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Anwar Abu Eisheh l’optissimiste

Par Marie-Armelle Beaulieu
30 septembre 2019
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Anwar Abu Eisheh l’optissimiste
Conteur, guide et militant infatigable pour sa ville natale d'Hébron.

Optissimiste, le néologisme n’a pas été créé pour lui mais il lui va si bien. Depuis Hébron, Anwar Abu Eisheh explique les raisons du pessimisme et l’impératif de l’optimisme.


Dans le bureau de l’association d’échanges culturels “Hébron-France”, tout le monde l’appelle “Docteur Anwar” en signe de respect. Mais le respect dû à Anwar Abu Eisheh s’étend bien au-delà des murs de l’association. Dans Hébron, sa ville natale tout le monde le salue. Et nul ne saurait prétendre parler de la ville des Patriarches sans le rencontrer.
En entrant dans son bureau, Anwar vous propose le seul fauteuil, le sien. Même quand il a été Ministre de la Culture de l’Autorité palestinienne (de 2012 à 2013), il avait du mal à s’asseoir sur un fauteuil. Une forme de modestie, mêler à de la politesse, le souvenir aussi de ce par quoi il est passé pour jouir aujourd’hui d’une considération qu’il assume.
Anwar Abu Eisheh, c’est un parcours hallucinant (voir encadré) qui a fait d’un adolescent islamiste, devenu combattant dans l’OLP, un ardent militant de la paix.
De son propre aveu, ce qui l’a fait évoluer c’est le dialogue et la guerre.
Le dialogue, c’est celui qu’il suscite alors qu’étudiant il réside à Paris. “En observant le conflit depuis la France, je le découvrais différemment. Comme président de l’Union général des étudiants de Palestine, j’organisais fréquemment des débats qui étaient de riches occasions de dialogues avec toutes sortes de personnes, de toutes appartenances.”

L’Association d’échanges culturels Hébron-France bénéficie tout au long de l’année aux enfants de la ville.

 

L’espoir d’Oslo

La guerre, c’est celle du Liban. “Je l’ai vécue pleinement. La guerre est affreuse, effrayante. Je l’ai vécue en première ligne. J’ai vu des choses épouvantables. Jusqu’à aujourd’hui certaines scènes me hantent. Je ne souhaite à personne de vivre ce que j’ai vécu. C’est sale la guerre. La guerre m’a gagné à la lutte non-violente, au combat juridique.”
Exilé en France, c’est grâce à ses connaissances juridiques qu’Anwar pourra retourner en Palestine en 1996, quant, à la faveur des accords d’Oslo en 1993, le ministre de la Justice palestinien lui propose un poste de professeur de droit civil à l’université palestinienne d’Al Quds, à Jérusalem-Est.
Anwar était un ardent défenseur de ces accords. “Oslo, j’y croyais totalement. Je croyais que le train de la paix était parti. Je pense toujours que les accords d’Oslo ont été une très bonne chose dans l’histoire du peuple palestinien. C’est la première fois que la communauté internationale, États-Unis compris, a reconnu l’existence d’un peuple palestinien.”
Si tout le monde s’accorde à déclarer en état de mort cérébrale les accords d’Oslo, Anwar, lui, ne veut pas les enterrer. “J’en demeure un partisan. Ce qui m’est régulièrement reproché.
À chaque fois que je vois une colonie grandir ou pousser, à chaque fois que je vois un nouveau check point, une nouvelle restriction de mouvement pour les Palestiniens, j’ai peur pour le processus de paix. Avec Oslo et les accords de Taba qui ont suivi (1995) nous avions la base de la paix. La période était très fertile. Nous avions tout à construire dont les institutions palestiniennes. J’étais très très optimiste.”
Quand on lui fait remarquer qu’il en parle au passé et l’interroge pour savoir s’il a gardé son optimisme Anwar répond “Optimiste, (il rit), je le suis moins… Mais par idéologie politique, par croyance, par fidélité à mon peuple je veux l’être et je considère que nous devons être optimistes. Cela nous aide à nous tenir debout. De plus, il est évident pour moi que si l’on cédait au pessimisme nous ne ferions plus rien. Nous nous laisserions dévorer par l’Occupation, nous ne serions plus capables de résister. Or nous devons, en restant un peuple uni, résister afin d’arriver à une paix juste, arriver à un état palestinien. Il est vrai que sur le terrain, les colonies, la colonisation, les fermetures, les check points nous empoisonnent la vie, et pèsent de plus en plus sur notre vie quotidienne. Les mesures israéliennes d’occupation nous étouffent chaque jour davantage, comme les attaques dans tous les domaines : contre la présence palestinienne, contre l’identité palestinienne et l’existence d’un peuple palestinien. L’extrémisme de certains membres du gouvernement israélien, la domination de l’extrême droite dans la Knesset israélienne… Tout cela nous le subissons au niveau local… Au niveau international, l’arrivée d’un Trump qui ne connaît rien mais porte une idéologie extrémiste et est entouré de collaborateurs qui nous pondent des solutions de derrière leurs ordinateurs… Tous ces éléments réunis poussent au pessimisme. C’est vrai que vivant sur place, sous occupation, il n’y a pas le moindre signe qui permette d’être optimiste. Mais je refuse d’être pessimiste et c’est pourquoi je me qualifie d’optissimiste. Et je le resterai jusqu’à la fin de mes jours, même si la situation est de plus en plus dure, parce que je crois qu’à un moment, dans un an, dans 10 ans, dans 50 ans quelque chose aboutira car le peuple palestinien ne disparaîtra jamais. Il continuera la lutte jusqu’à l’obtention de ses droits. Nous sommes en quelque sorte les nouveaux juifs. Et les Israéliens ont intérêt à faire la paix le plus tôt possible. La situation actuelle est telle qu’elle ne peut engendrer que de la violence et je déteste toute forme de violence. De la violence verbale à la violence armée, comme les violences économiques ou sociales.”

