
Elle est là, depuis que le monde est monde. À Nazareth, les habitants l’appellent simplement “Il-´aïn”, la source.
Le lieu est tellement emblématique qu’il est le logo de la municipalité. C’est l’endroit où l’on se retrouve pour aller faire des courses. Là où les militants organisent leurs manifestations (lorsqu’elles sont autorisées). Le lieu branché où aller boire un verre ou dîner au restaurant, faire et refaire le monde, rire et pleurer nos vies.
C’est l’endroit où toutes les femmes de Nazareth sont venues, durant des générations, puiser de l’eau, mais il n’a retenu le nom que d’une seule d’entre elles, c’est la fontaine de Marie. Elle est le centre de la ville. C’est de là que tout part et où tout aboutit. C’est pourtant devenu une fontaine sans eau. La première fois que l’on coupa son débit c’était vers 1966. La municipalité ne l’estimait plus utile dès lors que toutes les maisons de Nazareth étaient raccordées au réseau d’eau.
À la fin des années 1990 et en prévision des célébrations de Nazareth 2000, elle entreprit, en lieu et place de la fontaine, de construire un monument moderne. Devant le tollé suscité dans la population locale, elle fit marche arrière et reconstruisit un monument en pierres, identique à celui dont témoignent les photos.
Lieu de vie
Jusque dans les années 1948, la fontaine était centrale dans la vie des habitants. Dans un pays où il ne pleut que 6 mois par an, d’octobre à mars ou avril, et sans que les pluies soient quotidiennes – loin s’en faut – sa source pérenne contribuait à la vie de la cité. Certes, les habitants faisaient le plein, durant la saison des pluies, des
citernes creusées sous leurs habitations, mais si l’eau venait à manquer durant les 6 mois sans précipitations ou quand l’eau des citernes devenait saumâtre, elle garantissait l’approvisionnement.
Sur les vieilles photos, on peut voir des femmes avec des jarres d’eau sur la tête aller y puiser de l’eau. Il fallait faire la queue et attendre que la jarre se remplisse.
Youssra Jubran aimait raconter aux siens que des filles, payées pour venir remplir cruches et outres, n’attendaient pas leur tour. Elles passaient effrontément devant les autres. Et quand ces dernières s’en plaignaient, les resquilleuses les affublaient de toute sorte de noms d’oiseaux. La fontaine n’a pas entendu que des prières… Mais elle a sans l’ombre d’un doute accueilli la Vierge Marie.

La basilique de l’Annonciation, qui surplombe la maison de Marie, est à 500 mètres en contrebas. Comme en 1948, les habitants du Ier siècle avaient des citernes domestiques. Mais la source permettait d’avoir de l’eau fraîche.
Pour se convaincre de la venue de Marie à la fontaine, il suffit d’écouter l’histoire telle que la racontent les habitants de Nazareth aujourd’hui encore. D’après eux, un jour que Marie était à la source, lui apparut l’archange Gabriel. Prenant peur, elle s’enfuit chez elle, où l’archange lui apparut de nouveau pour finalement lui faire son annonce. Cette tradition se trouve dans le protévangile de Jacques, un évangile apocryphe de la fin du IIe siècle.
Lieu d’Histoire
Comme dans d’autres lieux en Terre Sainte, ce que l’on peut voir, derrière la reconstitution moderne de la fontaine, n’est qu’une petite partie des restes archéologiques recouverts après les fouilles des années 1990.
À défaut de couler à la fontaine, la source d’eau jaillit quelque 150 mètres en amont, dans la crypte de l’actuelle église orthodoxe Saint-Gabriel.
Probablement dès l’époque byzantine, les habitants auraient senti le besoin de distinguer le lieu saint de la fontaine publique où, entre autres activités on abreuvait les animaux. Les premiers restes archéologiques importants de canaux qui conduisent l’eau à des bassins datent de la période croisée. Comme cette infrastructure desservait la population locale en eau, les différents pouvoirs qui se succédèrent, sans distinction d’appartenance religieuse, préservèrent la structure. [Nous en reparlerons].
Quant à la fontaine publique, avec ou sans eau, elle demeure le lieu où toute la population locale et de tout temps s’est retrouvée autour de la figure de Marie, importante dans l’islam et le christianisme.


