inaugurée en 1965 et conçue pour abriter les sept premiers rouleaux découverts dans le désert. Sa coupole blanche, modelée comme le couvercle d’un vase, contraste avec le mur noir de basalte qui lui fait face, évoquant la lutte éternelle entre la lumière et les ténèbres, entre le rouleau sacré et le monde qui risquait de le perdre.

Extérieur du Sanctuaire du Livre, au Musée d’Israël à Jérusalem
Depuis plus de cinquante ans, pour des raisons de conservation, le rouleau original n’est pas exposé dans son intégralité : les visiteurs n’en voient habituellement qu’une reproduction fidèle et une petite section authentique. L’ouverture de l’exposition le 12 décembre prochain marque donc un retour historique, une occasion peut-être unique d’admirer le rouleau dans son ensemble, déployé dans la galerie Bella et Harry Wexner, l’espace d’exposition principal du musée.
L’exposition invite à un parcours sensoriel et symbolique. Les visiteurs seront introduits dans l’environnement âpre et lumineux de la Judée, recréé par des sons, des images et des installations, jusqu’au seuil de la grotte 1. Là, il sera possible de revivre la découverte des rouleaux et de suivre, pas à pas, la « trace » qui conduisit ces fragments de peau écrite par la main d’un scribe du IIᵉ siècle av. J.-C. jusqu’aux salles climatisées du musée moderne.
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Le moment culminant de la visite sera la rencontre avec le Grand rouleau lui-même : sept mètres de parchemin ancien, des lettres hébraïques tracées d’une main sûre, encore lisibles après deux millénaires. Une expérience qui dépasse l’archéologie pour devenir spirituelle : qui lit l’hébreu moderne reconnaît dans ces lettres la forme même de sa langue vivante, un fil ininterrompu de culture et de foi traversant les siècles.
La deuxième section de l’exposition explorera les découvertes scientifiques les plus récentes sur le rouleau. Les analyses menées ces dernières années, grâce notamment à l’intelligence artificielle et aux techniques multispectrales, ont permis d’identifier les différentes mains des scribes, de comprendre la composition des encres et d’étudier les coutures des feuilles de parchemin. Ces études révèlent non seulement la technique de fabrication du rouleau mais aussi sa fonction dans la vie de la communauté de Qumrân : un texte probablement destiné à la lecture liturgique ou à la méditation collective, imprégné d’attente messianique et de vision prophétique.
Un pont entre les traditions
La valeur du Grand rouleau d’Isaïe dépasse l’archéologie. Il est un pont entre judaïsme et christianisme, entre foi et raison, entre mémoire et recherche. Le frère Gregor Geiger, professeur d’hébreu biblique et de langues sémitiques au Studium Biblicum Franciscanum de Jérusalem, auteur du Dizionario ebraico, aramaico e greco dei testi di Qumran (Terra Santa Edizioni, 2025), souligne une fois de plus pour nous l’importance des manuscrits retrouvés sur les rives de la mer Morte.
« Les manuscrits de Qumrân, explique le chercheur franciscain, sont essentiels pour la connaissance de la Bible comme pour celle du judaïsme ancien. Jusqu’à leur découverte, beaucoup de spécialistes de l’Ancien Testament pensaient que les manuscrits médiévaux alors disponibles étaient remplis de modifications, volontaires ou non, introduites au fil des siècles par des scribes plus ou moins compétents. Cette conviction n’a été confirmée que très partiellement par les découvertes de Qumrân. Certes, quand on copie un manuscrit, il est inévitable que surviennent des erreurs ou des changements volontaires. Mais on en a trouvé beaucoup moins que ce que l’on imaginait. Le texte du Grand rouleau d’Isaïe s’est révélé presque identique à celui des manuscrits déjà connus des siècles plus récents. Assurément, ce n’est pas exactement ce qu’Isaïe écrivit au VIIIᵉ siècle av. J.-C., car son texte fut élaboré et étendu par une école prophétique au fil des siècles. Mais une fois établie la rédaction finale (après l’exil babylonien, au VIᵉ siècle), les changements ultérieurs furent minimes, surtout d’ordre orthographique. Cela vaut pour les autres manuscrits bibliques de Qumrân (plus de 200), dont la majorité est très fragmentaire et ne permet que des conclusions partielles. »
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Le frère Gregor poursuit : « Les manuscrits non bibliques de Qumrân (environ 700), presque tous très fragmentaires eux aussi, ne sont pas moins importants. Beaucoup remontent à une “secte” juive, probablement les Esséniens. Ils permettent un regard direct sur la spiritualité et la vie quotidienne d’un groupe religieux aux deux derniers siècles av. J.-C. et au début du Ier siècle apr. J.-C. C’est une révolution pour la recherche ! Jusqu’ici, les sources pour cette période étaient soit des textes observant le judaïsme de l’extérieur (comme le Nouveau Testament), soit des textes rédigés des siècles plus tard (comme le Talmud). »
Il ajoute : « Le Grand rouleau d’Isaïe est accessible depuis des années dans de nombreuses éditions imprimées ou numériques. Mais l’exposition organisée au Sanctuaire du Livre est une occasion unique. Pour la première fois depuis longtemps, il sera possible d’admirer le rouleau entier et de plonger le regard dans un passé très lointain, fascinant et essentiel pour les croyants – chrétiens comme juifs – d’aujourd’hui. »
Une exposition pour tous
L’exposition Une voix venue du désert s’adresse donc à des publics variés. Pour les chercheurs, c’est la synthèse de décennies d’enquêtes et de nouvelles méthodologies d’analyse. Pour les passionnés d’histoire, un voyage dans le temps qui redonne une voix à un objet survivant au sable et aux siècles. Pour les croyants, une rencontre spirituelle avec la Parole. Pour tous, une réflexion sur la force de l’écriture comme gardienne de la mémoire humaine.