Ce jour-là Anwar assistait pour la première fois à l’entretien des bougies de la crypte du tombeau d’Abraham.

 

Mais le caractère désespérant de la situation actuelle, s’il n’a pas abattu Anwar, n’en est-il pas venu à bout de l’énergie palestinienne à résister ? “Je considère que tout Palestinien qui tient à sa terre, à sa maison et qui est resté est résistant par nature. Par ailleurs la majorité des Palestiniens se disent résistants que ce soit par le fait de demeurer sur leur terre ou par des moyens non-violents, spécifiquement l’information.
Je suis très impressionné par les jeunes Palestiniens ici et dans tous les pays du monde y compris aux États-Unis. Sur les réseaux sociaux, ils n’arrêtent pas de parler de Palestine et des droits des Palestiniens. Comme je pense que c’est l’opinion publique internationale qui nous aidera à créer un État palestinien à côté de l’état d’Israël, je pense que cette résistance est capitale. Quant à la résistance armée, il n’y en a quasiment plus. Il y a des attentats sporadiques mais très peu de Palestiniens sont convaincus par la résistance armée.”
Pourtant à chaque attentat le Hamas fait des gorges chaudes et il semble avoir gagné du terrain politiquement, y compris en Cisjordanie. Un point qu’Anwar conteste. “Il n’y a pas de glissement de la société palestinienne vers le Hamas. Ici à Hébron, ville où il est le plus fort, l’électorat du Hamas représente de 20 à 30 %. Ici comme ailleurs l’injustice engendre l’extrémisme. Les Palestiniens n’ont pas voté Hamas par idéologie religieuse mais déçus de l’Autorité palestinienne (Fatah) qui n’a pas pu remplir ses devoirs envers les citoyens. En signe de protestation ils ont voté pour son opposant le Hamas. Mais en réalité, le Hamas est impopulaire. A Gaza, s’il y avait des élections, il n’obtiendrait pas 20 % des voix. En parallèle, le rejet de l’Autorité palestinienne est réel. Je pense que le gouvernement israélien a largement œuvré à discréditer l’Autorité aux yeux de l’homme de la rue palestinien.”
D’après Anwar c’est une erreur de calcul des Israéliens. Selon lui, la création et le bon fonctionnement d’un état palestinien est un gage de paix pour les Israéliens et pas le contraire.

