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Les révolutions 10 ans après, la parole aux femmes

Manuela Borraccino
17 mars 2021
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Les révolutions 10 ans après, la parole aux femmes
Une camionnette avec des Syriens à bord, déplacés à l'intérieur du pays, en octobre 2019.

Il existe un lien très étroit entre les femmes, la paix et la sécurité, a reconnu la résolution 1325 approuvée par le Conseil de sécurité des Nations unies, le 31 octobre 2000. Pourtant, la place accordée aux femmes dans les processus de paix en Afrique du Nord et au Moyen-Orient reste très faible.


« La révolution en Syrie – raconte l’activiste et juriste syrienne Joumana Seif au téléphone depuis l’Allemagne – a commencé comme une très forte poussée collective de la base pour la liberté, la dignité et l’égalité. Aujourd’hui encore, je revis l’étonnement de voir une mer de femmes, jeunes et moins jeunes, descendre dans la rue ce printemps-là dans mon quartier de Damas, Al-Midan, un vieux quartier conservateur de classe moyenne, avec une participation que je n’aurais jamais imaginée : il y avait des employées, des enseignantes, des petits commerçants, des étudiantes. C’était un moment exaltant qui nous a toutes et tous unis ».

Dera’a, le 15 mars 2011

Tout a commencé par l’apparition de quelques écrits sur les murs de la ville de Dera’a : « Docteur, maintenant c’est votre tour » avaient écrit après la chute de Ben Ali et Hosni Moubarak, des adolescents, par la suite arrêtés et torturés par les services de sécurité syriens : ce sont les protestations de la population contre ces tortures et la dure répression du régime le 15 mars qui ont allumé la mèche. Le pays qui était le bastion de la stabilité au Moyen-Orient est aujourd’hui un pays en plein marasme, devenu le champ de bataille d’une guerre par procuration entre des puissances régionales et mondiales : en plus d’avoir causé au moins un demi-million de morts, le conflit a plongé 11,7 millions de Syriens dans une crise humanitaire, dont 5 millions d’enfants. La guerre a fait également 6,1 millions de déplacés internes, avec 6 autres millions réfugiés à l’étranger, selon les données du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies.

Du printemps de Damas à l’exil

Joumana Seif, qui avait participé avec son père Riyad aux mouvements du Printemps de Damas de 2001 qui avaient suscité tant d’espoirs de démocratisation de la Syrie après la mort de Hafez el-Assad, a été contrainte – comme cela est arrivé à d’autres militants – de quitter la Syrie en 2012. « Nous avons alors déménagé avec ma famille et mes trois enfants au Caire, en pensant que la démission et l’exil d’Assad étaient une question de mois. Mais quand, en 2013, la dynamique des grandes puissances envers le régime a changé et que même le Caire n’était plus une ville sûre pour ceux qui luttent pour la démocratie, nous avons demandé l’asile politique en Allemagne. » Aujourd’hui, Joumana fait campagne pour les prisonniers politiques en Syrie et travaille avec le Centre européen des droits de l’Homme et des droits constitutionnels sur des litiges internationaux ouverts par la révélation de crimes commis dans des centres de détention en Syrie avec torture, meurtres, violences sexuelles et sexistes.

Un tribunal allemand prononce la première sentence

Elle fait partie des juristes grâce auxquels le premier procès au monde sur la torture d’État en Syrie a débuté en avril 2020 en Allemagne, au parquet régional de Coblence : les chefs d’accusation comprennent des crimes contre l’humanité, 58 meurtres et au moins 4 000 cas de torture. Le 25 février, la première condamnation d’un responsable de Bachar al Assad hors de Syrie a été prononcée : l’ancien colonel des services de renseignement syriens, Eyad al-Gharib, a été condamné à quatre ans et demi de prison pour crimes contre l’humanité à cause des tortures qu’il a autorisées dans les prisons à l’encontre de détenus.

Onu : Des dizaines de milliers de disparitions forcées en Syrie

Un rapport récent du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies a confirmé plusieurs dizaines de milliers de disparitions forcées en Syrie parmi les opposants au régime, sur la base de 2 650 entretiens avec des rescapés de la prison. Joumana Seif elle-même a, entre autres, rédigé avec la militante, une survivante des gêoles, Wejdan Nassif, le rapport sur les prisonnières syriennes Paroles contre silence /Words Against silence, un recueil de 27 témoignages sur les tortures et les abus subis en prison tant sous la dictature de Hafez el- Assad qu’après l’arrivée au pouvoir de son fils. « Les femmes sont utilisées comme otages contre les opposants depuis 1980, et les femmes militantes de la révolution sont dans le collimateur du régime depuis 2011 : elles sont arrêtées et souvent torturées, violées en prison dans le but évident de terroriser les autres femmes qui participent activement à la vie de la nation et de leur signifier qu’elles doivent s’éloigner de l’activisme politique ». C’est ainsi que le régime parvient à faire pression sur les familles des militantes pour les empêcher – qu’elles soient filles, sœurs, épouses – de participer à la révolution. Il existe donc une forte pression sociale et gouvernementale pour ne pas s’engager dans les droits de l’Homme. Dans les zones sous contrôle gouvernemental, l’activisme est très faible. Il n’y a pas de place pour la liberté d’association ou la liberté d’expression : le régime a réussi à nous faire avoir peur de tout. »

Plus d’espace pour les femmes

En Égypte, Joumana Seif a lancé en février 2013 le Réseau des femmes syriennes (SyrianWomen’s Network), l’une des 13 organisations féministes actives aujourd’hui pour inclure les femmes dans les négociations pour la Syrie. Et à Paris, elle a fondé en octobre 2017 le Mouvement politique des femmes syriennes (Syrian Women’s Political Movement), le premier mouvement politique dirigé par des femmes et dédié à la protection des droits des femmes dans une Syrie libre et démocratique. « Nous avons réalisé qu’il était temps d’agir politiquement, et c’est pourquoi nous avons construit un mouvement pour donner du pouvoir aux femmes et faire en sorte qu’elles aient un poids politique, en créant un front féministe. »

Les femmes, reconnaît la résolution 1325 des Nations unies approuvée par le Conseil de sécurité le 31 octobre 2000, offrent l’avantage de privilégier les solutions politiques par rapport aux solutions militaires ; elles adoptent une approche centrée sur la défense de la population civile ; les statistiques montrent que leur participation a garanti une paix durable, précisément en raison du rôle qu’elles jouent dans la préparation des élections, le désarmement, les processus judiciaires, la reconstruction économique et la lutte contre la pauvreté. Pourtant, malgré tous les efforts des associations et des institutions internationales, la présence d’au moins 30% de femmes aux tables de négociations pour la Syrie et la Libye, ou dans les processus de transition démocratique comme en Egypte, reste un mirage.

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