Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Le puits de la Samaritaine à Sychar

Pietro Kaswalder ofm Studium Biblicum Franciscanum - Jérusalem
21 septembre 2010
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En 2007, l’héroïque reconstruction du sanctuaire du Puits de Jacob à Sychar a enfin été menée à terme. Le mérite en revient au Patriarche Grec Orthodoxe de Jérusalem, Sa Béatitude Théophilos III, et aux moines qui ont travaillé avec obstination pour arriver à ce très beau résultat. Le dernier moine, l’actuel gardien et responsable du sanctuaire johannique, est Abuna Justinos. N’est-il pas providentiel qu’il porte ce nom lequel nous remémore précisément le fameux martyre Justin de Néapolis, l’actuelle Naplouse, qui naquit aux abords de la ville où se trouve le Puits de Jacob (100-160 ap. J.-C.) ? La ville appelée Flavia Neapolis Samariae (dite aussi Colonia Flavia Iulia Neapolis) a été voulue par les empereurs Vespasien et Titus après la victoire sur la Judée en 72 ap. J.-C.

Les visiteurs passés par là ces dernières années se souviennent de l’impression créée par les colonnes et par les murs seulement de quelques mètres. L’édifice en ruines attendait sa reconstruction. L’an 2000 fit renaître l’espoir de voir enfin terminée la nouvelle basilique. Après quelques années d’intense labeur, et malgré l’aggravation de la situation politique durant la deuxième Intifada, la grande basilique du Puits de Jacob pouvait être réouverte au culte chrétien en 2007. Il s’agit d’un imposant édifice de 20 mètres sur 37.

L’aire du puits a été reprises examinée à plusieurs par divers archéologues, parmi lesquels F. M. Abel, L.-H. Vincent, B. Bagatti. Les vestiges plus antiques sont liées au puits lui-même, et ensuite à la première église construite au cours du IVe siècle. Dans le puits, on a récupréré des vases et des tessons de céramique de l’époque hellénistique, période durant laquelle fut probablement creusé le puits. Cela signifie qu’il était déjà en usage au Ier siècle ap. J.-C., à l’époque évangélique. Sur ces considérations, B. Bagatti soutient que « le puits de Jacob ou de la Samaritaine est parmi les sanctuaires les plus documentés de la Palestine ».

Le sarcophage avec l’écusson des amazones remonte à l’époque romaine (IIe ou IIIe siècle ap. J.-C.), ainsi que l’inscription samaritaine qui reproduit le Décalogue (IIIe ou IVe siècle ap. J.-C.). L’amulette en plomb sur laquelle est gravée une formule d’enchantement n’est pas datable avec précision, mais elle pourrait dater de la période romaine tardive. Les mosaïques sont de l’époque byzantine, de même que certaines inscriptions, des céramiques, des chapiteaux et des colonnettes. La margelle du puits de cette époque, qui aurait été celle du temps de Jésus, fut emportée en hommage à Justinien en 558 à Constantinople, où elle fut vénérée durant plusieurs siècles dans la basilique de Sainte-Sophie.

L’autel, les morceaux de portails, les bénitiers, les bases et trois chapiteaux, remontent à l’époque des Croisés. Les fragments de la margelle d’époque croisée qui était large de 75 centimètres et longue de 115, furent déplacés quand fut aménagé le puits actuel (1893).

La récupération du sanctuaire du Puits de Jacob

Le Puits de la Samaritaine était un des sanctuaires le plus recherché au temps de l’Église naissante, à cause de son énorme valeur propédeutique pour la foi chrétienne.

L’histoire de la récupération de ce sanctuaire commença en 1860 quand le Patriarche Grec Orthodoxe de Jérusalem fit l’acquisition des ruines du Puits de la Samaritaine (Bir es-Samiriyeh). De 1893 à 1915 les Grecs effectuèrent des travaux pour réouvrir le puits, et la crypte d’époque croisée construite pour le protéger. La crypte était en mauvais état, et l’on avait accès au puits par un trou ouvert dans la voûte, cf. les dessins exécutés au XIXe siècle, avant la restauration.

Simultanément commencèrent les travaux de reconstruction de la basilique moderne. Les points de repère pour les architectes (C. K. Spyridionis et autres) furent les restes de quelques pavements en mosaïque de la période byzantine, les murs de l’époque des Croisés bien conservés sur les fondations d’environ 3,5 mètres, et de nombreux fragments architecturaux des deux époques. Parmi ces derniers, il y avait : des chapiteaux, des colonnes, des pierres taillées et décorées. On peut encore noter dans le secteur oriental de l’abside, à l’extérieur de la basilique moderne, une partie des pavements en mosaïque malheureusement mal conservés.