Avec le comité de réhabilitation, Anwar est acteur du renouveau de la vieille ville.

“Les Palestiniens ont fini par accepter qu’il y ait un état israélien, de même la plupart des pays arabes. Alors il faut vivre ensemble sur cette terre juifs et palestiniens, mais il semble que les Israéliens n’en soient pas eux convaincus.
Et Anwar prend soin de travailler à les convaincre, lui qui a encore des activités militantes au sein de l’Autorité. Il a même carte blanche pour aller rencontrer des Israéliens, députés, ex ministres, tout personne désireuse d’entendre l’autre voix, la palestinienne. Et lui Anwar le juriste aime à répéter le droit international, que le droit, tout le droit.

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La solution de Taba

“Nous reconnaissons aux juifs de vivre dans leur état indépendant et souverain. Et les bases des négociations de paix doivent être le droit international. J’ai d’autant plus envie de les convaincre que c’est leur intérêt et le seul moyen d’en finir avec la violence.”
Quid alors du demi million de colons installés dans les territoires palestiniens ? “La solution a été trouvée à Taba, rétorque Anwar. La solution évoquée alors est que l’état palestinien loue à Israël les terres des colonies pendant 30 ans. Nous devons travailler pour qu’il n’y ait aucune violence, une paix totale, une coexistence qui donne confiance dans l’Autorité palestinienne comme dans l’autorité israélienne. À l’issue de ces 30 ans, les colons auraient le choix de faire partie de l’état palestinien et de vivre ensemble comme c’était le cas avant 1948 ou partir en Israël. Ce n’est pas une belle solution cela ?” Anwar n’ignore pas que les colons d’Hébron font partie des plus durs idéologiquement, lui qui confesse que leurs regards croisés dans la rue lui font peur. “Leur haine n’est pas mon problème, c’est celui de l’état d’Israël. Qu’ils aillent s’y installer, mais moi je suis prêt à vivre avec tout juif qui désire la paix. Comme ma mère vivait avec Sayina la meilleure couturière d’Hébron, eh bien je veux bien que mes petits-enfants vivent avec des Sayina qui seraient les meilleurs médecins ou couturières d’Hébron.”
Quand on lui fait remarquer que les colons sont pour nombre d’entre eux dans les territoires palestiniens pour des motifs religieux Anwar réaffirme avec force que lui est “pour la laïcité à 110 %”. “Je me bats pour un état palestinien, libre, souverain, laïc.” D’après lui, même la société palestinienne est prête qui s’est tournée vers l’islam par frustration. “Je suis convaincu que si on avance dans un processus de paix, si on obtient des victoires, des droits sur le terrain, la société palestinienne se tournera beaucoup moins vers la religion. C’est mathématique, j’en suis sûr. Injustice et désespoir poussent vers l’extrémisme, tandis que la prospérité pousse à la modération.”
Anwar Abu Eisheh, celui dont optissimiste est le nom.♦


Chantal, entre Saint-Malo et Hébron

Selon l’adage “derrière un grand homme se cache une femme”. Chantal, malouine d’adoption, a rencontré Anwar à Paris en 1980. Ce fut le coup de foudre. Leur fille Hanane est née dans la capitale française et Jamal, leur fils, à Saint-Malo. Mais les enfants ont grandi à Hébron. Chantal ne se cache pas tant que ça derrière Anwar, encore que sa discrétion et sa taille le lui permettraient, mais elle est cofondatrice et directrice exécutive de l’Association d’échanges culturels Hébron – France créée en 1997 et pour laquelle elle continue de se dévouer. D’elle Anwar dit : “Elle complète mes phrases comme elle complète ma vie”. Mais depuis un an, Chantal ne peut plus vivre avec son mari. Elle n’obtient plus des autorités israéliennes (qui ont le contrôle de toutes les frontières) de visa de résidence. Elle n’entre plus en Palestine qu’avec un visa de touriste d’une validité de trois mois. Elle vit donc le plus souvent loin de son mari, de ses enfants et de ses petits-enfants. Un autre aspect de l’occupation des Territoires palestiniens.


