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Qumran, sur les traces des Esséniens

Claire Burkel
30 janvier 2018
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Qumran, sur les traces des Esséniens
Sous le soleil, à deux pas de la mer Morte, le site naturel choisi par le roi Ozias il y a plus de 2 700 ans.

Aucun texte biblique ne mentionne Qumran. C’est pourtant un passage quasi obligé pour les groupes de pèlerins.
Ils y découvrent la vie d’une communauté juive messianique de l’époque de Jésus, les Esséniens, et y interrogent leur propre foi dans le Messie.


Un petit village qui, dans la Bible, n’a même pas de nom en propre est devenu mondialement connu pour sa richesse biblique : Qumran. Les mentions les plus proches sont en Jos 15, 61-62 “Dans le Désert Beth-Ha-Araba, Middin, Sekaka, Nibshân, la ville du Sel et Engaddi, six villes avec leurs villages” qui sont attribuées au lot de Juda ; puis en 2Ch 26, 10 Ozias “construisit aussi des tours dans le désert et creusa de nombreuses citernes car il disposait d’un cheptel abondant dans le Bas-Pays.” Ces deux occurrences, pour imprécises qu’elles soient, désignent l’actuel Khirbet Qumran que l’Histoire a rendu célèbre.
Au VIIIe siècle, sous le règne d’Ozias (769-733), ce n’est qu’un fortin qui monte la garde à proximité de la mer Morte. Abandonné après la prise de Jérusalem en 587 av. J.-C. il est occupé entre 150 et 31 par un groupe d’hommes qui reconstruisent ses ruines, en font une véritable cité industrieuse, témoins des ateliers de poterie, teinturerie, écriture et des bâtiments communautaires, salles de réunion et réfectoire. Capital en cette région assoiffée, un aqueduc ingénieux qui récupère les eaux de pluie et de ruissellement qui viennent de la falaise surplombant le site, les dirige selon l’inclinaison du sol dans des bassins de décantation où l’eau est purifiée puis canalisée à travers toute la ville pour fournir boisson et lavage. En 31 av. J.-C. un violent séisme et un incendie conduisent la population à fuir, mais ses successeurs reviennent sur le site et le réoccupent de la même façon de l’an 1 jusqu’en 68, date de sa destruction définitive par les armées de Vespasien. Le village ne présentait aucun danger, mais campé à égale distance entre Massada et Machéronte, de l’autre côté de la mer salée, il permettait de faire le lien entre ces deux villes rebelles. Rome en fit donc un poste militaire qu’elle abandonna en 73 après la chute de Massada.

 

Plan de Qumran… probablement
La lecture des ruines a permis cette reconstitution en volume de l’établissement. On notera l’importance donnée au circuit de l’eau.

 

Selon les rares textes extra-bibliques évoquant la ville, ses habitants étaient de la secte des Esséniens. L’auteur latin Pline l’Ancien (23-79) décrit “un peuple unique en son genre vivant dans la société des palmiers”, Philon d’Alexandrie
(15 av. J.-C., mort sous Néron vers 65) des “athlètes de la vertu” et Flavius Josèphe (37-100) des hommes “qui se portent un amour mutuel plus grand que dans toutes les autres sectes”, les Pharisiens, les Sadducéens et les Zélotes qu’il décrit précisément.

Des fouilles au retentissement mondial

Les pèlerins feront attention à ne pas visiter Khirbet Qumran en plein midi, la chaleur y est redoutable. Ils n’y liront pas de textes de l’Ancien ou du Nouveau Testaments situés là car la Bible ne mentionne pas plus Qumran que les Esséniens. Ce qui nous attire ici date de l’histoire récente : entre 1947 et 1961 la région a été systématiquement fouillée, quelque 300 grottes et failles des roches marneuses et calcaires environnantes ont été visitées et 11 ont fourni un matériel archéologique considérable, les fameux manuscrits de la mer Morte, 900 manuscrits sur parchemin ou en rouleaux de métal, plus ou moins bien conservés selon l’état dans lequel on les a entreposés. Précisons : ceux qui étaient enroulés dans des tissus de lin et enfermés dans des jarres d’argile avec couvercle ont rendu intact leur précieux contenu. Ceux qui ont été déposés à la diable sur le sol de la caverne ont été grignotés ou réduits en miettes par des animaux du désert. Les épigraphistes et spécialistes des textes anciens ont alors plus de difficulté à déchiffrer de tels confetti, même après de longues parties de puzzle pour les remettre en bon ordre.

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Depuis 2007 tout est publié. La majeure partie des documents sont des textes bibliques, donc bien connus. Tous les livres de l’Ancien Testament ont au moins un exemplaire, sauf Esther. On a recensé 14 copies du Deutéronome, 12 d’Isaïe, 7 de Daniel et 10 psautiers complets. D’autres écrits sont des apocryphes juifs : le livre des Jubilés, le Testament des 12 patriarches, Hénoch. Mais on a vu apparaître des textes totalement inconnus des historiens, donc propres aux Esséniens : des hymnes, un psaume 151, des règles pour la vie de la communauté et pour la guerre, des commentaires des prophètes, un rouleau du Temple. Une littérature à tendance apocalyptique dans l’attente du messie et de la victoire de la lumière sur les ténèbres.

 

Une citerne, reconnaissable à son enduit
Aménager pour permettre la compréhension, mais pas trop pour ne pas dénaturer les éléments dégagés par les fouilles. C’est la délicate mission des archéologues au profit des visiteurs.

