Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Saint Étienne le premier martyr, une tradition hors-les-murs

Textes : Paul Turban
30 novembre 2018
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Le culte de saint Étienne, premier martyr de la communauté chrétienne, fut très populaire dès le début du christianisme. Si le récit de sa mort nous a été transmis par saint Luc dans ses Actes des Apôtres, le lieu précis du martyre n’est pas renseigné. Cela donne lieu à débat jusqu’à nos jours…


Le jugement d’Étienne au Temple

Étienne, Stephanos en grec, était “un homme plein de foi et d’Esprit saint” (Ac 6, 5). Il fit partie des sept premiers diacres (diakonos = serviteur) choisis par les Apôtres pour le service de la communauté chrétienne croissante de Jérusalem. Accusé de paroles blasphématoires (Ac 6, 11), il fut jugé par le sanhédrin, tribunal d’Israël (Ac 7). Ce tribunal se rassemblait dans la salle dite “des pierres taillées”, dans l’enceinte du Temple, sur l’actuelle esplanade des mosquées. “Et après l’avoir entraîné hors de la ville ils le [lapidèrent]” (Ac 7, 58).
Le lieu du martyre n’est ainsi pas précisé.

 

Aller-retour pour Caphargamala

Le récit de la lapidation d’Étienne à la fin de Ac 7 est très bref. Il se termine par l’indication que “des hommes craignant Dieu ensevelirent Étienne et firent grande lamentation sur lui” (Ac 8, 2), après quoi la trace du saint disparaît. La tradition place en 415 l’invention des reliques de saint Étienne, bien qu’elle pourrait être quelque peu antérieure. Le prêtre de Caphargamala Lucien aurait eu une vision de Gamaliel, docteur de la Loi et maître de Saul, le futur saint Paul, qui lui aurait permis de découvrir la tombe du martyr. Cette découverte aurait eu lieu dans l’actuelle propriété des salésiens à Beit Jamal, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de la ville sainte. Des vestiges du Ve siècle ont permis la localisation récente de la première tombe d’Étienne. Le martyr y aurait été inhumé par Gamaliel au côté du prêtre Nicodème, qui aida Joseph d’Arimathie à descendre Jésus de la croix. Les reliques d’Étienne, ainsi exhumées, furent transférées à Jérusalem le 26 décembre.

 

À en perdre son latin…

La version originale de la lettre de Lucien, narrant l’invention des reliques, a été perdue. Elle nous est connue par une version latine, traduite par le prêtre Avitus, et par des versions en langues orientales. Il serait bien laborieux d’en faire ici la liste. Ce qu’il est important de noter est que quelques versions placent le lieu du martyre foris portam quae est ad aquilonem, à l’extérieur de la porte du nord.
Ce n’est pas le cas de toutes, et cette mention pourrait être un ajout postérieur. L’autre mention directionnelle est quae ducit ad Cedar, qui mènent à “Cedar”, mention pour le moins énigmatique. Certains veulent y lire “Cédron” mais rien ne le justifie. D’autres, comme le dominicain fondateur de l’École biblique Marie-Joseph Lagrange, ont voulu y voir une déformation de l’abréviation de Caesar(eam) (Césarée), ce qui indiquerait le nord, mais cette lecture est critiquée. Cédar est mentionné dans la Bible comme fils d’Ismaël (Gn 25, 13). Ce peuple aurait vécu dans la région de Damas, au nord de Jérusalem, selon la chronique de Lagrange dans la Revue biblique de janvier 1900. L’archéologue Charles Clermont-Ganneau émet des doutes dans le numéro de la revue suivante et ajoute qu’il y voit plutôt “le nom (peut-être estropié) de quelque point des environs immédiats de Jérusalem.”

 

Escale à Sion

Les reliques de saint Étienne découvertes à Beit Jamal furent rapatriées dans la grande église du Mont Sion, “la mère de toutes les églises de Jérusalem”, dans l’attente de la construction d’un sanctuaire digne de recevoir les restes du protomartyr. Elles y demeurèrent jusqu’en 439, après quoi elles furent transportées à l’église placée sous le vocable du saint. Entre le IXe et le XIe siècle, le souvenir d’Étienne fut de nouveau commémoré à la Sainte-Sion, après que la basilique d’Eudocie (cf. “La tradition du Nord”) eut été détruite. La présence d’une pierre de la lapidation dans le trésor de l’église-mère de la ville sainte ainsi que le souvenir du passage des reliques eurent pu mener certains à placer le martyre à cet endroit. Aujourd’hui disparue, la basilique de la Sainte-Sion se dressait à l’emplacement de l’actuelle église
de la Dormition.

 

La tradition du Cédron

L’église grecque-orthodoxe Saint-Étienne est située dans le Cédron, entre la basilique de Toutes-les-Nations de Gethsémani et les remparts de la vieille ville de Jérusalem. Les franciscains de la custodie s’y rendent en pèlerinage le 26 décembre, fixant là le lieu de la lapidation. On y trouve une grotte, réputée être le théâtre du martyre. Le sol de ce lieu sous-terrain est le vestige d’un escalier antique, sur lequel ses persécuteurs auraient emporté Étienne pour le lapider hors de l’enceinte de la ville. La découverte en 1904 d’un fragment de linteau portant une inscription laissa penser un temps qu’une église y aurait été élevée dans la première moitié du Ve siècle. Il s’est néanmoins avéré que cette pierre avait été déplacée depuis Beersheba dans le désert du Néguev, où a été découverte la partie manquante de ce fragment. Une église semble bien avoir existé là, probablement dès le Ve siècle. Raoul de Caen par exemple plaça au début du XIe siècle dans la vallée du Cédron, près de Gethsémani, le lieu de la mort d’Étienne. L’église actuelle date du XXe siècle.

 

La tradition du nord

Après la découverte du tombeau de saint Étienne, l’impératrice Eudocie décide de bâtir une immense basilique en souvenir du martyr à qui elle vouait une dévotion particulière. Elle l’a faite construire au nord de la ville, sur le bord de la route qui menait vers Césarée. La seconde tradition place ici le lieu du martyre d’Étienne
(cf. “À en perdre son latin…”).
C’est le couvent Saint-Étienne actuel des dominicains. Elle est dédicacée en 460. La tradition explique que les reliques sont transférées en mai 439. L’impératrice Eudocie se fit inhumer là.
Le sanctuaire fut détruit par les Perses en 614. Un petit oratoire est construit par le patriarche Sophrone dans les ruines.
Les Croisés trouvèrent à leur arrivée le lieu en l’état, et reconstruisirent une basilique dédiée au protomartyr.
L’actuelle basilique a été achevée en 1900.

Dernière mise à jour: 04/03/2024 14:32