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Zababdeh, cœur battant de la communauté chrétienne palestinienne

Cécile Lemoine
14 mai 2025
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La paroisse latine de Zababdeh, Cisjordanie occupée ©Victorine Alisse

Peuplé à 70 % de chrétiens, le village de Zababdeh, dans le nord de la Cisjordanie occupée, est le foyer d’une communauté jeune et vibrante, durement touchée par les conséquences de la guerre.


C’est l’heure de la communion, et, dans la petite église grecque-orthodoxe de Zababdeh, c’est le ballet des mantilles. Comme les femmes et les autres jeunes filles, Rafeef Duaibes se couvre pieusement les cheveux avec un voile en dentelle avant d’aller communier. Abandonnée par la plupart des chrétiens des villes, cette tradition est restée bien ancrée à Zababdeh, petite bourgade des plaines fertiles du nord de la Cisjordanie occupée.
C’est dimanche, et les bancs de l’église débordent.

La jeune Rafeef a rejoint ses copines de classe. Il y a des grands-pères à la moustache soignée, de jeunes parents venus présenter leur bébé à l’église pour la première fois, des copains qui chahutent doucement à l’étage, des jeunes femmes qui discutent à l’extérieur, des bambins qui gambadent… Moment de socialisation autant que de prière, les messes dominicales de Zababdeh sont le reflet de la vitalité de sa communauté chrétienne. Et de son atypisme.

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Car Zababdeh aime faire les choses différemment. Avec ses 3 500 chrétiens sur 5 000 habitants, c’est le seul village à majorité chrétienne du nord de la Cisjordanie occupée. C’est aussi une des rares communautés de Palestine où les chrétiens de rite latin sont plus nombreux que ceux de rite grec (2 500 latins, contre 800 grecs-orthodoxes et 50 grecs-catholiques). Une Église protestante (135 fidèles) complète le tableau.

Autre différence : la taille des familles. Alors que les chrétiens ont en moyenne 2 enfants, à Zababdeh il est fréquent de trouver des familles de 6, 7 ou 8 enfants. Les Duaibes sont de ceux-là. Rafeef a 3 grands frères et 3 grandes sœurs. Et tout ce petit monde vit dans la même maison : une ancienne bâtisse agrandie d’un immeuble où chaque étage est censé accueillir les familles fondées par les garçons. Chez eux, comme dans de nombreux foyers palestiniens, la famille est le lien cardinal.

Une fourmilière

Cette sociologie particulière fait de Zababdeh le cœur battant des chrétiens de Palestine : ˝Nous avons le plus gros groupe scout du pays, Israël et Palestine confondus˝, se félicite le père Élias Tabban, curé de la paroisse latine. Avec leurs 370 membres, leur uniforme gris et leur béret pourpre, les scouts de Zababdeh passent rarement inaperçus lors des parades de Noël à Bethléem. S’ils ne sont pas scouts, les ados du village font partie des ˝shabibe˝, ces groupes de jeunes chrétiens équivalant aux JEC. ˝Les prêtres aiment bien être nommés ici, les églises sont pleines de vie˝, sourit Issa, le second de la fratrie Duaibes.

Lieu de socialisation. La paroisse est autant un lieu de prière qu’un lieu où s’épanouit la vie sociale de la communauté. Ici, à l’église orthodoxe St Georges ©Victorine Alisse

“C’est une fourmilière ici, c’est hyperactif”, s’étonne encore le père Élias, qui n’a rejoint la paroisse qu’en 2023 : ˝Il faut voir comment les églises sont pleines au moment de Pâques et de Noël. Ceux qui habitent ou travaillent à Bethléem, Ramallah, Taybeh, reviennent pour les fêtes… Ça déborde !˝ Et comment explique-t-il ce fourmillement ? ˝Ici, l’Église est le centre de la vie. Pour beaucoup, c’est la seule chose stable qui leur reste, qui les occupe, alors ils s’investissent.”

Car grandir à Zababdeh, c’est grandir sous Occupation militaire. Et depuis le 7-Octobre, c’est voir sa vie réduite à sa ville et ses alentours proches. Checkpoints, barrières, monticules de terre Près de 900 obstacles entravent les déplacements des Palestiniens et isolent les villes les unes des autres.