Mémoires palestiniennes

 

Auteur : Anwar Abu Eisheh
Editeur : Ch. de Traverse
Année de parution : 2012

Un recueil de témoignages de Palestiniens et de la soif insatiables qu’ils ont de leur pays. Ou quand la question palestinienne prend chair dans l’histoire des hommes.

Parcours d’un militant palestinien

 

Editeur :
La croisée des chemins
Année de parution : 2018

Être chauffeur de taxi donne matière à l’anecdote. Mais être chauffeur de taxi palestinien à Paris quand on a la verve d’Anwar, c’est une épopée que l’auteur livre avec sa gourmandise habituelle de la vie, des hommes et des femmes et de son pays.


Fiche d’identité

De l’islam radical à la non-violence
Par M.-A. Beaulieu

Né à Hébron le 30 juillet 1951. Aîné de neuf enfants. Anwar Abu Eisheh a étudié à l’école Oussamah Ibn Monqeth aujourd’hui transformée en yeshiva (école talmudique).
Anwar a 15 ans quand il se rapproche du parti Al Tahrir, un parti islamiste. Après la Guerre des Six jours et l’occupation du Goush Etzion par Israël, pour venger son père battu dans sa maison un soir par les Israéliens, il veut rejoindre la lutte armée. Mais Al Tahrir est un parti non-violent, Anwar veut alors lutter auprès des communistes, mais sa violence les amène à le refuser. Il part donc pour la Jordanie désireux de rejoindre les fedayin (résistants). Tous recherchés, ils se cachent trop bien pour être trouvés par un adolescent. Finalement, un membre du Fatah – le parti de Yasser Arafat – lui conseille de retourner à Hébron faire du militantisme sur place. Début 1968, Anwar rentre donc et reprend ses études en classe de Première. La pression israélienne à l’époque est si lourde que le militantisme d’Anwar doit se borner à distribuer des tracts. S’ensuivent quelques années durant lesquelles Anwar se partage entre Hébron où il passe son bac et la Jordanie où il suit la formation militaire et politique du Fatah auquel il est dorénavant affilié.
Fin 1970, bénéficiant d’une bourse du Fatah, il part étudier en Algérie le français afin de pouvoir ensuite faire médecine. Pour améliorer son français, il part pour Paris. Un réseau de militants français de la cause palestinienne lui trouve une famille d’accueil : Marc et Danièle. Ce n’est qu’après un certain temps qu’Anwar découvre que Marc est juif. Il séjourne aussi chez Roger, un ancien déporté, qui le traite “comme son fils”. Ce séjour estival en France sera déterminant pour le Palestinien qui découvre qu’on peut-être juif sans être sioniste, et français sans être colonialiste. De retour en Algérie, il s’avère que malgré ses efforts, son niveau de français ne sera pas suffisant pour médecine, Anwar s’inscrit donc en Droit.
Aux vacances scolaires, à l’été 1972, au passage de la frontière jordanienne, Anwar est arrêté par les Israéliens. Il a été dénoncé pour son activisme. Emprisonné, il est torturé durant
12 jours (sauf shabbat). Condamné à 24 mois de prison dont 14 avec sursis, il ressort pour être mis en résidence surveillée mais il peut travailler. Ayant décliné les propositions des services secrets israéliens pour collaborer, Anwar se voit interdire de quitter le pays pour reprendre ses études. Il fait donc appel à un avocat. Convoqué par le gouverneur militaire, celui-ci lui donne le choix de rester mais sans plus faire parler de lui, ou de partir mais sans droit de revenir jamais. Anwar n’étant pas décidé à se taire, il fait le choix de partir.
D’abord en Algérie puis en France, il reprend ses études de Droit en 1974 et tout en travaillant pour financer ses études, il obtiendra en 1989 un doctorat en Droit privé sur Le régime juridique des immeubles en Palestine. Anwar en France demeure un résistant et devient un cadre de l’OLP pour laquelle il travaille jusqu’en 1991 quand il devient… chauffeur de taxi parisien.
En 1991, un miracle se produit. A la faveur des accords d’Olso, Anwar est autorisé à rentrer en Palestine. Les obligations dues à sa licence de taxi retarderont son retour définitif au printemps 1996. ♦

 

Dernière mise à jour: 08/04/2024 12:07

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