Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Le dernier tatouage d’Abbus

Marie-Armelle Beaulieu
30 mai 2010
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Alors que le dossier de ce numéro traite de l’Église chaldéenne catholique, disons-le tout net le couple qui fait la Une est syriaque orthodoxe. Ils sont turcs, originaires d’Antakya (Antioche) mais vivent aujourd’hui en Allemagne où Abbus est tailleur.

C’est le deuxième pèlerinage d’Abbus en Terre Sainte. Pour Pâques, il est là avec un groupe de syriaques orthodoxes, turcs émigrés en Allemagne comme lui. Je l’ai rencontré le Samedi Saint au Saint Sépulcre, après la cérémonie du Feu nouveau, il était assis à côté de son épouse et tous les deux goûtaient juste la joie d’être là. Ce qui nous a fait entamer une conversation dans une langue improbable que je n’avais encore jamais expérimentée, un mélange d’allemand et d’arabe, c’est son dernier tatouage : l’icône de la Sainte Famille. Il y a deux ans déjà il avait marqué, au sens propre, son premier pèlerinage aux Lieux Saints d’un tatouage sur l’autre bras, un Jésus et son Sacré Cœur. Le rouge qui borde celui de la Sainte Famille me dit qu’il a dû lui en cuire de ce tatouage-là. « Oui ça brûle un peu » dit-il, mais il est si fier que ça me plaise tant. A ceci près qu’Abbus n’a pas besoin d’être fier, il est juste heureux.

En parlant avec lui, en l’entendant parler de sa foi, en en voyant les stigmates là sur sa peau, j’ai envie de m’agenouiller, devant lui et devant tous ces chrétiens du Moyen Orient (et d’ailleurs) qui paient aujourd’hui de leur vie le fait d’être chrétien et qui loin de le cacher l’affirment en le gravant sur leur peau…

« Pose moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras, car l’amour est plus fort que la mort. » Ces paroles du Cantique des Cantiques me reviennent en mémoire en regardant ce sceau d’un genre nouveau. Certes, Abbus a préféré l’Allemagne à la Turquie, cela fait-il de lui un lâche ? Non un homme, juste un homme. Reste que même en Europe de nos jours, afficher une Sainte Famille en tatouage pourrait bien devenir un acte de bravoure et de foi dont je ne suis pas sûre d’être capable, sans compter que douillette comme je suis l’idée de me faire tatouer quoique ce soit ne me vient pas spontanément à l’esprit. Pourtant il me semble bien qu’à cet instant je suis jalouse d’Abbus.

En tous les cas, il y en a une qui peut être surprise. C’est sœur Marie-Paule des bénédictines du Mont des Oliviers à Jérusalem. C’est elle qui a écrit cette icône pour la première fois il y a une vingtaine d’années. Aujourd’hui les sœurs bénédictines essaient de vivre du travail de leurs icônes peintes et des quelques droits à l’image qu’elles peuvent percevoir sur les cartes postales qu’elles vendent de leurs icônes quand elles ne sont pas outrageusement pillées par de bons chrétiens qui estiment que tout ce qui est beau et catho est à eux et qu’ils peuvent en faire commerce en lieu et place des légitimes ayant-droit…

Les sœurs n’ont pas de déposé de droits de reproduction sur les tatouages, Abbus peut être tranquille. Je n’ai pas encore eu l’occasion d’en parler à Sœur Marie-Paule mais je crois qu’elle sera heureuse de cette reproduction-là. Quant à me faire tatouer à mon tour… qui vivra verra !

 

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