À la paroisse latine, le curé a comptabilisé que 300 hommes ont perdu leur travail en Israël, et les revenus qui vont avec. Les plus jeunes peinent à trouver du travail. ˝Il n’y a pas d’avenir ici”, souffle Yacoub, un ami d’Issa âgé de 21 ans. Formé en ingénierie électrique, il n’a trouvé qu’un petit boulot à la cafétéria de l’école latine du village.

« Il faut qu’on soit des Églises »

Cette phrase, “Il n’y a pas d’avenir en Palestine˝, les colons israéliens l’ont placardée sur de grands panneaux le long des routes de Cisjordanie, ou sur les blocs de béton qui servent de tours de guet aux soldats. Elle infuse, tourmente des esprits déjà torturés par un quotidien fait d’humiliation et de violence. ˝Quelle vie offre-t-on à nos enfants ?˝, s’interroge Majeed, l’aîné de la famille Duaibes, marié et père d’une petite fille. “S’il y avait une opportunité de partir à l’étranger, je la saisirai.˝ Pour tuer l’ennui et les soucis, ce dentiste a ouvert un petit café, le Solo Caffe.

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Le soir venu, les gars du village, chrétiens et musulmans confondus, s’y retrouvent pour des parties de cartes, de billard, ou de jeux vidéo entre amis, dans la vapeur épaisse des narguilés. Ici, c’est la famille qu’ils se sont choisie. Celle qui aide à déconnecter des réseaux sociaux, où les vidéos des massacres de Gaza tournent en boucle. La peur d’être les prochains remplace la sensation d’impuissance. ˝Il ne nous reste que la prière˝, glissait Daoud Daoud, jeune diacre grec-orthodoxe, à la fin de la messe.

Calme apparent. L’image de carte postale sur la campagne alentour cache une réalité toujours plus difficile pour les habitants de Cisjordanie occupée. ©Victorine Alisse

Dans la rudesse de ce quotidien, certains trouvent refuge dans la foi et attendent un plus grand accompagnement pastoral et spirituel de la part des prêtres : ˝Il faut qu’on soit des Églises, soutient Wassim, père de 2 enfants et membre actif de la paroisse latine, avec émotion. Si on est bien dans notre cœur, on peut continuer à encaisser la situation, à garder ce lien à la terre.˝

Solidarité avec les Palestiniens déplacés

Si Zababdeh reste relativement épargnée par les raids militaires, elle en vit les conséquences. Environ 40 000 personnes ont été évacuées des camps de réfugiés alentours depuis janvier 2025, le plus grand déplacement de population depuis 1967. Près de 200 familles du camp de Jénine ont trouvé refuge à Zababdeh, notamment sur le campus de l’Université américaine, sans savoir quand ils pourront retourner chez eux. Face à l’ampleur du phénomène, l’Église s’est mobilisée, par l’intermédiaire de l’ONG Caritas déjà active dans la région.

˝Avec l’aide de deux paroissiens, nous sommes en train d’effectuer le recensement des familles, pour connaître leurs besoins, détaille Anton Asfar, directeur de Caritas Jérusalem. L’idée est de leur apporter une aide financière qui s’échelonne de 500 à 1 600 shekels (120 à 380 €). C’est le moyen le plus digne d’aider concrètement ces gens qui ont tout perdu.”

À Zababdeh, les chrétiens approuvent cette aide, mais témoignent de leur inquiétude quant à l’avenir : ˝Si ces familles restent, à long terme, cela pourrait modifier la balance démographique de la ville : les musulmans pourraient devenir majoritaires˝, souligne Jumana Daoud, membre chrétienne du conseil municipal du village.

Face aux défis qui s’accumulent, le prêtre latin en est persuadé : ˝Il faut fortifier les chrétiens de Zababdeh. Sans eux, les églises sont vides. Ici, les chrétiens ne sont pas faibles, poursuit le curé. Ils aiment la terre. Ils préfèrent rester que partir. Je le dis au patriarche : à l’avenir, si vous avez besoin de gens, vous les trouverez à Zababdeh.˝

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