En 1893, le puits était libéré des débris qui l’obstruaient et l’eau tant désirée par les pèlerins recommençait à monter. Mais en 1915, lorsque la première guerre mondiale éclata, les travaux furent interrompus. En 1917 du fait de la révolution bolchevique, l’aide financière de l’Église Russe Orthodoxe fut suspendue.

Sychar est distant de 65 km de Jérusalem et 75 km de Nazareth, sur l’ancienne route de la montagne, qui traverse le pays de Jenin jusqu’à Beer Sheva. Le long de cette route de la montagne, se trouvent des sites et des sanctuaires bibliques de grande valeur : Dothan, Sébaste, Sychar, Silo, Béthel, Jérusalem, Bethléem, Hébron.

Jésus s’arrête intentionnellement durant son voyage à travers la Samarie près d’un village appelé Sychar, où il y avait le Puits de Jacob (Jn 4,5-6).

Dans l’Onomastique des lieux bibliques d’Eusèbe de Césarée, écrivain chrétien du IIIe siècle, nous lisons les noms de Sychar, Sichem, du Puits de Jacob, de la tombe de Joseph, le mont Garizim et le mont Ébal. C’est une preuve que la tradition chrétienne du lieu johannique était déjà établie à son époque. Eusèbe indique aussi la position de Sychar par rapport à Néapolis, c’est-à-dire « devant ». Sûrement Eusèbe veu-il dire « à l’orient de », et de cette manière, il nous indique l’exacte position du Puits par rapport à la ville de Naplouse.

Le Pèlerin de Bordeaux (333 ap. J.-C.) affirme avoir vu un bain, probablement le baptistère qui était indiqué aux pèlerins pour qu’ils puissent le vénérer. Quelques décennies plus tard, saint Jérôme dans la traduction de l’Onomastique en latin, ajoute qu’à cet endroit avait été construite une église. L’église, dont nous parle saint Jérôme, a été consacrée par l’évêque Germain ou par son successeur immédiat. Germain était présent aux Conciles de Ancira et de Nea Cesarea en 314, et à celui de Nicée en 32. La première mention d’une église sur le Puits de Jacob remonte à Éphrem le Syrien dans un de ses hymnes.

La Carte de Madaba (560 ap. J.-C.) cite les deux sites, Sychar appelée Sycchora, et le Puits de Jacob lequel est accompagné d’une vignette qui représente une église. Le pèlerin Arculfe (670 ap. J.-C.) décrit l’église qui a la forme de croix grecque, et il propose aussi une précieuse esquisse du sanctuaire construit sur le puits vénéré. Au XIIe siècle sur l’église byzantine a été construite par les Croisés une grande basilique, assignée aux bénédictins de Béthanie. Dans la crypte de la basilique croisée, sous le presbytère était conservé le puits profond de 32 mètres. Les pèlerins médiévaux précisent que le puits se trouvait « devant les portails de l’autel ». Encore aujourd’hui la descente au puits se trouve en face du presbytèrium, celui-ci est dissimulé derrière une magnifique iconostase.

Parmi les premiers témoignages sur ce lieu saint, l’explication exégétique de saint Jérôme mérite d’être exposée. Dans la Lettre 108, qui expose le pèlerinage que sainte Paule effectua avant de se renfermer dans le monastère de Bethléem, nous lisons : « Paule arriva à Sichem, que beaucoup confondent avec Sychar, qui est l’actuelle Néapolis, et elle entra dans une église à côté du Mont Garizim près du puits au bord duquel le Seigneur s’assit, assoiffé et là il fut rassasié par la foi de la Samaritaine ». Comme il l’a déjà fait ailleurs, saint Jérôme mêle à son parcours géographique une subtile annotation exégétique : ce n’est pas seulement la samaritaine qui est revivifiée et sauvée par Jésus, lui le vrai puits d’eau vive selon l’évangéliste Jean, mais c’est Jésus lui-même qui est « rassasié » par la réponse que lui donne la première disciple samaritaine. Les exégètes modernes en revanche insistent plus sur les annotations temporelles. Au puits de Jacob, Jésus arriva fatigué et assoiffé, vers midi (c’était environ la sixième heure). Comme sur le calvaire au moment de la mort, quand Jésus eut soif pour la dernière fois.

