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Le tunnel à remonter le temps

Marie-Armelle Beaulieu
30 janvier 2018
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Le tunnel à remonter le temps
Sur les pas du Christ Dans la salle hérodienne, Yaël explique au groupe que les dalles au sol sont de l’époque d’Hérode et que par conséquent Jésus les a foulées.

Savez-vous que le mur des Lamentations mesure 488 m de long ?
Dans votre souvenir c’était bien moins ? C’est probablement parce que vous ne l’avez pas vu tout entier. A la recherche du mur, quelques pieds sous terre et sur les pas de Jésus.


Approchez-vous, approchez-vous, n’hésitez pas à venir à mes côtés. Il faut que tout le monde puisse voir la maquette.” Yaël rassemble autour d’elle les pèlerins comme une poule ses petits sous son aile. Avec le même empressement inquiet, désireuse de leur donner le meilleur.

La maquette en question, c’est celle du mont Moriah. Cette colline de Jérusalem sur laquelle le roi David, selon la tradition juive, fera apporter l’Arche d’Alliance pour la déposer sous une tente. “Savez-vous pourquoi David n’a pas construit de temple ? demande Yaël aux visiteurs, parce qu’il avait trop de sang sur les mains. Pour construire le Temple, il fallait un homme de paix. Et qui est cet homme ?” Le groupe – majoritairement constitué de pèlerins chrétiens de Côte d’Ivoire – connaît sa leçon. Il s’agit de Salomon. “Salomon se dit en hébreu Shlomo et Shlomo a la même racine hébraïque que le mot paix, le shalom.” (2Ch 22, 8-10)

Yaël Escojido parle vite mais de façon très articulée de sorte qu’on ne peut pas manquer une de ses paroles. Par souci de pédagogie, elle n’hésite pas à reformuler et à interpeller son auditoire. En deux minutes chrono, elle vous retrace 3 000 ans d’histoire du Mont Moriah et de la ville pour finalement vous dire : “Aujourd’hui, nous nous consacrerons à l’époque du second Temple.” Et plus précisément aux résultats des embellissements apportés par Hérode, et singulièrement à cette enceinte enserrant le sommet de la colline dans une plate-forme appelée par les juifs le Mont du Temple, Har ha Bayit. Le groupe est attentif malgré la moiteur ambiante que des ventilateurs surpuissants essaient d’atténuer dans un vrombissant d’air et de bruit. Nous sommes dans les entrailles de la terre, dans une des salles souterraines où commence la visite du tunnel du Kotel.

 

Les trous creusés dans les pierres ont pu servir à y emboiter des poutres, qui soutenaient un toit.

 

Le kotel c’est le mot hébreu pour dire le mur. Le mur dont il s’agit c’est le mur occidental. HaKotel HaMa’aravi en hébreu. Quand les pèlerins se rendent au mur, improprement appelé “des lamentations”, ils n’en voient que les 57 m aménagés depuis 1967 pour la prière des juifs. Mais le mur qui fait face à l’occident est long de 488m. C’est tout le côté ouest du mur de soutènement construit, à l’époque hérodienne, pour délimiter le Mont du Temple.

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En juin 1967, quand les Israéliens s’emparèrent de la vieille ville de Jérusalem, ils pénétrèrent sur l’esplanade des mosquées. Le drapeau israélien fut déployé au sommet du Dôme du Rocher. Mais le général Moshé Dayan, qui avait conduit les troupes à la victoire, comprit très vite les conséquences que pourrait avoir la souveraineté juive sur le troisième lieu saint de l’islam. Dayan ordonna donc que l’on fit descendre les couleurs israéliennes et assura au grand mufti que l’esplanade resterait sous autorité musulmane. Dès lors restaient aux juifs les abords extérieurs de ce lieu où s’élevait, jusqu’en l’an 70 de notre ère, le Temple. En 48 h, les Israéliens rasèrent le quartier appelé “des Maghrébins” pour créer devant une portion du mur l’esplanade que l’on connaît aujourd’hui. Et partout où ils le purent – de fait aux abords des murs sud et ouest – ils conduisirent des fouilles en faisant une lecture à leur profit du paragraphe 12,2b de la Convention de La Haye selon laquelle “constitue une infraction” le fait de “procéder à des fouilles archéologiques de biens culturels dans un territoire occupé, à moins qu’elles ne soient absolument indispensables à la sauvegarde, à l’enregistrement ou à la conservation de ces biens”. Pour les Israéliens, il s’agissait d’aller à la recherche de ce que l’archéologie pourrait leur apprendre de l’histoire de la dernière Jérusalem juive, avant l’époque romaine, celle de la période du second Temple construit de 536 à 516 av. J.-C. et revisitée par le roi Hérode à partir de 20 av. J.-C.

Cinquante ans après, ces fouilles ont dévoilé de nombreux pans de l’histoire de la ville. Le tunnel du Kotel est un de ceux-là qui permet précisément de suivre sur toute la longueur de ses 488 m le mur occidental.

