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Le jeûne eucharistique dans l’Eglise copte

Mamdouh Chehab Bassilios ofm Centre Franciscain d’Études Orientales Chrétiennes - Le Caire
20 juillet 2010
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En Egypte, trois communautés « coptes » coexistent : les coptes orthodoxes, les coptes catholiques et les coptes évangé-liques. Dans leur toute récente tradition, ces derniers n’ont pas retenu le jeûne, c’est sur celui pratiqué dans les Églises orthodoxes et catholiques que cet article nous éclaire.


La langue arabe, dans certains domaines, n’hésite pas à préciser sa pensée en élargissant son vocabulaire, ainsi les termes relatifs à la pratique ascétique si ancienne du jeûne sont au nombre de trois à savoir :

  1. « ar : inqitâ’ » (= abstinence) = une privation totale de tout aliment et de boisson)
  2. « ar : sawm » (= jeûne) = une privation de certains aliments).
  3. Lorsque le jeûne absolu s’étend sur plus d’un jour, on l’appelle « tayy » (= terme employer pour indiquer qu’une chose est pliée sur une autre).

Chez les coptes, on emploie un quatrième terme par rapport au jeûne eucharistique en arabe : « ihtirâs » (= attention, caution). Pourquoi ? Les coptes eux mêmes donnent la justification. Le jeûne normalement entraîne le fidèle à la tristesse causée par la mortification. Au contraire, l’Eucharistie entraîne à la joie motivée par la rencontre du Seigneur. La tristesse n’a aucun droit d’existence dans ce moment nuptial entre l’âme et le Seigneur. Pourtant, la communion exige une préparation spirituelle aussi à travers le jeûne. Le jeûne eucharistique est à voir donc comme une expression de vénération spirituelle à travers la privation de la nourriture.

Le jeûne eucharistique dans la première Église

La discipline du jeûne eucharistique n’est pas aussi ancienne que la célébration de la messe elle-même, puisque les premières célébrations eucharistiques mentionnées dans les livres du Nouveau Testament décrivent l’Eucharistie précédée d’une Agape. Le premier à contribuer à la promulgation d’une telle discipline pourrait être saint Paul, l’Apôtre des Gentils, d’après ce que le Pape Pie XII écrivit dans sa constitution « Christus Dominus ». Avec sa recommandation aux Corinthiens de séparer l’Agape de l’Eucharistie qui la suivait (1 Co 11, 21 ss) , il aurait sans doute contribué à l’apparition d’une telle discipline dans l’Eglise. Mais sur ce point, les chercheurs ne sont pas tous d’accord. En effet, saint Paul n’a pas condamné le fait de manger en soi, mais plutôt le désordre et les abus qui accompagnaient l’Agape. D’ailleurs, après avoir reproché aux Corinthiens ces abus, il leur conseille de manger chez eux avant de venir à la célébration. Peut-être le temps qui séparait la consommation du repas à domicile de la célébration eucharistique pouvait-il être considéré comme temps de jeûne, si court ou si long fût-il.

A ce point, une question s’impose : quand cette pratique ascétique du jeûne eucharistique a-t-elle vu le jour ? La première attestation claire de ce jeûne se trouve dans un passage d’une lettre que Tertullien écrivit à une femme chrétienne, épouse d’un païen : « que ton mari ne sache pas ce  dont tu te nourris secrètement [= l’Eucharistie] avant de consommer toute autre nourriture »1. Tertullien mourut au IIIe siècle. Avant le troisième siècle, il semble que nous n’ayons aucune trace de la notion de jeûne2.

Quant à la législation canonique concernant le jeûne eucharistique, le premier qui ait discuté de cette matière la rendant obligatoire était le concile d’Hippone (393), dans son 28e canon qui oblige célébrant et communiant de ne pas recevoir la communion après un repas.

Grâce aux documents, tous ceux qui ont étudié la liturgie primitive, nous confirment que vers le IVe siècle, toute l’Eglise, tant en Orient qu’en Occident, observait le jeûne eucharistique3, qui est née d’abord comme une coutume et devenue, par la suite, une loi.

