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Lumière sur les vitraux de Nazareth

Par Guillaume Genet
30 septembre 2019
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Lumière sur les vitraux de  Nazareth
↑ Façade ouest 25 vitraux pour une seule composition, l’Annonciation qui se trouve sur la façade ouest de la basilique supérieure et donne à l’édifice des couleurs chatoyantes. Max Ingrand (1908 -1969).

Ils lui donnent des reflets de couleurs, pourtant les 53 vitraux
de la basilique supérieure de l’Annonciation à Nazareth sont peu connus. 50 ans après leur inauguration, Terre Sainte Magazine vous les fait découvrir.


Impossible de la manquer. Avec ses 40m de hauteur, la basilique de l’Annonciation trône au milieu de Nazareth, dans l’emblématique village qui a vu grandir Jésus. Conçue par l’architecte italien Giovanni Muzio, la basilique fête cette année le cinquantième anniversaire de sa consécration. Si les travaux débutèrent en 1965, la réflexion quant à la construction du nouveau sanctuaire commença en 1958, à l’occasion du premier centenaire de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception.
Les décorations intérieures qui ornent aujourd’hui encore l’église ont été réalisées selon deux idées directrices majeures. La custodie de Terre Sainte souhaitait tout d’abord solliciter des artistes du monde entier pour que le sanctuaire soit un monument mondial pour la dévotion au Christ et à Marie sa mère. Mais elle voulait également que chaque pèlerin, quelle que soit sa nationalité, puisse trouver à Nazareth un reflet de la piété et des qualités artistiques de son propre pays.
Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir touristes et pèlerins déambuler dans le cloître ou la basilique supérieure à la recherche de la représentation de la Vierge envoyée par leur nation. La recherche se fait dans la pénombre richement colorée de l’édifice. Tous jeux de lumières que l’on doit à deux artistes européens, le Suisse, Yoki (Émile) Aebischer (1922-2012) et le Français, Max Ingrand (1908-1969).

Au Fribourgeois on doit les 16 vitraux du tambour de la coupole. Ils représentent les douze apôtres, les parents de la Vierge, Joachim et Anne, et deux des docteurs de l’Église qui ont le plus chanté les louanges de la Vierge, Éphrem le Syrien pour l’Orient et Bernard de Clairvaux pour l’Occident.
Au natif de Bressuire revint la tâche colossale de réaliser les vitraux des quelques 45 fenêtres en plus de la grande verrière de la façade ouest qui compte
25 vitraux à elle seule.

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Cette verrière, au fond de l’église, en disposition pyramidale est l’élément majeur de son œuvre, celui aussi le plus accessible à la contemplation des pèlerins. Intitulée sobrement “l’Annonciation”, la composition forme un tout qui représente le fiat de Marie qui, dans l’humilité de son “oui”, accepta la demande de Dieu transmise par son ange. L’ensemble est comme une tour illuminée par un ciel noir lorsque la lumière est faible.
Dans la nef, Ingrand réalisa également une série aux couleurs claires. Les sujets de ces vitraux lui furent imposés. La représentation des martyrs franciscains semble l’avoir contraint dans l’expression de son art. Tandis qu’il retrouvait toute sa liberté dans la série représentant les litanies de la Vierge.

 

