Début juin, la Cour suprême israélienne a statué en faveur des Kisiya, confirmant leurs droits sur des terres situées près de Bethléem. Les colons qui s'y étaient installés en juillet 2024 ont été expulsés. Une première victoire pour cette famille de chrétiens palestiniens.
Leur premier geste a été d’accrocher des affiches victorieuses sur les portails de leurs terres. “Propriétés privées de la famille Kisiya”. Le 10 juin dernier, cette famille chrétienne palestinienne a repris possession de ses terres dans la vallée d’al-Makhrour, près de Bethléem, occupées depuis plus d’un an par des colons israéliens.
Ceux-ci ont dû quitter les trois avant-postes illégaux installés à Al-Makhrour après qu’une décision de la Cour Suprême a reconnu les droits des Kisiya sur leurs terres, constituées de cinq parcelles. “Cela nous a pris du temps, mais c’est une grande victoire”, se félicite Alice Kisiya, trentenaire devenue militante malgré elle.
Cela fait 13 ans qu’elle et sa famille se battent contre les autorités israéliennes. En 2012, l’armée israélienne a détruit leur restaurant. Il dominait la verdoyante vallée d’al-Makhrour, ce « pays d’olives et de vignes » classé au patrimoine mondial de l’Unesco en 2014.
Leurs terres sont situées en zone C de la Cisjordanie occupée, contrôlée militairement par les autorités israéliennes, qui refusent de leur accorder un permis de construire. Les Kisiya reconstruisent. Les bulldozer reviennent. Quatre fois au total : en 2012, 2013, 2015 et 2019. Cette année-là, la maison attenante subit le même sort, alors qu’elle était en cours d’enregistrement auprès de l’Administration civile. La famille décide de vivre sous une tente pendant cinq ans.
Faux documents fonciers
En 2017, les colons s’en mêlent. La propriété du terrain est revendiquée par Himanuta, une filiale du KKL-JNF (le Fonds national juif israélien), connue pour son implication dans l’achat de terres palestiniennes en Cisjordanie. “Ils ont affirmé l’avoir acheté en 1969 et que leur titre foncier provenait des archives de l’État. Nous avons consulté nous mêmes ces archives, sans rien trouver. Leur document était un faux et nous l’avons prouvé”, raconte Alice Kisiya.
Malgré un titre foncier légal délivré par l’administration civile israélienne en 2023, l’armée émet un ordre de « zone militaire fermée » le 31 juillet 2024 et autorise un groupe de colons à rester sur les terres des Kisiya tandis que la famille se fait expulsée. Les colons sont menés par Lior Tal et Yaron Rosenthal, président du Conseil de Gush Etzion (le bloc de colonies autour de Bethléem).
La zone est stratégique. Elle se situe au cœur d’un continuum de présence palestinienne à l’ouest de Bethléem, reliant cinq villages palestiniens à la grande ville. « Ces avant-postes déconnectent les villages palestiniens de Bethléem tout en posant les bases d’une connexion entre les colonies du Gush Etzion et Jérusalem », explique l’ONG israélienne Peace Now, qui documente la colonisation et ses pratiques.
Alice, qui dispose de la citoyenneté israélienne, décide de se battre. Elle monte un réseau interreligieux d’activistes et multiplie les interviews. « Jésus combattait le mal par la parole. Les mots sont plus efficaces que l’épée », assure la jeune femme. Juifs israéliens, chrétiens et musulmans la rejoignent dans sa bataille pour “Sauver al-Makhrour”. Elle s’ajoute à des années de lutte juridiques et légales qui pèsent déjà financièrement sur la famille qui a accumulé une dette d’un million de dollars.
Le harcèlement continue
“Je ne crois en aucun système juridique, mais je crois en Dieu : il apportera le bien aux gens au moment opportun. Et c’est ce qui se passe chez nous : il ouvre toujours une porte là où une autre est fermée”, témoigne la jeune chrétienne, qui a attendu quatre mois avant de porter l’affaire devant les tribunaux israéliens, préférant peser sur le plan médiatique avant.
En juin 2025, la Cour Suprême israélienne a reconnu les droits des Kisiya sur les terres, et ouvert la voie à la reconnaissance définitive de la propriété devant les tribunaux compétents. Chassés, les colons ont fait leur retour le 19 août.
“Le harcèlement est leur technique préférée”, soupire Alice, qui organisait un camp interreligieux non loin. Des activistes israéliens s’interposent : “Êtes-vous vraiment juifs si vous volez et si vous mentez ?” lancent-ils aux jeunes colons. La police israélienne finit par arriver et, fait rarissime, intimement aux colons de partir. “Ils n’ont pas été arrêtés, note Alice Kisiya, mais quand je les vois quitter ma terre, cela suffit à prouver que la non-violence est la bonne solution. C’est ça ma victoire.”
Son combat n’est pas fini pour autant. Dans la foulée de la décision de la Cour Suprême, la police israélienne a rouvert une affaire classée sans suite. Il y a six mois, les colons ont accusé Alice et sa mère Michèle d’avoir tenté de renverser l’un d’entre-eux. « Faute de preuve suffisantes et notamment parce qu’une autre vidéo contredisait clairement leurs affirmations, l’affaire a été classée. Ils veulent faire pression, nous épuiser », souffle Alice, appelée à comparaîtra en octobre devant un énième tribunal.