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Comment les jeunes chrétiens palestiniens construisent-ils leur identité ?

Kassam Maadi
17 janvier 2017
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Comment les jeunes chrétiens palestiniens construisent-ils leur identité ?
Maria et Dalia ©Kassam Maadi

Si on vous le demandait, diriez-vous que vous êtes français chrétien ou chrétien français ? Quelle idée saugrenue de se définir ainsi pensez-vous. En Terre Sainte, on n’a pas vraiment le choix et pour un jeune palestinien, la question se pose presque tous les jours. Mais les réponses apportées varient. Rencontre avec Dalia, Marina et Johnny.


Il y a un an, elle est devenue la jeune chrétienne la plus célèbre de Palestine. Sa blessure par une balle de l’armée israélienne, dans une manifestation près de la colonie de Beit El, a attiré des centaines de personnes dans sa chambre de l’hôpital gouvernemental de la ville. Dans la presse locale, on annonçait que “la première jeune chrétienne avait été blessée dans la révolte déclenchée début octobre”.

Dalia Nassar, 25 ans, met sa main sur son côté et soupire. “La balle est restée dedans. Ça fait partie de mon identité je suppose”, dit-elle en souriant. Elle déplore le fait que la presse ait mit l’accent sur sa chrétienté. “Les journalistes veulent montrer à tout prix que les chrétiens font partie de la Palestine. Mais en soulignant chaque cas de chrétien participant à l’intifada, on donne l’impression que c’est quelque chose d’anormal. Comme si justement nous n’étions pas des Palestiniens. Quand les religions deviennent des identités sociales, elles séparent la société en groupes irréconciliables. Ce n’est pas à cela que sert la foi.”

“L’étiquette sociale”

Dalia s’identifie en tant que “palestinienne, arabe, humaine”. Pour elle, “le christianisme fait partie des valeurs privées. On en témoigne par ses actions, pas en se collant une étiquette sur le front”. Dalia Nassar appartient à une famille connue de Jérusalem. Son patronyme à lui seul l’identifie en tant que chrétienne. “On n’a pas le choix. La société nous met dans une case dès la naissance. C’est pour cela que j’ai toujours voulu me libérer de l’étiquette sociale et construire mon identité plus librement”. Une identité dans laquelle le composant le plus important est la Palestine. “Si je suis chrétienne de Palestine, alors la Palestine est ma cause, mon engagement le plus important. Sinon, ça n’a pas de sens”.

“Nous devons affirmer qui nous sommes”

Cependant, cette “étiquette sociale “est vue positivement par certains jeunes. Marina Shahin, 22 ans, croit qu’être chrétien “c’est avant tout une identité sociale. Nous devons être visibles et affirmer notre place”. Marina se dit “d’abord chrétienne. Être Palestinienne, pour moi, c’est appartenir au pays du Christ”.

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Marina fait des études de commerce à l’université de Birzeit, où elle est confrontée souvent à des discussions avec des jeunes musulmans. “Quand des étudiants vont manifester aux check-points, on me demande pourquoi les chrétiens ne participent pas plus largement à l’intifada ? Alors je réponds que beaucoup de musulmans ne participent pas non plus. Ce n’est pas parce que nous sommes chrétiens qu’on doit faire davantage preuve de notre patriotisme. Nous étions ici avant que l’islam n’existe, et nous devons affirmer qui nous sommes”. Le christianisme, pour Marina, c’est aussi des valeurs. “Ce que je retiens de l’Évangile, c’est l’exemple moral du Christ. Nous croyons qu’il est Dieu fait homme. Mais même ceux qui n’ont pas la foi, retiennent son exemple moral. C’est l’essentiel de notre éducation”.

L’éducation et “le sentiment communautaire”

Mais pour d’autres, l’éducation chrétienne ne se limite pas à la morale. Johnny Kort, 25 ans, signale ce qu’il appelle “la formation de l’identité communautaire dans les écoles chrétiennes”. Diplômé en sociologie, Johnny travaille dans une organisation palestinienne de Droits de l’homme. Il est originaire de Taybeh, connu pour être le seul village entièrement chrétien de Palestine. “À Taybeh, le musulman est celui qui n’appartient pas au village. À l’école, c’était mon camarade de classe qui partait dans une autre salle pour le cours de religion. On nous a imposé une barrière dès l’enfance. Il m’a fallu beaucoup d’efforts pour apprendre à voir les musulmans comme moi-même, non pas comme des étrangers”.

Johnny dirige un programme de formation aux Droits de l’homme pour les jeunes de tous les milieux possibles. “Je m’aperçois que des jeunes chrétiens de partout ont le même sentiment d’être différents. On n’est pas très conscients, mais cela pousse les jeunes à se renfermer vis-à-vis l’autre”.

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C’est pourquoi le patriarcat latin a introduit dans ses écoles, depuis plusieurs années, des cours communs entre les élèves des deux religions pour connaître la foi de l’autre. Johnny s’en réjouit, mais avec prudence. “C’est bien, mais cela pourrait pousser les jeunes à entrer dans une comparaison inutile entre les religions, ce qui pourrait agrandir la barrière qu’on veut justement faire disparaître”.

Rester ou partir ?

Selon Johnny, “être chrétien signifie avoir un message. Les chrétiens apportent de la diversité à cette société. Cela fait partie du tissu social de la Palestine. Il est important donc de préserver et renforcer la présence chrétienne”. Une responsabilité qui incombe d’abord aux chrétiens eux-mêmes. “En tant que palestinien et en tant que chrétien, le moins que je puisse faire pour mon pays c’est d’y rester”.

Un point de vue partagé par Dalia Nassar, qui insiste “choisir de rester est un engagement qui a un prix. Moi par exemple, je n’ai pas encore trouvé de travail, alors que j’ai l’opportunité de travailler ailleurs. Mais si je pars, j’encourage les autres à partir aussi”. Pourtant c’est une responsabilité. C’est ce qu’indique Marina Shahin “les Églises doivent aider les jeunes chrétiens à rester, en les aidant à trouver du travail et à construire leurs vies. Nous ne pouvons pas assumer cette mission tout seuls indéfiniment”.

Dernière mise à jour: 23/01/2024 18:19

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