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Orthodoxie: l’Eglise russe rompt avec le primat de Chypre

Christophe Lafontaine
24 novembre 2020
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Orthodoxie: l’Eglise russe rompt avec le primat de Chypre
Chrysostome II, l'actuel primat de l'Eglise orthodoxe de Chypre avec le titre d'Archevêque de Nouvelle Justinienne et de tout Chypre (depuis le 5 novembre 2006) © Church of Cyprus

Le 20 novembre, le Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe russe a constaté l’impossibilité de la communion eucharistique avec l’archevêque grec-orthodoxe de Chypre, qui a reconnu il y a un mois l’Eglise orthodoxe d’Ukraine.


Le monde orthodoxe n’en finit plus de se déchirer avec la crise dite ukrainienne. C’est maintenant au tour de ce petit coin de Terre Sainte qu’est Chypre d’en être secoué. De fait, après la reconnaissance de la part des Patriarcats orthodoxes de Constantinople puis d’Athènes et d’Alexandrie, de la nouvelle Eglise orthodoxe d’Ukraine, le primat actuel de l’Eglise grecque-orthodoxe de Chypre leur a emboîté le pas le 24 octobre dernier.

L’Eglise orthodoxe d’Ukraine est devenue une Eglise autocéphale orthodoxe le 5 janvier 2019 quand le patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée Ier, lui a accordé le « tomos », c’est-à-dire l’indépendance canonique. A sa tête se trouve le métropolite Epiphane de Kiev et de toute l’Ukraine.

Les Eglises orthodoxes canoniques autocéphales, indépendantes sur le plan juridique et administratif, sont unies les unes aux autres par la confession d’une foi commune et une reconnaissance réciproque. Cette unité dans la foi se manifeste lorsque le primat d’une Eglise autocéphale, célébrant la Divine Liturgie – la messe chez les orthodoxes -, mentionne dans ce qu’on appelle les diptyques les noms des primats des autres Eglises autocéphales. L’inverse signifie une rupture ou une non-reconnaissance.

Bien que l’Eglise de Chypre ne soit pas un patriarcat, elle doit son autocéphalie à un concile œcuménique en 431. Ainsi lorsqu’à la fin octobre, Chrysostome II a commémoré dans les diptyques pour la première fois Epiphane comme « Primat de l’Eglise d’Ukraine », il a de fait reconnu la nouvelle Eglise, autrement dit, il est entré en communion spirituelle avec celle-ci.

Un primat considéré comme schismatique

La nouvelle Eglise est le fruit d’un concile qui a eu lieu le 15 décembre 2018, et qui a réuni en Ukraine deux Eglises non canoniques. C’est-à-dire qu’elles n’étaient pas en communion avec le reste du monde orthodoxe. Elles s’étaient séparées au cours du XXe siècle de l’Eglise orthodoxe ukrainienne. Cette dernière est rattachée canoniquement au Patriarcat de Moscou. Elle est actuellement dirigée par le métropolite, Onuphre de Kiev. Cette Eglise dite « loyale » ne reconnaît évidemment pas la nouvelle Eglise autocéphale comme le Patriarcat de Moscou à qui elle est attachée, et qui la voit échapper à son contrôle. C’est ainsi qu’il a rompu la communion eucharistique successivement avec Constantinople, puis Athènes et Alexandrie, qu’il considère comme schismatiques Ce qui signifie que désormais, tout prêtre orthodoxe relevant du Patriarcat de Moscou se voit interdit de concélébrer avec des prêtres de l’Eglise orthodoxe sous égide constantinopolitaine. Et logiquement, le 20 novembre dernier dans un communiqué, le Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe russe a déclaré avoir décidé de rayer des diptyques de l’Eglise orthodoxe russe, l’archevêque de Chypre. Il ne sera donc plus commémoré lors des Divines Liturgies et est donc désormais considéré comme schismatique.

Une décision non-synodale

Cette décision ne concerne cependant – en tous les cas pour le moment – que sa personne et non l’Eglise de Chypre toute entière, car la décision n’a pas été prise en coordination avec le synode de Chypre. C’est ce qu’ont rappelé dans une lettre conjointe datée du 24 octobre quatre métropolites de l’Eglise de Chypre. Ils ont aussi accusé Chrysostome II de « violation flagrante de l’organisation conciliaire, collégiale et démocratique de [leur] Eglise orthodoxe ». Dans leur déclaration, les métropolites Nicéphore de Kykkos, Athanase de Limassol, Isaïe de Tamassos et Nicolas d’Amathonte ont appelé Chrysostome II à revenir « immédiatement » sur sa décision qu’ils jugent « anticanonique  et invalide ». D’après le journal Orthodoxie, de son côté Chrysostome II assure « bénéficier du soutien de l’écrasante majorité de ses seize évêques ». De plus, dans une interview à l’agence de presse ecclésiastique Romfea, il assure qu’il avait le droit unilatéral de faire cette commémoration. Il a aussi déclaré que depuis la commémoration d’Epiphane qu’il a actée, personne n’avait demandé une réunion du synode.  A noter que le patriarche Théodoros d’Alexandrie avait également commémoré Epiphane sans vote formel préalable du synode de son Patriarcat.

Prise de distance avec la Russie ?

La position de Chrysostome II n’a pas toujours été la même. Dans une lettre datant de 2018, pour le 1030e anniversaire du baptême de la Russie, Chrysostome II avait clairement exprimé son soutien au Patriarcat de Moscou : « L’Eglise chypriote (…) soutiendra de toutes ses forces la position de l’Eglise orthodoxe russe (…). C’est là [en Ukraine] que sont vos racines spirituelles, et on ne saurait vous en arracher ». Il s’était ensuite proposé d’être un médiateur dans cette question ukrainienne. Les primats des Eglises d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem avaient même déclaré en avril 2019 souscrire à cette initiative.

Puis, en novembre 2019, Chrysostome II avait désapprouvé le comportement du Patriarcat de Moscou après la reconnaissance par le Patriarcat d’Athènes de la nouvelle Eglise d’Ukraine. « Je considère, avait-il dit, inacceptable la position du patriarche de Moscou. On ne cesse pas la commémoration d’un autre primat parce qu’on est en désaccord avec sa position. Ce n’est que lorsqu’il devient hérétique que l’on cesse la communion avec lui. Et ce que je sais, c’est que ni le patriarche œcuménique, ni l’archevêque d’Athènes, ne sont hérétiques ».

Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a commenté le 24 octobre dernier, l’évolution de la position de Chrysostome II. « Ce n’est un secret pour personne, explique-t-il, que des pressions ont été exercées sur lui par le patriarche de Constantinople (…). Il y a eu aussi des pressions de la part des Etats-Unis, qui ont intérêt à affaiblir l’Eglise russe et à provoquer un conflit entre le monde grec et le monde slave ».
Toutefois, le métropolite a ajouté que le Patriarcat de Moscou restera « en communion » avec les hiérarques qui ne reconnaîtront pas l’opinion personnelle de l’archevêque de Chypre. « Les Russes, assure-t-il, ont toujours été proches des Chypriotes, nos pèlerins continueront à se rendre aux sanctuaires des métropoles de l’Eglise chypriote dont les chefs resteront en communion avec l’Eglise russe ».

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