La discipline du jeûne eucharistique a connu d’ailleurs trois étapes importantes dans l’Eglise de Rome. Autrefois, avant Pie XII, on devait jeûner à partir de minuit jusqu’au moment de la communion prévue au matin, suivant en cela les plus anciennes Traditions. Au IVe siècle, la discipline du jeûne eucharistique était déjà pratiquée, comme le note la même constitution de Pie XII. Depuis l’établissement de cette pratique jusqu’à nos jours, elle est passée par ces étapes :

– Un jeûne de neuf heures : ce que l’Eglise copte orthodoxe demande encore aujourd’hui à ses fidèles était pratiqué autrefois par les adeptes du Rite Romain.

– Un jeûne de trois heures : le Pape Pie XII, le 6 janvier 1953, décréta de réduire le jeûne eucharistique à trois heures pour les aliments solides et à une heure pour la consommation des liquides.

– Un jeûne d’une heure : le 21 novembre 1964, le Pape Paul VI réduisit ce jeûne à une seule heure avant la communion eucharistique. C’est la même durée que l’actuel Code de droit canonique précise dans son canon 919.

Le jeûne dans l’Église copte orthodoxe 4

L’Eglise copte orthodoxe reste la plus fidèle à la Tradition des Anciens pour ce qui concerne le jeûne, en général, et le jeûne eucharistique de façon particulière. Avouons-le, pendant les périodes de jeûne, toutes les familles coptes deviennent une extension des monastères. Ceux-ci, au cours de l’histoire, se sont révélés être le refuge de toute la nation copte.

Le jeûne eucharistique dans l’Eglise copte ne concerne pas uniquement privation de nourriture ou de boisson, mais aussi les règles de pureté légales telles qu’elles sont décrites dans l’Ancien Testament. D’après les règles canoniques, une maman copte n’avance pas à la communion sacramentelle avant d’obtenir une absolution qu’elle reçoit quatre-vingt jours après l’accouchement si son bébé est de sexe féminin et pas avant quarante jours si son bébé est de sexe masculin. Ajoutons aussi que la communion sacramentelle est défendue aux femmes pendant leur menstruation.

Le jeûne eucharistique dans l’Église copte catholique

D’après le Droit Particulier des Coptes Catholiques de 2007, le jeûne eucharistique est fixé à une heure au minimum, exception faite pour les malades, en conformité avec le Magistère Pontifical. Ce droit fixe aussi les jours et les périodes de jeûne, ainsi que ceux d’abstinence. (art. 77,94).

Le jeûne eucharistique dans l’Église copte orthodoxe

L’Eglise copte orthodoxe observe strictement le jeûne eucharistique à tel point que ce jeûne ne concerne pas uniquement les fidèles mais aussi les objets liturgiques: autel, patène, calice, etc. Sur le même autel, on ne peut pas célébrer deux messes l’une après l’autre. Aussi bien les personnes comme l’autel doivent être à jeûn pendant neuf heures. Ce jeûne consiste dans une privation totale aussi bien des aliments solides que des boissons.

L’un des articles de la législation liturgique-canonique, connue sous le nom « al-majmû’ al-safawî » (= la somme canonique de Safî ibn al-’Assâl, XIIIe siècle) concernant la communion eucharistique conseille le fidèle de n’avancer à la sainte Table que s’il désire ardemment manger. Ceci marque que le jeûne recommandé pour la communion doit être à sa perfection.

Pour marquer l’ancienneté de cette discipline, les coptes se basent sur des règles liturgiques qui remontent au temps des premières générations. Nous citons, par exemple, une recommandation faite par saint Pierre à son disciple Clément de Rome: « Personne ne communie sans être à jeûn et sans être pur; et si quelqu’un, parmi les fidèles, hommes ou femmes, aura communié, par négligence, après avoir rompu le jeûn, il sera expulsé de l’Eglise pour toujours »5. Des règles de ce genre précisent aussi que le minimun d’heures requises pour le jeûne eucharistique est fixé à neuf heures. D’après le prêtre savant du Moyen-Age nommé Abû-l-Barakât ibn Kabar (+1324), écrivain encyclopédique copte, la pratique des neuf heures requises pour le jeûne eucharistique, fut mentionnée au canon 75 (sic !) du synode de Laodicée (entre 343 et 380)6.

