Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

De qui arabe est-il le nom ?

Propos recueillis par Marie-Armelle Beaulieu
27 novembre 2016
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
De qui arabe est-il le nom ?
Du désert, des terres arides, des peuples fiers, une langue commune. Mais vu du ciel, le monde arabe n’est pas très différent du reste de la planète ©123RF/Anton Balazh

Arabe. Monde arabe. Chrétiens arabes. Qu’il soit nom ou adjectif, le terme finirait presque par faire peur aux uns et révulser les autres, tandis que 350 millions de personnes au Proche-Orient et ailleurs le vivent comme une fierté. Mais sait-on vraiment ce que recouvre ce mot ? Et par conséquent, l’emploie-t-on à bon escient ?


Terre Sainte Magazine a interrogé le père Rafiq Khoury du patriarcat latin de Jérusalem qui a ces questions à cœur. Né à Taybeh (Palestine) en 1943, il est entré au petit séminaire en 1955, et a été ordonné prêtre en 1967. Il a fait des études de théologie pastorale et de catéchétique à Rome.

Bon connaisseur du monde arabe, il a participé au Synode des Églises du Moyen Orient de 2010 au titre d’expert. Au long d’une série d’entretiens, nous entrerons avec lui dans une connaissance affinée d’un monde, de son histoire, de ses aspirations, un monde peu ou mal connu et peut-être aussi mal-aimé.

Qu’est-ce qu’un arabe ?

Un arabe est une personne originaire du monde arabe, un monde qui va de l’Atlantique au Golfe Arabique, et qui comprend actuellement une vingtaine de pays indépendants.

Qu’est-ce que le «monde arabe» ?

Le monde arabe est un monde qui a été façonné par l’Histoire. Partons d’aujourd’hui. On peut dire que le monde arabe est composé de trois régions principales : les Arabes d’Afrique du Nord, les Arabes du Moyen-Orient – défini comme Égypte, Syrie, Irak, Palestine, Jordanie, Liban. Et les Arabes des pays du Golfe. Ce sont trois entités distinctes mais qui se reconnaissent pour appartenir à ce que l’on appelle génériquement «le monde arabe».

Cet espace se trouve avoir une large diversité, mais aussi une certaine homogénéité de langue, de culture, d’histoire, d’aspirations et de réalités.

Dans les Actes des apôtres (Ac 2, 11), on peut lire le mot arabe. Mais le texte des Actes laisse entendre que ces arabes sont des juifs. Pouvez-vous nous expliquer ?

Les arabes des Actes sont originaires de la péninsule arabique ou peut-être de la Transjordanie (la Jordanie actuelle), habitée par les arabes. La péninsule arabique avant l’islam, pour ce que nous en connaissons, voyait la coexistence de juifs, de chrétiens et de païens. Ce qui les unissait était le système tribal. Il y avait des tribus païennes, des tribus juives, des tribus chrétiennes mais tous se reconnaissaient dans cette culture arabe première.

S’agissant du texte des Actes des apôtres, on peut effectivement parler de «juifs arabes». Et ce n’est pas étrange puisque les juifs étaient partie intégrante de cette population de la péninsule. Ils en partageaient la langue, la culture, les modes de vie. Du reste les juifs au Moyen-Orient ont vécu avec et au milieu des populations arabes. Ici en Palestine, avant la naissance du sionisme, les juifs partageaient avec les chrétiens et les musulmans la même «palestinité».

Lire aussi >> Quand les chrétiens faisaient la grandeur de la langue arabe

Ils parlaient comme nous, ils vivaient comme nous. C’est le sionisme et la création de l’État d’Israël qui les a séparés, pour faire des juifs une communauté à part. Il en est de même dans les autres pays arabes du Moyen-Orient, où des intellectuels juifs arabes ont contribué dans les divers secteurs à la renaissance du monde arabe.

Si les Arabes sont en fait les habitants de la péninsule arabique, pourquoi parle-t-on d’Arabes du Liban au Maroc ?