 

A la recherche de ceux qui ont produit ces textes

Voilà qui renseigne sur l’existence de cette petite cité de Qumran – elle n’a jamais pu abriter plus de 200 personnes à la fois. Car le lien a été fait entre les ruines, leur disposition, le genre de vie qu’elles permettaient – on pense par exemple que les bâtiments sont tous communautaires et destinés au travail, et que les résidents logeaient sous tente ou dans les grottes voisines – et les écrits trouvés. Avoir choisi de vivre dans un lieu aussi hostile, s’adonner à la copie de textes religieux en aussi grand nombre, témoigner d’une attente spirituelle aussi élaborée et particulière par rapport aux mouvements présents dans tout le pays d’Israël dans les deux siècles autour du début de notre ère, dénote une volonté d’isolement, voire d’opposition marquée contre la société et les pratiques religieuses alors en usage. Cela correspond bien aux descriptions de Flavius Josèphe sur les Esséniens.
Selon notre auteur un membre du clergé de la famille des Onias s’est rebellé contre le grand prêtre Jonathan installé en 152 à sa place et contre l’hellénisation du calendrier, un élément fondamental qui règle toute la vie religieuse au Temple, fêtes et sacrifices. Ayant manifesté son désaccord, il entraîna quelques disciples au désert et leurs successeurs entretinrent durant deux siècles leur volonté sectaire tout en développant une eschatologie et un messianisme particuliers.

 

Un ouvrier de l’Autorité des Antiquités d’Israël en train de coudre des fragments de parchemin de la mer Morte dans un laboratoire de conservation au Musée d’Israël à Jérusalem.

 

Tout bain n’est pas baptême

Qu’on ne s’y trompe pas ! Le désert, la symbolique de l’eau et les rites de purification pratiqués à Qumran ne sont pas des parallèles ou des prototypes du baptême proposé par Jean à quelques kilomètres de là. Quand les Esséniens se plongent quotidiennement dans des miqwé pour se purifier, le Baptiste plonge dans l’eau vive du Jourdain des juifs désireux de convertir leur cœur en un lieu qui représente l’entrée dans la terre de l’alliance. La communauté essénienne se cantonne volontairement à part d’une population qu’elle juge impie et d’un sacerdoce qualifié de renégat, alors que Jean Baptiste accueille au creux du fleuve des publicains, des soldats, des Pharisiens et des Sadducéens, les foules en somme, sans distinction, dans une démarche d’humilité et de vérité – Lc 3, 10-14, Mt 3, 10. Les “Fils de la lumière” qui se croient le seul reste d’Israël prient pour la venue d’un messie en deux personnes, un prêtre de la lignée d’Aaron et un roi de la descendance de David qui lui sera soumis ; mais Jean Baptiste a choisi d’actualiser le prophète Élie, qui selon la tradition juive précède le Messie à venir – Mt 3, 4 – ainsi que la figure de l’époux dont la joie est de se complaire dans la présence du fils de David – Jn 3, 28-30. Jean Baptiste précurseur se coule entièrement dans l’Écriture en train d’être accomplie et dans la tradition de son époque, quand les Esséniens marquent des ruptures et se réfugient dans des solitudes exclusives.

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Celui qui vient “en avant de l’époux” ne sera pas désavoué par Jésus. Lui aussi sera présent aux foules dans leur diversité, publicains, étrangers, malades contagieux, femmes de bonne ou mauvaise vie, Pharisiens même quand ils deviennent hostiles…
La visite de Qumran nous fournit vraiment l’occasion de recentrer notre foi, de saisir ce qu’elle n’est pas, d’éviter les chemins de superbe et d’y préférer la rencontre. Ce qui se joue souvent dans un groupe de pèlerins, une bonne manière ecclésiale.♦


Le musée du livre en complément

On complétera la visite du site par un passage au Musée du Livre à Jérusalem Ouest (il est climatisé !) L’architecture nous met tout de suite “dans le bain” : le toit du musée est en forme de couvercle de jarre, d’une blancheur lumineuse qui fait face à un mur de basalte uniformément noir. Voici illustré le combat de fin du monde entre les “fils de la lumière et les fils des ténèbres”, thème cher aux Esséniens. En sous-sol, dans un éclairage très atténué, sont présentés quelques objets trouvés dans les grottes du désert, sandales, encriers, fragments de tissus, bols et cruches, paniers ; mais surtout des parchemins de toutes tailles tels qu’on les a trouvés et au centre de la salle ronde le fac-similé du rouleau complet d’Isaïe : 54 colonnes de texte dans une belle écriture en hébreu carré copiées sur 17 peaux cousues déroulent en 7,34 m de long et 0,26 m de haut les 66 chapitres du prophète.
Les exégètes ont été stupéfaits de la précision avec laquelle les livres bibliques ont été transmis. Avant cette découverte les manuscrits les plus anciens à disposition dataient du IXe siècle de notre ère pour l’Ancien Testament. On s’est trouvé subitement face à des écrits datés d’entre 100 av. J.-C. et 60 ap. J.-C. qui ne présentaient que de rares divergences textuelles, aucune ne modifiant profondément le sens. Les copistes au fil des siècles n’ont pas seulement travaillé avec leurs mains et leurs plumes, mais avec leur mémoire liturgique, leur fidélité dans la prière, leur foi éclairée.

 

Ce n’est plus malheureusement que le fac-similé du rouleau entier d’Isaïe que l’on peut voir dans cet écrin de verre, mais avoir obtenu un tel parchemin deux millénaires après sa mise par écrit reste admirable.

Dernière mise à jour: 05/02/2024 11:47

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