Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

La discrète évolution des coptes catholiques

Marie-Armelle Beaulieu
20 juillet 2010
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Une discussion à bâton rompu avec le curé de la cathédrale
et évêque auxiliaire du Patriarche, Mgr Youhanna Golta, nous fait découvrirévolution discrète de l’Église copte catholique.


La radicalisation de l’islam au Moyen Orient trouve en partie ses racines en Égypte avec la création de la confrérie des Frères musulmans, pourtant, martèle Monseigneur Youhanna Golta, évêque auxiliaire copte catholique au Caire : « Les Égyptiens ne sont pas des fanatiques. C’est un pays au contraire très pacifique. En 7000 ans d’histoire, l’Égypte n’a jamais commencé une guerre, elle n’a jamais fait que se défendre. A l’époque byzantine, les guerres confessionnelles entre chrétiens ont affaibli le pays facilitant sa conquête par les arabes musulmans. Néanmoins, l’Égypte est restée chrétienne, et majoritairement copte jusqu’au Xe siècle. A l’arrivée au pouvoir du Grand Calife El Mamoun, le christianisme en Égypte a été écrasé et les églises ont été détruites. L’Église a perdu peu à peu de son influence sur la société. Le christianisme a commencé à diminuer tandis que l’Islam s’imposait. Malgré tout, les relations entre musulmans et chrétiens, au long des siècles et malgré les guerres, sont restées stables jusqu’à maintenant.»

Mgr Golta se défend d’avoir une vision angélique de l’histoire et de la situation présente. Selon lui, l’extrémisme actuel, dont il ne nie pas l’existence, est une conséquence des politiques occidentales sur le Tiers Monde en général depuis les périodes coloniales.

Chrétiens et musulmans: Égyptiens ensemble

Selon lui, en Égypte, depuis la Révolution de Nasser en 1952, la succession de chefs d’État « laïcs » – Nasser, Sadate, Moubarak – a jugulé en partie les extrémistes même si, depuis la mort de Anouar el-Sadate, la confession Wahhabite venue d’Arabie saoudite étend son influence sur le pays et est la cause de phénomènes de persécution contre les coptes. Malgré tout, affirme Mgr Golta, « Les musulmans égyptiens sont tous – sans exception – convaincus que les coptes sont de vrais égyptiens. Parfois ils nous disent ‘vous êtes les vrais Égyptiens’. Il n’y a pas de racisme ou ostracisme anti-copte.»

Une des raisons de cette harmonie égyptienne résulterait de ce que les coptes ne se soient jamais repliés sur eux-mêmes. « Dans les villes, il n’y a pas de ‘quartier copte’ comme on pouvait trouver un ‘quartier juif’. Dans un même immeuble, on trouvera toujours des coptes et des musulmans. Nos magasins sont côte à côte. Nous avons les mêmes défauts, les mêmes vices, les mêmes vertus. Nous sommes pareils au point que nous chrétiens sommes un peu islamisés dans nos traditions et dans nos fêtes et les musulmans, de leur côté, sont un peu christianisés dans leurs traditions. Nous sommes fondamentalement tous Égyptiens. » On sent poindre une note d’inquiétude quand Mgr Golta ajoute « pour le moment ». Car, poursuit-il, « Nous avons peur de l’influence des pays du Golfe et de la confession saoudite wahhabite qui divise le monde entre les croyants et les ‘koufars’, les non-croyants. »

C’est cette crainte, semble-t-il, qui pousse certains jeunes coptes aujourd’hui à grandir à l’intérieur de leur pays comme citoyens à part entière, partie prenante du devenir de leur pays.

« Jusqu’à il y a une vingtaine d’années, constate Mgr Golta, les coptes croyaient que leur maison, leur défense, leur force, c’était l’Église mais la nouvelle génération essaie plutôt de s’ancrer comme citoyen égyptien. Ce n’est pas l’Église qui nous défend, ce n’est pas le Patriarche, le pape Chenouda qui défendent les chrétiens, ce sont les chrétiens qui avec les musulmans se défendent ensemble contre les formes de radicalisme. Avec l’aide de musulmans éclairés et cultivés, nous essayons juste de défendre et conquérir si besoin nos droits de citoyens. » Une forme de laïcisation de la nouvelle

génération copte. Au détriment de la foi ? « Non, au contraire. » affirme l’évêque. « Nous sommes très attachés à notre foi, j’oserai dire plus qu’avant. Avant, on pensait peut-être que suivre le pape, suivre le patriarche c’était croire au Christ, c’était croire en Dieu. De nos jours, la nouvelle génération découvre que croire est un acte personnel, un engagement qui n’est pas soumission à une autorité religieuse mais adhésion au Christ. »

