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Dr Rabbin Eliora Peretz : “Mon rabbinat, je le dédie aux femmes”

Propos recueillis par Cécile Lemoine
23 novembre 2022
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Avant d’être absorbée dans les études rabbiniques Alexandra Eliora Peretz a écrit plusieurs articles dans Terre Sainte Magazine. Ici, elle est en visite dans les nouveaux locaux ©MAB/CTS

Née et éduquée dans une famille chrétienne française, Dr Eliora Peretz a été ordonnée rabbin en janvier 2022 à Jérusalem. Une première pour une femme juive orthodoxe convertie. Un parcours entre quête spirituelle et questionnements intimes, le tout coloré d’un féminisme qui promet un vent de fraîcheur dans le judaïsme contemporain. Rencontre.


Née en France en 1981, Alexandra Eliora Peretz s’est convertie au judaïsme en 2009 et a été ordonnée rabbin orthodoxe en janvier 2022. Son diplôme, obtenu après trois années d’études intensives, n’est pas reconnu par le rabbinat israélien. Elle ne pourra donc pas officier dans une synagogue.

Comment êtes-vous arrivée au judaïsme ?

Ma mère est d’origine suisse protestante et mon père breton catholique. J’ai reçu une éducation catholique, classique, jusqu’à l’âge de 15 ans. Mais ça ne marchait pas. Dès 8 ou 9 ans, j’étais agitée par des questions spirituelles très fortes. Je me demandais pourquoi on mangeait Jésus pendant la communion, pourquoi on vénérait des statues, ou pourquoi allumer un cierge allait me mettre en connexion avec un saint. Mes questions n’ont jamais trouvé de réponses. J’ai vécu un long et silencieux désert spirituel. J’avais la sensation de faire partie d’un groupe mais de ne pas en accepter  les codes. Je copiais les gestes sans en comprendre le sens.

J’ai découvert le judaïsme à peu près au même moment, grâce à ma prof particulière d’anglais, qui était juive. J’ai fini par réaliser que Jésus était juif. J’ai eu ce cri du ventre : je ne comprends rien, et j’ai peur de faire des erreurs vis-à-vis de Dieu. Une vraie souffrance. A 17 ans, je suis devenue jeune fille au pair dans une famille juive libérale de Londres. J’ai vécu un truc “wahou”. Toutes les questions que je posais trouvaient des réponses : pourquoi on ne mélange pas la viande et les produits laitiers, pourquoi on allume les bougies le vendredi… On sait ce qu’on fait, pourquoi on le fait, on en parle en famille.

Ce cadre, où la religion et la vie de famille sont imbriquées dans un épanouissement individuel, c’était une recette qui me plaisait bien. L’autre moment-clé, ça a été l’année passée à Jérusalem dans le cadre d’un échange avec l’Université hébraïque pendant mon doctorat. Un point de non-retour. J’y ai rencontré des juifs du monde entier, une diversité phénoménale de pratiques. Le judaïsme n’était déjà plus un choix, mais une évidence, et c’est à ce moment-là que j’ai décidé de me convertir. C’est comme si l’enfant de 9 ans avait enfin ses réponses (émotion). On a le sentiment qu’on n’a pas été oubliée dans les vagues de la vie. Qu’on m’a prise par la main, que ça a été un peu long, mais que j’y suis arrivée. Il y a de l’euphorie, et un stress monumental : comment faire ? Par où commencer ? Quel type de judaïsme choisir ? L’alyah… C’est le bazar. Il faut faire les bons choix, ce n’est pas facile, on est repoussé plusieurs fois. J’ai dû faire deux conversions orthodoxes, la première en 2009 à New York, et la seconde avec le rabbinat en Israël en 2013.

VOCABULAIRE

Rabbin au féminin

Il n’existe à ce jour aucun mot pour désigner une femme rabbin orthodoxe.

En hébreu, la rabbanite désigne la femme du rabbin. La “rabba” est plutôt associée au courant libéral du judaïsme.

Quant au mot “rav”, le titre qui apparaît sur le diplôme d’Eliora, il signifie “beaucoup” et est également donné aux hommes du rabbinat d’Israël, à la manière du titre “Dr”.

Reste le mot “rabbine”… Charge à l’Académie française de trancher la question.

Qu’est-ce que vous avez trouvé dans le judaïsme que vous n’aviez pas dans le christianisme ?

J’ai beaucoup de respect pour le christianisme, mais je pense qu’il y a pour moi un mélange de deux choses. La première, c’est le fait de respecter les gens qui posent des questions et de trouver ça bien. Dans le judaïsme, poser une question, c’est central, c’est valorisé. La deuxième, c’est la résilience d’un peuple, les forces de vie, cette capacité à être en relation avec Dieu 24 h sur 24. C’est complètement intégré dans la vie quotidienne. En Israël, les gens prient dans le bus, avant de boire, de manger… C’est la pleine conscience de Dieu, sans dogme, sans jugement. On n’a besoin de la validation de personne. On sert et on aime Dieu dans la liberté et ça change tout.

