Qui se souvient de la prestation de serment de la députée démocrate palestino-américaine Rashida Tlaib ? C’était en 2019 au Congrès des États-Unis. Elle avait pour l’occasion porté une thobe, cette robe palestinienne à la broderie si typique. Face aux critiques, cela avait déclenché un mouvement de solidarité sur Twitter via le hashtag#TweetYourThobe, qui s’accompagnait de photos de centaines de femmes d’origine palestinienne vêtues de vêtements brodés. Ce qui fut accueilli commeun hommage profond, qui plus est féminin, à la culture palestinienne.
Réputé pour sa complexité, le tatreez est l’art de coudre à la main des motifs au point de croix avec du fil aux couleurs vives sur des vêtements. Très répandu dans la société palestinienne, il incarne un savoir-faire caractérisé comme une « pratique sociale et intergénérationnelle », explique l’Unesco qui vient d’inscrire mercredi dernier l’art de la broderie palestinienne sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Symboliser les liens familiaux
Traditionnellement, les femmes se réunissent les unes chez les autres pour broder et coudre, souvent accompagnées de leurs filles, indique le communiqué de l’agence culturelle des Nations unies. La pratique, symbolisant les liens familiaux, se transmet de fait essentiellement de mère en fille. Les femmes peuvent aussi se réunir dans des centres communautaires, où elles peuvent commercialiser leur travail.
Cet art de la broderie palestinienne correspond à la définition du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, qui mêle à la fois manifestation culturelle, richesse des connaissances et relation intergénérationnelle. Avec une telle reconnaissance, le patrimoine immatériel de l’Unesco cherche à donner une plus grande visibilité et à protéger différents éléments du patrimoine culturel de l’humanité qui peuvent être menacés.
Lire aussi >> Tradition et solidarité, les broderies de Ramallah
« Cette étape est importante et opportune, afin de protéger notre identité, notre patrimoine et notre récit palestiniens, face aux tentatives de l’occupation de voler ce qu’elle ne possède pas », a déclaré le Premier ministre de l’Autorité palestinienne (AP), Mohammad Shtayyeh, dans un communiqué publié sur son compte Facebook. Des propos qui font notamment écho au concours de Miss Univers qui se tenait pour la première fois en Israël.
Dans le cadre de cet événement il y a une dizaine de jours, les candidatesont revêtu des tenues palestiniennes traditionnelles brodées et ont pris part à des activités, telles que la préparation de feuilles de vigne. Miss Israël a donc porté la traditionnelle robe palestinienne, ce qui a suscité la colère des Palestiniens. Mercredi dernier, des femmes palestiniennes portant les fameuses robes brodées sont descenduesdans le centre-ville de Ramallah pour protester. Et les femmes de Gaza sont également sorties dans la rue.
Un art ancestral aujourd’hui revisité
Dans l’art du tatreez, les broderies au point de croix sont cousues de fil de soie sur de la laine, du lin ou du coton, parfois avec de petites perles représentant « toute une variété de symboles tels que des oiseaux, des arbres ou des fleurs ». Beaucoup de motifs représentent de façon stylisée, les collines, les cyprès, les épis ou les fleurs du pays, à partir de figures comme des carrés, des étoiles, des chevrons, ou des losanges dans un ordonnancement géométrique souvent à dominante rouge.
Mais il faut savoir que les motifs brodés et les couleurs varient d’une région à l’autre, de Ramallah à Gaza, en passant par Hébron ou Naplouse. Les motifs permettent aussi d’indiquer le statut marital et économique des femmes, voire de marquer les différentes étapes de la vie. Généralement, la poitrine, les manches et les poignets sont couverts de ces broderies et des panneaux verticaux brodés descendent le long de la robe à partir de la taille.
Lire aussi >> L’Hébron honoré par un premier prix
« À l’origine fabriquée et portée dans les zones rurales, la pratique est désormais courante dans toute la Palestine et parmi les membres de la diaspora », fait savoir l’Unesco. Véritable patrimoine culturel, la broderie est en effet encore très largement portée par les femmes notamment à l’occasion de fêtes et d’évènements familiaux. Et elle est aussi une source d’inspiration pour de nombreux créateurs palestiniens qui n’hésitent pas à intégrer le tatreez à de nouveaux vêtements et tissus modernes, ou à décliner sur des trousses, des étuis, des sacs ou des portes monnaies par exemple.
Les Palestiniens font remonter leurs pratiques de broderie, ainsi que leurs thobesà plus de 3 000 ans. Depuis la guerre de 1967 et l’occupation ultérieure par Israël de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, la pratique de la broderie a été relancée parmi les réfugiés palestiniens pour souligner leur identité politique et nationale.
Calligraphie arabe …
D’autres traditions artistiques du monde arabe ont également rejoint le patrimoine immatériel de l’humanité à l’occasion de la 16e session du Comité intergouvernemental pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, qui a lieu virtuellement du 13 au 18 décembre 2021. Parmi ces arts, celui de la calligraphie arabe, c’est-à-dire l’art du dessin des caractères arabes, dont le dossier de candidature a été présenté conjointement par 16 membres arabophones d’Afrique (Algérie, Égypte, Maroc, Mauritanie, Soudan et Tunisie), du Machrek (Irak, Liban, Jordanie, Palestine) et du Golfe (Arabie Saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït, Oman, Yémen).
Découvrir >> Ecrire la Parole, le dossier du numéro de Juillet-Août 2021
« Conçue à l’origine pour rendre l’écriture claire et lisible, [la calligraphie arabe] s’est progressivement transformée en un art arabe Islamique utilisé dans les œuvres traditionnelles et modernes. La fluidité de l’écriture arabe offre des possibilités infinies, même sur un seul mot, puisque les lettres peuvent être allongées et transformées de nombreuses façons afin de créer différents motifs », indique l’Unesco. L’art de l’arabesque, qui décore les mosquées et les palais a recours à la calligraphie, tout comme les fioritures qui ornent certains livres, y compris le Coran.
… et chants traditionnels d’Alep
Aussi, l’un des arts musicaux arabes syriens pour lesquels, en plus du savon, la ville d’Alep est notamment célèbre, les Qoudoud d’Alep, appelés « QududḤalabiya » – littéralement « mesures musicales d’Alep » -, ont fait leur entrée sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité, considéré par l’Unesco comme « un outil de résilience, notamment pendant la guerre syrienne ».
Il s’agit d’airs et de chants anciens populaires et lyriques, religieux comme profanes, accompagné par un ensemble instrumental. Les chanteurs, à voix grave, évoquent l’amour, la patrie et la spiritualité. Lorsqu’ils atteignent l’apogée de leur art en tenant une longue note ou en répétantplusieurs fois une même phrase, le public est littéralement transporté dans un état extatique. « L’état émotionnel ressenti lorsque les artistes atteignent ce point culminant est décrit par les communautés comme ‘‘une ivresse sans alcool’’ », fait remarquer l’Unesco. Sabah Fakhri, décédé le 2 novembre dernier à l’âge de 88 ans, était l’un des derniers maîtres du répertoire des Qoudoudalépins.