Le sens du jeûne eucharistique

Il n’y a pas de difference entre les catholiques et les orthodoxes concernant les sens du jeûne eucharistique. D’ailleurs, le pape Pie XII en a parlé dans sa constitution de 1953 concernant ce jeûne: manifester plus d’honneur envers le Seigneur, susciter la piété, augmenter les fruits de la sainteté, accroître la charité divine dans les âmes des fidèles, éliminer le sens de « pesanteur » due à la consommation des aliments, et donc plus d’agilité pour l’esprit.

En plus, les coptes justifient ce jeûne par un désir de purification, surtout pour la domination de la passion charnelle. Pour cela, ils insistent sur trois choses préliminaires à la communion: l’état de grâce obtenue par une absolution sacramentelle (confession), le jeûne de neuf heures par rapport aux aliments solides et aux boissons, abstinence sexuelle entre les mariés à partir de la veille, vu que cette Eglise ne connaît pas la célébration vespertine de l’Eucharistie excepté les périodes de jeûne où la messe a lieu dans l’après-midi avec communion vers l’heure de none (hora nona, celle du crucifiement) et les messes, dans la nuit, des grandes vigiles.

Le fait de fixer le jeûne à neuf mois invite les fidèles à méditer sur le ventre de la Bienheureuse Vierge Marie, tabernacle immaculé où l’Enfant Divin est resté pendant neuf mois. Qui s’avance à la communion, dit Anbâ Ruwaîs, doit avoir un ventre semblable à celui de la Vierge Marie, par rapport à la pureté. Les neuf heures de jeûne donneront le temps voulu pour la digestion et la libération du corps de toute nourriture terrestre7.

Les neuf heures de jeûne, chez les coptes, ont aussi une relation avec la Passion du Seigneur. D’un côté, la faim est une participation à la douleur que le Seigneur a éprouvée alors qu’il était sur la Croix. En plus, ces neuf heures rappellent les neuf heures de souffrance le jour du Crucifiement du Seigneur8.

Pour illustrer l’aspect de la purification, on compare le corps du fidèle au tombeau du Christ. Le corps du fidèle, à travers la privation de la nourriture et de la boisson, doit être orné de la pureté pour être à la hauteur de recevoir le Pain des Anges.

Ayant vu les deux pratiques du jeûne eucharistique : celle de Rome et celle des coptes orthodoxes, nous souhaitons très fort que la différence de la pratique entre les catholiques de rite romain et les coptes orthodoxes de rite alexandrin ne soit pas un problème en plus, dans le parcours œcuménique entre les deux Eglises, puisque cette discipline ne relève pas d’une loi divine mais d’une discipline ecclésiastique.

  1. Voir: P. Meloni-R.J. De Simone, “Digiuno e Astinenza”, in Dizionario patristico e di antichità christiane, Ed. Institutum patristicum augustianum-Roma, Marietti, 1983, vol. 1, col. 956.
  2. Voir: A. Bride, “Jeûne eucharistique”, in Dictionnaire de droit canonique (=DDC), Paris, 1954, fascicule XXXI, col. 145
  3. Voir: Idem, ibidem, col. 148.
  4. La liste des périodes de jeûne au cours de l’année liturgique copte est publiée dans le livre de Christian Cannuyer, Les coptes, édition Brépols, 1990, p. 157-158.
  5. Voir: Al-Safî ibn al-‘Assâl (compilateur), Kitâb al-qawânîn (= recueil des canons), Ed. Morqos Girgis, Le Caire, 1927, p. 126
  6. Cité par: Aqlâdîûs Ibrâhîm (diacre), Sirr al-Ifkhâristiyyah fil-tuqûs wal-qawânîn al-kanasiyyah: vol. 1: al-isti’dâd lit-tanâwul bi-isti’qâq (= Le Sacrement de l’Eucharistie dans les rites et les lois ecclésiastiques: vol. 1: La digne préparation à la communion), Giza, 1995, p. 49.
  7. Voir: Idem, Sirr al-Ifkhâristiyyah…, op. cit., p. 50.
  8. Voir: Idem, Sirr al-Ifkhâristiyyah…, op. cit., p. 51.

Dernière mise à jour: 20/11/2023 18:37

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