Si l’on se base sur ces premiers témoignages, on peut affirmer que le Puits de la Samaritaine a été identifié et visité dès le début de l’ère chrétienne. Plus problématique est l’identification de Sychar, le village d’où provient la Samaritaine. Selon le témoignage du Pèlerin de Bordeaux, le village de Sychar se trouve à mille pas de la cité de Néapolis. Dans l’identification traditionnelle est indiqué Askar, le village arabe né avant le Moyen-Âge et qui se trouve adossé au Puits de Jacob, sur le flanc du Mont Ébal. Askar est une métathèse de Sychar, c’est un nom qui provient du langage militaire, et non pas de la langue grecque, et selon certains exégètes modernes, ce serait une raison pour ne pas reconnaître l’identification de Askar avec Sychar de Jn 4,5.

Un autre nom qui se répète dans la topographie de la région du Puits de Jacob est Tell Balata, identifié comme Sichem. Balata en arabe signifie le « chêne » et il se trouve à environ 50 mètres du puits, vers l’ouest. Le nom Balata nous renvoie certainement au Chêne de Moré mentionné dans la tradition d’Abraham en Gn 12,6 : « Abraham traversa le pays jusqu’au lieu saint de Sichem, au Chêne de Moré. »

Mais on peut aussi le faire dériver de l’annotation faite par le pèlerin de Bordeaux quand il parle des platanes : « À un mille de là il y a un lieu appelé Sicar d’où est descendue la Samaritaine pour se rendre au lieu même où Jacob avait creusé le puits pour y puiser de l’eau et Notre Seigneur Jésus Christ parla avec elle. Là il y a aussi les platanes que Jacob planta et le bain qui était alimenté par l’eau du puits ». Balata et Askar font partie du paysage qui délimite le Puits de la Samaritaine et nous reporte aux origines de ce sanctuaire johannique.

Le mont Garizim et l’Ébal, sont les deux montagnes des traditions bibliques et samaritaines. Le mont Garizim est expressément évoqué dans le dialogue de la Samaritaine : Nos pères ont adoré sur cette montagne (Jn 4,20). Cette phrase nous indique la foi des samaritains qui considèrent sacré le mont Garizim. Par exemple, ils orientent leurs synagogues en direction du mont Garizim, comme les juifs orientent les leurs vers Jérusalem. Sur une très ancienne inscription (IIIe siècle av. J.-C.) de la synagogue de Délos, l’île de la mer Égée où se trouvait une colonie de samaritains en diaspora, nous lisons : « Les israélites de Délos qui ont offert les prémices au temple saint sur le mont Argarizein, rendent honneur à Menippo, fils d’Artemidoro, fils d’Héracléion, les deux et leurs descendants, pour avoir construit et dédié avec leurs biens personnels, en faveur de la synagogue de Dieu ».

Mais surtout, les samaritains transfèrent sur le mont Garizim toutes les principales traditions de l’Ancien Testament, d’Abraham à Moïse, à Josué, à Éléazar, à Samuel.

Sur le Garizim, ils identifient le mont Moria, le Mont Sinaï, le tabernacle de Moïse, le sanctuaire de Galgala, le temple de Jérusalem. C’est pour cela que les samaritains célèbrent sur le Garizim toutes les fêtes du calendrier liturgique, la principale de toutes est la Pâques.

Les samaritains à Sichem

Les rapports entre samaritains, juifs et chrétiens apparaisent en filigrane dans le dialogue entre Jésus et la Samaritaine. Les samaritains représentaient un sérieux problème pour le Judaïsme et pour l’Église naissante. Par exemple en Si 50,26 nous pouvons lire le sévère jugement contre les samaritains : « et le peuple stupide qui demeure à Sichem ». Cette sentence est en parallèle avec le jugement négatif que 2 R 17, 24-41 jette sur la population de Samarie. Dans ce texte, la position des samaritains est jugée comme irréconciliable avec celle du judaïsme naissant du Ve et IVe siècle av. J.-C. Le texte biblique dit qu’en Samarie vivent deux peuples qui ne sont pas des vrais israélites, parce que ce sont des étrangers transplantés ici par les rois d’Assyrie. Ils vénèrent leurs idoles, ignorant la Loi et les Prophètes d’Israël.

La période post-exilique de la reconstruction de Jérusalem et du temple, œuvre de Esdras et Néhémie au cours du Ve siècle av. J.-C. est marquée par le refus réciproque des deux peuples : les samaritains complotent avec le gouverneur Sanballat parce que Jérusalem ne reprend pas son indépendance (Esd 4,12-23 ; Ne 3,33-34 ; 6,1-9). Les juifs de Jérusalem refusent l’aide des samaritains pour la reconstruction des murs de la ville et du sanctuaire (Esd 4,5).