Qu’est ce qui est le plus difficile dans le judaïsme ?

Peut-être le jeûne. Il y en a deux, qu’on appelle “majeurs”, où l’on ne boit pas et ne mange pas pendant 25 h. Et d’autres, les jeûnes “mineurs”, ou c’est seulement du lever au coucher du soleil.

Votre relation à Dieu a-t-elle changé avec la conversion ?

Non. Je ne me l’explique pas mais déjà très jeune j’avais conscience d’un Dieu unique, omniprésent, omnipotent et omniscient. La Trinité, c’était très compliqué. C’est cette conception de Dieu qui m’a guidée, qui a été le fil conducteur de mes choix et de ce que je suis devenue. Le judaïsme m’a donné les outils pour construire une relation intime avec Dieu, au travers des commandements, de la Torah et de l’étude.

Femme rabbin et orthodoxe, qu’est-ce que ça veut dire et comment c’est possible ?

L’orthodoxie, c’est suivre la “doxa”, la règle. C’est être au plus proche des commandements. Être rabbin orthodoxe c’est suivre une formation sur des textes millénaires enseignés de génération en génération depuis Moïse au mont Sinaï. J’ai étudié au Beit Midrash Harel à Jérusalem, avec le rabbin Herzl Hefter qui a créé l’un des seuls programmes d’étude rabbinique orthodoxe ouvert aux hommes et aux femmes. Le titre de rabbin me permet de répondre aux questions relatives à l’application de la loi juive dans le quotidien des gens. Je n’ai pas de synagogue mais je donne des cours, en ligne et en personne, aux juifs du monde entier. D’ici cinq ans nous serons cinq femmes francophones orthodoxes ordonnées rabbins en Israël et aux États-Unis. Ces libertés de choix et d’engagement sont peut-être vues comme une sorte de menace par certaines personnes. Alors je m’adapte, je fais le caméléon. Je marche sur des œufs en permanence. Pas par peur, mais par respect. Je suis là par amour du peuple juif pas pour créer des tensions.

Qu’est-ce qui vous a motivée à devenir rabbin ?

Je me suis rendu compte que si je voulais continuer à apprendre, il n’y avait pas d’autre choix que de faire l’école rabbinique. Traditionnellement les femmes étudient la Bible, et c’est tout. Elles n’ouvrent pas tous ces livres qui commentent les règles et les lois. Or il y en a toute une partie qui gèrent ce qui est de l’ordre de l’intime : les règles, les relations sexuelles, la contraception, le plaisir… Dieu est présent jusque dans les lits ! Et jusqu’à il y a peu, les femmes francophones n’avaient que très peu de femmes à qui parler de tout cela. C’est difficile d’aller voir un rabbin homme sur ces sujets-là. C’est pour cela que mon rabbinat, je le dédie aux femmes, aux jeunes filles. Je me suis spécialisée dans tout ce qui concerne les lois du deuil, mais adapté aux femmes : avortement, mort-nés, fausse-couche… Je pense que le fait d’être convertie m’a poussée à comprendre mon judaïsme pour le transmettre avec sens aux autres. L’étude du texte c’est la rencontre avec le divin. C’est fascinant. C’est cet amour et cette joie que j’ai envie de transmettre. Je veux montrer que c’est possible d’approcher ces textes en étant une femme.

Qu’est-ce que les femmes peuvent apporter au judaïsme ?

Ça va tout changer, que des femmes puissent avoir une expertise sur la loi juive. Le Talmud, c’est le même texte depuis 2000 ans. Mais parce que je suis une femme, je le lis différemment. D’une certaine manière, le judaïsme s’ouvre aux femmes. On leur donne une autre place car elles ont soudain les outils pour poser des questions. La plupart des textes sont en araméen et pas accessibles à la majorité des gens. J’ai été enseignée par des hommes uniquement. Aujourd’hui je traduis cet enseignement et l’adapte pour les femmes. On sent que les choses bougent. Les femmes veulent savoir, apprendre. C’est le même schéma pour toutes les religions.

FICHE D’IDENTITÉ

Bio express

Née en France en 1981, Alexandra Eliora Peretz est titulaire d’un doctorat en sciences de la communication à l’Université de la Sorbonne. Spécialiste du rôle des médias pendant les négociations de paix et au cours des processus de justice transitionnelle, elle est maître de conférences à l’Université hébraïque de Jérusalem, où elle habite.

Éduquée dans la religion catholique, elle s’est convertie au judaïsme en 2009 et a été ordonnée rabbin en janvier 2022.

Dernière mise à jour: 24/11/2022 14:09

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