Un dédale sous la ville

On accède à la billetterie et à l’entrée du tunnel sous l’arche où s’achève la rue Al-Wad qui mène tout droit à la porte de Damas. Les groupes doivent réserver. Les touristes particuliers peuvent espérer se joindre à l’un d’entre eux mais il demeure plus prudent de s’enregistrer. Yaël est venue chercher son nouveau groupe “en surface”. A sa suite, il a emprunté un dédale d’escaliers et de couloirs voûtés. Délaissant la maquette et son explication, Yaël se dirige vers le cœur de la visite tout en parlant dans un microphone. “Quand les Mamelouks arrivèrent il y a 700 ans, ils s’installèrent dans la vallée en contrebas du Mont du Temple. Comme l’islam leur commande de prier cinq fois par jour, cinq fois par jour ils devaient monter vers l’esplanade et leur lieu de culte. Aussi ont-ils eu l’idée de mettre la ville à niveau ou presque de l’esplanade. Et comment ont-ils fait pour mettre la ville à niveau ? Regardez au-dessus de vous. Ils ont construit des arches et des arches et des arches pour bâtir au-dessus la ville des Mamelouks.” On est forcément stupéfait par cette audace : rehausser le niveau de la ville ! Mais alors qu’aujourd’hui ces espaces sont dégagés et accessibles, cela n’a pas toujours été le cas.

Il y a 150 ans, les archéologues anglais Wilson et Warren avaient déjà dégagé le mur sur toute sa longueur et procédé à des fouilles. Mais depuis 50 ans les Israéliens s’emploient à les reprendre, ce qui revient en grande partie à vider les remblais et immondices accumulés dans les sous-sols de la ville mamelouk.

Après le temps des fouilles, il fallut viabiliser l’itinéraire pour la visite qui fut ouverte au public en 1984. Durant les premières années les touristes qui s’aventuraient devaient rebrousser chemin une fois le bout de l’étroit tunnel atteint. En 1996, Ariel Sharon, alors ministre de la Défense, autorisa que l’on perçât le mur qui donnait sur la Via Dolorosa au niveau de la 2e Station. Cette sortie débouchant en plein quartier musulman, les Palestiniens y virent une provocation et les émeutes qui s’en suivirent aussitôt aboutirent à la mort de plus de 60 Palestiniens et 15 soldats israéliens.

 

 

Histoires et anecdotes

Yaël poursuit la visite. Au bas d’un escalier et devant le mur, elle explique les caractéristiques des pierres hérodiennes et leurs refends sculptés. Puis elle s’attarde sur l’une d’entre elles : elle mesure 13,66 m de long et 3,3 m de haut. Son poids est estimé à 570 tonnes soit l’équivalent de 8 chars d’assaut. Et jusqu’à ce jour, on ignore comment elle a pu être hissée au niveau où on la trouve.

Ici, par un regard aménagé au sol, on voit qu’on est encore très loin du niveau le plus bas. Yaël parle de la déclivité du terrain et l’on reste songeur sur ce qui pourrait encore être trouvé sous nos pieds. Là, devant un mur aux pierres grossières, on apprend être devant la porte dite “de Warren”. À l’époque du second Temple, elle donnait accès à l’esplanade. On raconte qu’au Moyen Âge, les juifs y installèrent une petite synagogue appelée Ha Ma’ara, “la grotte”. Mais la porte fut de nouveau murée. Tout à côté, on croise quelques femmes juives. Il y en a toujours à cet endroit. La face contre le mur, ou cachées dans leur livre de prière, elles ondulent au rythme de leurs cantilènes. Elles prient là parce qu’elles sont géométriquement plus proches et dans l’axe du lieu présumé du Saint des Saints. Plus loin encore, on arrive au lieu dit de “la place hérodienne”. Son pavage est d’époque. Yaël explique que nous sommes au niveau d’une rue du marché et que sans l’ombre d’un doute Jésus est passé par là. Une femme africaine, à l’idée que Jésus ait pu fouler ce sol, s’est mise pieds nus.

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Au bout du tunnel, on plonge dans un canal creusé dans le rocher par les Hasmonéens, avant de déboucher sur la seconde partie du bassin du Strouthion, l’autre partie étant chez les sœurs de Sion à l’Ecce Homo. Quand on ressort à l’air libre, une heure vient de s’écouler. On aurait pu en passer deux avec Yaël, pour entrer dans les détails. Et à la fois, on est pris d’un léger étourdissement et d’une forme d’ivresse d’avoir remonté le temps si vite.

Dans le quartier musulman, où débouche le tunnel, plus personne ne fait plus attention aux touristes qui en sortent. Chacun reprend le cours de son séjour à Jérusalem qui n’a pas encore dévoilé toutes ses surprises. Yaël, elle, retourne au travail accueillir un autre groupe en passant par l’extérieur pour respirer un peu et voir la lumière du soleil. Elle aimerait bien que davantage de pèlerins francophones demandent à faire la visite qu’elle se ferait un plaisir de guider. “C’est important non ? pour un chrétien de mettre ses pas sur les pas de Jésus ? Parce que tu as compris, là, dans la Via Dolorosa, on n’est pas à la bonne hauteur tandis qu’au tunnel….” Message reçu.

Dernière mise à jour: 30/01/2024 14:37

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