Art et foi

En s’attaquant à ce travail, Max Ingrand souhaitait transmettre le mystère de l’Annonciation dans l’imposant édifice et éclairer – au sens propre comme figuré – le cœur des fidèles. Dans une lettre rédigée le 2 mai 1969 et publiée dans La Terre Sainte en septembre de la même année, le maître-verrier fit part de sa passion, mais aussi de ses craintes et de ses doutes, quant à la tâche qui lui avait été confiée. “Il s’agissait de créer l’atmosphère de l’édifice, d’aider à lui donner vie, et à faire en sorte que la lumière devienne source de coloration et de mystère”. Il explique par ailleurs la technique utilisée pour y parvenir, l’emploi par exemple de verres antiques et de dégradés de couleurs pour donner une harmonie au vitrail. Il souligne également la grande liberté que lui ont laissée le maître d’ouvrage et l’architecte maître d’œuvre dans la réalisation de ses travaux. Max Ingrand s’est aussi appliqué à “l’expression du dessin, indispensable à la lecture de l’image”. C’est par le biais de la poésie qu’il souhaite traiter les représentations des litanies de la Vierge. “J’ai voulu que la lumière, celle qui vient de Dieu, soit là, chantée, avec ses dégradés, ses murmures, son plain-chant”. À travers les dessins de colombes, vases, fleurs, palmes, étoiles ou anges ailés, Max Ingrand cherche à formuler l’élan d’amour que peut ressentir le chrétien devant ce magnifique poème, souhaitant avant tout toucher le pèlerin ou le visiteur de passage dans l’église. “Ma récompense sera grande si, parmi tous ceux qui visiteront cette église, les uns ou les autres ‘sentent’ la présence des verrières et que, par elles, leur prière se fasse plus fervente encore”. ♦

À gauche Joachim et Anne, les parents de la Vierge Marie, à droite Anne enseignant sa fille. Yoki Aebischer (1922-2012)

 


Une basilique aux accents internationaux

Belges et Canadiens ne sont pas en reste

Reflet de l’universalité de l’Église, beaucoup d’autres artistes ont apporté leur contribution dans la réalisation de l’édifice. Hormis celles de Max Ingrand et Yoki Aebischer, on compte aussi dans l’église inférieure des œuvres du maître-verrier Lydia Roppolt (Autriche). Enfin, le long des escaliers en colimaçon reliant l’église supérieure à l’église inférieure, on peut admirer deux séries de vitraux du frère franciscain Alberto Farina. Mais si elle bénéficie d’une belle luminosité, la basilique ne se résume pas qu’à ses fenêtres de couleur et à ses maîtres-verriers.
Le Québécois Claude Lafleur a fabriqué de la céramique, le sculpteur belge Camille Colruyt a réalisé des figurines en cuivre du baldaquin de la Grotte et le tabernacle du maître-autel de l’église supérieure. Au total on compte pas moins de 43 artistes de 23 nationalités différentes qui ont contribué à embellir le lieu. Une belle mosaïque qui illustre l’universalité de l’Église.


Une église contestée

“Très choqué !”

À son inauguration la basilique de la Nativité ne fit pas l’unanimité. Jugée imposante et en décalage avec le style de la ville, elle ne recueillit pas toujours les faveurs des pèlerins. “Je vous avoue que j’ai été personnellement très frappé (j’allais écrire ‘très choqué’) par le contraste entre l’écrasante richesse de la nouvelle basilique et la pauvreté des maisons de la ville qui l’entourent”, écrit un lecteur de La Terre Sainte en janvier 1969. Expliquant que le village où grandit le Christ était aujourd’hui encore habité par sa présence, ce prêtre-étudiant de Jérusalem confie avoir eu du mal à s’en imprégner. “Si ces rues environnantes m’ont permis de revivre la vie cachée de Jésus à Nazareth, la basilique m’a plutôt éloigné de cet état d’âme par sa richesse et sa splendeur”. Il souligne par ailleurs la fonction que devait, selon lui, occuper le nouvel édifice sur le plan spirituel. “Un pèlerinage doit nous aider à revivre un mystère – ici, celui de la vie humble et cachée de Jésus à Nazareth”. Un état que ne semblait pas refléter le nouveau lieu de culte à la fin de sa construction. “Qui pourra, avec la même franchise, affirmer qu’elle se perpétue dans la grandiose basilique ?” s’interroge-t-il. Dans le contexte récent du Concile Vatican II, le lecteur fait également part de son désir de voir une Église “plus proche des hommes, plus conforme, en un mot, à l’Évangile”.

Dernière mise à jour: 08/04/2024 12:26

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