Un avenir à constuire

Le salut dans la citoyenneté ? Reste qu’il est toujours interdit de construire une église en Égypte. « Oui c’est vrai, c’est une très vieille loi qui n’a jamais été abolie. Mais malgré tout on se débrouille. Et des musulmans nous aident dans nos démarches pour construire nos églises et nos écoles. Certes il y a des oppositions, des manifestations. Malgré tout, on construit. Il y a quelque 170 écoles catholiques en Égypte. Elles sont des ponts entre les deux mondes chrétien et musulman. 80% des ministres, des personnes les plus influentes dans l’art, dans le monde audiovisuel ont été élèves des écoles chrétiennes. Les deux fils du Président Moubarak ont fait leurs classes à Saint-Georges, dans une école copte catholique jusqu’à la fin de la préparatoire et de nombreux ministres sont passés chez les jésuites. C’est dire l’importance de ces institutions sur le plan culturel au moins. »

Pourtant de nombreux chrétiens désirent émigrer… « Nous tous, les égyptiens, nous sommes pareils. En ce qui concerne l’émigration, c’est pareil. Tout le monde a (un peu ?) peur de l’avenir. Les musulmans ont leurs raisons de vouloir émigrer, les chrétiens ont les leurs. Tous ont les mêmes raisons qui pousse les habitants du Tiers Monde à rêver d’Eldorado américain, canadien, australien ou autre. Mais ce désir d’émigrer exaspère le prélat que l’amour de son pays presse : « Nous ne sommes là pas pour faire de l’argent pas, pour nous préparer à émigrer mais pour faire évoluer notre pays, pour le développer. Si je quitte, si notre jeunesse quitte, qui va faire changer les choses ? On a peur des musulmans ? Mais les musulmans ne sont pas méchants ! Oui il faut stopper l’extrémisme dans la région d’où qu’il vienne musulman, chrétien ou juif. Mais il faut vivre ! Il faut bâtir, construire l’homme, construire la femme, construire le futur de l’humanité mais non pas penser à détruire le monde musulman ou le monde chrétien… cela n’aboutira qu’à plus de guerre, plus de sang. Le monde a besoin d’amour, pas d’argent. L’argent nous sclérose. Ce qui manque vraiment au monde, c’est l’amour, c’est la charité.»

Mgr Golta aime son pays, aime son Église. Si on lui fait remarquer que l’iconostase manque dans sa cathédrale, il répond qu’il a choisi : c’était la climatisation ou l’iconostase. Il a choisi la climatisation pour que le fidèle soit dans les meilleures conditions pour s’unir à son Seigneur.

Une menace pour l’Église

Du synode, Mgr Golta espère qu’il permettra de faire « Entendre la voix des chrétiens du monde arabe et du Moyen-Orient pour dire au monde qu’il y a encore des chrétiens qui vivent avec leurs frères musulmans dans cette partie du monde ignorée de l’Occident et surtout de la population occidentale. » Il espère aussi qu’il sera l’occasion d’une « révision en profondeur de notre vie intérieure, de la vie de l’Église au Moyen-Orient et aussi l’occasion de revoir nos relations avec nos frères musulmans pour inventer des nouvelles manières de dialoguer en profondeur et sérieusement. »

Selon Mgr Golta, la menace qui plane sur l’Église au Moyen-Orient ne vient pas forcément du durcissement de l’Islam. « Nous manquons de souffle. Le vrai risque pour l’Église du Moyen Orient, c’est de se contenter d’être les administrateurs de nos biens, de nos propriétés, de nos richesses et d’oublier la foi au passage.

C’est d’être des chrétiens sociologiques, revendiquant une différence au cœur du monde arabe et musulman mais sans se nourrir à la source de notre différence : le Christ et son évangile. C’est Lui la source du témoignage, la source de la communion entre chrétiens et avec tous nos concitoyens. Nous courrons le risque d’être les gardiens de l’institution quand nous sommes appelés à être les gardiens et joyeux témoins de la Foi. »

Il n’y a ni sévérité ni jugement dans le ton de Mgr Golta mais de la passion pour vivre à la hauteur de l’évangile et pour devenir crédible notamment dans la rencontre de l’Islam au Moyen-Orient et au-delà.

En poursuivant sur cette voie l’évolution pourrait bien amener à une révolution des consciences.


En savoir plus sur les Coptes

W. Andrawiss : Les Coptes, chrétiens d’Egypte, deux mille ans de christianisme. – Le Mariage Copte, Thèse de Doctorat, Université de Strasbourg 1970.
L. Barbulesco L : Les Chrétiens Égyptiens aujourd’hui, Le Caire 1985
P du Bourguet : Les Coptes, coll. Que sais-je ? PUF 1988
– L’Art Copte, Édition Albin Michel, Paris 1968
C. Cannuyer : Les coptes, collection « les fils d’Abraham » édition Brepols 1990
Roncaglia Histoire de l’Église Copte, 4 vol., Beyrouth 1966-1973
Rondot P : L’Évolution historique des Coptes d’Egypte, Cahier de l’Orient contemporain 22,1950, 129-142
Magdi Sami Zaki : Histoire des Coptes édition de Paris 2005
– Dhimmitude ou l’oppression des chrétiens d’Egypte édition L’Harmattan .

Dernière mise à jour: 20/11/2023 18:30

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