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Jeunes chrétiens de Ramallah: être le levain dans la pâte

Hélène Morlet
19 juillet 2016
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Jeunes chrétiens de Ramallah: être le levain dans la pâte
On se ressource en groupe puis chacun transmet ce qu'il a reçu ©Nizar Halloun/CTS

Ils sont jeunes, Palestiniens de Cisjordanie, chrétiens dans une ville à majorité musulmane. Pour eux, l’unité des chrétiens est un devoir, une mission à approfondir et ils s’y attellent avec passion. Rencontre.


Ils arrivent au compte-gouttes ce soir-là, au centre pastoral melkite de Ramallah. Ces quelques jeunes chrétiens Palestiniens font partie d’un groupe œcuménique créé en 2008, à l’initiative de Sabeel (1). Les responsables de ce Centre œcuménique de la théologie de la libération ont demandé aux paroisses de Ramallah d’envoyer un ou deux jeunes ayant une bonne formation religieuse et une foi solide.

Orthodoxes, protestants, catholiques de rite latin et byzantin, ils sont étudiants ou jeunes professionnels et se retrouvent une fois par semaine. Peter est investi avec les jeunes de sa paroisse protestante et participe à la création d’une chorale ; Ghadeer, Dina et Abeer organisent des activités – jeux et initiation à la foi – pour les enfants melkites… Lorsqu’un membre quitte le groupe, parce qu’il se marie par exemple, il est remplacé par un autre de sa paroisse.

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“Nous lisons l’Évangile de la semaine ensemble et chacun partage son interprétation. Un commentaire préparé par une personne différente à chaque fois nous aide à approfondir la réflexion. Et les “sermons communs” auxquels nous parvenons sont souvent très intéressants, plus que ceux que l’on entend à l’église”, explique Omar, orthodoxe et travaillant pour Sabeel. En plus de ces partages hebdomadaires, ce petit groupe organise des événements. “

Tout a commencé lorsque nous avons senti que nous devions faire davantage pour témoigner de notre foi auprès de ceux qui ne vont pas à l’église. Nous avons préparé des petits paquets contenant une parole de l’Évangile, choisie par nos soins et témoignant de la Résurrection du Christ. Et nous sommes allés les distribuer aux passants à Al-Manara, la place principale de Ramallah” raconte Ghadeer. “Notre initiative a été bien reçue. Certains musulmans lisaient le papier et le mettaient dans leur poche, certains chrétiens le jetaient après avoir levé les yeux au ciel l’air de dire : “On connaît la chanson”, mais nous nous sommes sentis respectés.”

Réfléchir pour agir

Ramallah a été fondée au XVIe siècle par des familles chrétiennes. Au cours du XXe siècle, les événements politiques ont entraîné un afflux de réfugiés palestiniens musulmans autour du village, et l’exil de nombreux Palestiniens chrétiens. Au sein de cette ville désormais majoritairement musulmane, la communauté chrétienne est toujours présente.

“Le but n’est pas de se convertir les uns les autres : je suis orthodoxe et même si je côtoie Peter qui est protestant et que nous nous réunissons dans les locaux de l’Église melkite, je reste orthodoxe. À chaque fois que nous invitons un nouveau membre, le curé de sa paroisse doit valider cette décision” insiste Omar. Le but est d’échanger ensemble, notamment sur les problèmes de la communauté chrétienne, pour essayer d’y remédier par des initiatives.

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En alternative aux fameuses fêtes alcoolisées de Ramallah, ils ont organisé une soirée “jeux et quiz”, pour s’amuser et apprendre à se connaître. Près de 150 jeunes sont venus. En lien avec Sabeel, ils ont aussi rendu des visites de soutien aux familles chrétiennes de Naplouse, en extrême minorité.

“Au Moyen-Orient, la religion fait partie de notre identité, de notre culture, de notre vie quotidienne et de notre langage. Mais les gens ne sont pas forcément éthiques : ils peuvent aller à l’église sans vivre de ses valeurs” analyse Omar. “Être chrétien, ce n’est pas seulement suivre la Loi, c’est marcher dans les pas du Christ, qui est beaucoup plus grand que la Loi ! C’est un vrai défi, il ne suffit pas d’aller à la messe le dimanche, il faut mettre en œuvre le premier commandement qu’est l’amour.” Tous en sont convaincus : il s’agit d’accepter l’autre tel qu’il est, avec sa confession, et savoir être franc avec lui. C’est dans cet esprit que sont animées les rencontres hebdomadaires.

Travailler ensemble

“Ce groupe n’a pas vocation à être agrandi. Nous ne voulons pas créer un nouveau cercle qui affaiblirait les Églises. Ce que nous voulons, c’est renforcer la foi des orthodoxes, des protestants, des melkites, des latins…”, ajoute encore Omar. “L’idée est que chacun puise ici du nouveau, une inspiration et un soutien pour ensuite pouvoir être, dans sa paroisse, le levain dans la pâte (Mt 13, 33).”

Acteurs du changement qu’ils veulent voir dans la société, leur œcuménisme n’est pourtant pas toujours soutenu par le clergé. Chacun y va de son explication. “Le type de message qu’on entend est contradictoire : aimez les samaritains, comme le fait Jésus, mais n’allez pas chez les protestants !” souligne l’un d’entre eux.

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Un autre pense que si les curés sont plus ou moins réfractaires, c’est plutôt lié à la hiérarchie de chaque Église. “Ou bien, comme il y a peu de chrétiens dans la région, le clergé de chaque confession est formé à protéger son troupeau, de peur qu’il ne se fasse voler des brebis par d’autres pasteurs.” C’est arrivé dans le passé, et a marqué les esprits. “Mais nous pensons qu’il est essentiel de savoir travailler ensemble, entre chrétiens de différents rites. Et nous avons peut-être réveillé chez les prêtres l’idée qu’ils pouvaient se réunir davantage et travailler ensemble.”

Et Peter de conclure : “Au fond, c’est la foi qui est importante, car même sur les questions dogmatiques graves, quand on a la foi on peut les dépasser. La foi nous rend plus grands que ces difficultés, elle nous fait voir plus loin. C’est elle qui nous unit.”

(1) www.sabeel.org

Dernière mise à jour: 10/01/2024 20:28

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