Les instruments s’arrêtent. Les chants de Taizé, qui emplissaient l’Eglise luthérienne du Rédempteur à Jérusalem de leur douce psalmodie, laissent place au silence de la prière. Pour les 270 jeunes occidentaux, ce temps de recueillement est un incontournable des prières communes qui ont lieu tous les midis et tous les soirs de leur pèlerinage en Terre Sainte.
Pour les quelques chrétiens palestiniens qui peuplent l’assemblée ce jeudi 12 mai, l’expérience relève de la nouveauté. « On prie rarement aussi longtemps en silence. Dans nos églises, il y a toujours un téléphone qui finit par sonner, des gens qui vont entamer une conversation ou même partir », note Rita, originaire du village chrétien de Zababdeh, au nord de la Cisjordanie. Invités à prendre part au pèlerinage organisé par la communauté œcuménique de Taizé, près de 300 jeunes des communautés chrétiennes locales ont au total répondu présent, et se rendent, selon leur disponibilité, aux différentes activités.
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L’occasion, pour beaucoup, de découvrir leur propre territoire et de se frotter à d’autres pratiques du christianisme. « Hier nous étions à Bethléem, et nous avons visité l’église arménienne. C’est la première fois que j’y entrais et que je parlais avec un moine de cette communauté », s’enthousiasme Majid, lui aussi originaire de la paroisse de Zababdeh. Faris, jeune comptable de Bethléem, reste perplexe face à l’absence d’eucharistie chez les protestants : « Moi je cours presque chercher la communion », rit-il.
Pierre Rabhi palestinien
Malgré les différences, l’échange et la rencontre sont au cœur de ce pèlerinage, qui veut faire « Marcher ensemble vers les sources de l’espérance » les jeunes du monde (23 pays différents sont représentés) et de Terre Sainte. Plus que visiter les lieux saints, les pèlerins sont mis au contact des « pierres vivantes » et invités à écouter les témoignages de ces chrétiens locaux pour mieux comprendre leur réalité.
Ils se sont ainsi rendus à la Tente des Nations, cette ferme des collines de Bethléem où Daoud Nassar, chrétien Palestinien, diffuse un message de non-violence, d’espérance et de résilience face à l’occupation israélienne depuis les années 2000. « C’est un peu le Pierre Rabhi palestinien », compare Eliot, jeune pèlerin français, en référence à l’essayiste français théoricien de la sobriété heureuse.
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Une partie des pèlerins est hébergée chez des bethléemites. « Notre hôte nous a raconté sa réalité et son combat pour montrer que la présence arabe est plus ancienne et donc plus légitime sur cette terre, raconte Hélène, jeune protestante française. J’ai pris conscience de la faiblesse numérique des chrétiens, mais de la force de leur foi. Et alors qu’on associe beaucoup les Arabes aux musulmans, ici on réalise qu’ils sont aussi chrétiens. Ça fait réfléchir. »
Pour Emilia, originaire de Pologne, l’immersion est une vraie révélation : « En Pologne, les médias présentent toujours les Palestiniens comme l’ennemi, les méchants. En écoutant leur récit, on se rend compte que tout est bien plus compliqué. »
Curiosité et cours d’histoire
De leur côté, Rita, Majid et Faris ressentent une vraie curiosité de la part des pèlerins. « J’ai passé une heure à faire un quasi cours d’histoire à un groupe de 5 ou 6 personnes qui me posaient des questions par rapport au conflit. Les européens ne savent pas ce qui se passe ici. Ils ne comprennent pas tant qu’ils n’ont pas vu et expérimenté », explique Majid, ravi de pouvoir se faire le porte-parole de la cause des chrétiens palestiniens. Le jeune prof de sport est convaincu : « Plus on leur expliquera, plus ils pourront nous défendre quand ils rentreront dans leur pays. »
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Vendredi 13 mai, les pèlerins se dirigeront vers la Galilée (lac de Tibériade et Nazareth), à la découverte d’une autre réalité, celle des chrétiens vivant côté israélien. « Parce que tous les témoignages ont une portée politique, on a eu un peu l’impression de n’avoir qu’une version de l’histoire et des ressentis », estime Hélène, qui glisse, l’œil rieur : « Il faudra revenir. »
Les jeunes Palestiniens devraient être plus nombreux en Galilée, leurs permis d’entrée ayant été acceptés par Israël. Le soulagement des organisateurs n’est que partiel, la situation aux checkpoints étant toujours aléatoire et dépendante du contexte général. Or, la mort, le 11 mai, de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh et ses funérailles à Jérusalem le 13 mai, pourraient mettre de l’huile sur le feu d’une situation déjà tendue.