Un jugement aussi négatif sur les samaritains est donné par Flavius Joseph, l’historien juif du Ier siècle ap. J.-C. Il appelle toujours avec mépris les samaritains « kutei », c’est-à-dire de Kutha, en Mésopotamie. Mais à part ces textes négatifs, il y a aussi des sentiments positifs exprimés dans les pages du Talmud : « Quand pourrons-nous les reprendre ? Ils sont des nôtres ; ils se sont éloignés de nous, mais un jour nous les recueillerons parmi nous » (Traité Kutim 28). Comme nous pouvons constater en lisant les textes, la position du judaïsme et de Flavius Joseph à l’égard des samaritains oscille entre l’exclusion totale et le désir de rapprochement.

La position de l’Église naissante n’est pas différente envers ce peuple si particulier. Par exemple au IIe siècle, Justin de Naplouse confirmait la présence de communautés chrétiennes d’origine samaritaine. Au IVe siècle, l’évêque Germain de Néapolis permettait de pratiquer la circoncision. Selon l’interprétation historique plus probable, souligne l’attention pastorale de l’évêque Germain envers la communauté samaritaine-chrétienne.

L’histoire des rapports entre les samaritains et les autres a deux conclusions très tristes. En 128 avant J.-C.le roi asmonéen Jean Ircan avait détruit la ville de Sichem et le temple des samaritains sur le mont Garizim (cf. Flavius, Guerre Juive 1,64-65). Les empereurs byzantins, Zénon en 480 ap. J.-C. et Justinien en 530 avaient supprimé cruellement les rebellions samaritaines soulevées contre la politique byzantine. À la place du sanctuaire samaritain sur le mont Garizim, Zénon avait fait ériger la basilique dédiée à Marie Mère de Dieu (Théotokos). Justinien a exilé les samaritains de la région du mont Garizim, créant ainsi la diaspora à laquelle bien peu de samaritains ont survécu. Ce n’est qu’au cours du XXe siècle qu’ils ont recommencé à vivre dans la ville de Naplouse, dans le quartier de Qiryat Luza sur le mont Garizim, et dans le village israélien de Holon.

La tradition de sainte Photine

La femme de Sychem a été la première disciple de Jésus, elle provenait de la communauté samaritaine. Durant les premiers siècles de l’Église le fait doit avoir créé une grande stupeur et pour cela il a été transmis de plusieurs manières.

Selon une tradition locale très ancienne, le nom de la Samaritaine était Photine et elle avait deux fils, Joseph et Victor. Photine est une parole grecque, qui signifie « Illuminée » si on lui donne un sens passif, ou bien « Lumineuse » si on entend lui donner le sens de celle qui porte la lumière. Selon le calendrier romain, Sainte Photine fut martyrisée avec ses deux fils à Rome au temps de la persécution de Néron. Sa dépouille mortelle a été vénérée durant plusieurs siècles dans la basilique de Saint-Paul hors les murs. Par contre selon une tradition tardive byzantine, la sainte samaritaine était vénérée dans la cathédrale de Néapolis. C’est ce que confirme le Commemoratorium de Casis Dei de l’an 808, le recensement voulu par Charlemagne en tous les territoires de l’empire chrétien.

Ce document dit que dans la grande église (ecclesia magna) de Néapolis se trouve le sépulcre de la Samaritaine. Dans la vignette de la mosaïque de Madaba, Néapolis est dotée de murs de défense, un théâtre, un cardo et plusieurs églises. Une parmi celle-ci pourrait être « la grande église » dans laquelle était conservée la mémoire de la Samaritaine. Cette église avait été transformée en Grande Mosquée (cf. l’historien al-Muqaddasi) et plus tard reconstruite comme basilique chrétienne à l’époque des Croisés. Le portail croisé, qui est semblable à celui qui est au Saint Sépulcre de Jérusalem, était visible jusqu’au tremblement de terre de 1927, cf. les descriptions et dessins du siècle dernier.


Un lieu des noms

Sychar est aussi connue sous les noms de Naplouse, Nablus, Tel/Tell Balatah, Nabulus, Neapolis, Shakim, Shekhem, Shechem, Sychar et Sychem.


Saint Philoumène le chypriote, martyr

Depuis 2008, l’Église grecque orthodoxe de Jérusalem compte un nouveau saint et martyr : saint Philoumène le chypriote. Il a été torturé et finalement mis à mort à coups de haches, le 29 novembre 1979, par des fanatiques juifs qui exigeaient que tous signes chrétiens soient enlevés avant de s’emparer de l’antique lieu biblique. En novembre 2009, le Patriarche Théophilos III est venu honorer le corps du saint qui repose désormais dans l’église. Dans son homélie, il a rappelé que « l’Église à Jérusalem est fondée sur le sang du Christ, le sang qui a coulé sur le Golgotha pour le pardon des péchés du genre humain et son salut…»

Dernière mise à jour: 21/11/2023 10:43

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