La péninsule arabique, c’est le noyau fondamental. On peut remarquer ici que la péninsule arabique a toujours été un réservoir de peuples. A cause de la sécheresse ou de catastrophes naturelles, ces peuples émigraient vers le nord pour s’intégrer à la population locale. C’est avec l’expansion de l’islam et celle du Coran, rédigé en arabe, que la langue arabe s’est répandue et imposée. La composante essentielle du monde arabe c’est la langue arabe. Une langue qui s’est même répandue au point qu’en Perse, comme en Afghanistan on écrivait en arabe. L’arabe en Orient était, comme le latin au Moyen-Age en Europe, la langue de la culture.

En Occident au XIIe siècle, il y a eu des écoles pour apprendre l’arabe parce que c’était le véhicule d’une culture et d’une pensée. Celle d’Averroès par exemple (grand commentateur d’Aristote NDLR), ou celle d’Avicenne, un perse qui a écrit le plus souvent en arabe.

Comment s’est constitué ce qu’on appelle aujourd’hui en géopolitique le monde arabe ?

Évidemment, on ne peut qu’être schématique. La réalité est assez complexe. On peut dire que le monde arabe a connu trois étapes de constitution. Chacune est très importante y compris pour comprendre le christianisme de la région.

Tout part de la péninsule arabique, c’est l’Arabie d’où viennent les Arabes. Jusqu’à l’islam, au début du VIIe siècle, les Arabes vivaient dans un système clanique : des tribus souvent en conflit entre elles, mais qui toutefois se reconnaissaient des similitudes. C’est la première période arabe en quelque sorte.

Dans un second temps, avec l’islam les Arabes sont sortis de la péninsule pour aller à la conquête du monde de l’époque. Commençant par le Moyen-Orient, puis l’Afrique du Nord, ils ont poursuivi vers la Perse jusqu’en Inde et ailleurs (comme l’Espagne). A cette période (VIIe-XVe), l’islam a unifié les territoires conquis et a répandu la culture arabe, laquelle culture arabe a elle-même profité de la culture de ces pays (la Perse, l’Inde…).

Lire aussi >> L’identité arabe, trait d’union entre chrétiens et musulmans jordaniens

La troisième période, déterminante pour le monde arabe, c’est l’époque ottomane. De 1515 à 1917 l’identité arabe a été mise sous le boisseau. La domination turque ottomane a mis la civilisation arabe en léthargie.

Comment le mont arabe est-il revenu sur le devant de la scène ?

A partir du XIXe, avec la décadence de l’Empire ottoman, les populations du Croissant fertile ont repris conscience de leur arabité et ont voulu s’affranchir de l’emprise ottomane. Cette période est très importante pour les Arabes, dont font partie les chrétiens.

On a assisté alors à un mouvement de renaissance arabe, appelée nahda en arabe. Ce fut un renouveau de la littérature, de la langue, de la culture, de la pensée politique mais aussi de la religion.

Au début de la Première guerre mondiale, l’Occident a contribué à cette indépendance du monde arabe pour hâter la fin de l’empire ottoman. Ainsi, quand les Arabes se sont révoltés contre les Turcs, ils ont été aidés par les Occidentaux. Eux, les Arabes, visaient à leur unité. Mais l’Occident ne voyait pas cette unité arabe d’un très bon œil car contraire à leurs intérêts dans la région. Aussi, en 1916, l’Occident, à rebours du désir des populations locales, a morcelé le monde arabe en petits États nationaux, telles que nous les connaissons aujourd’hui, avec des frontières parfois artificielles et aléatoires selon les intérêts des grandes puissances de l’époque.

Ce monde arabe émergeait-il comme uni ?

Il y avait bien l’ambition de créer sur le Croissant fertile un monde arabe unifié. Il est vrai qu’il y avait – il y a encore – une grande diversité dans le monde arabe. Mais malgré tout, l’immense majorité des habitants se reconnaissent et se définissent comme arabes. Personnellement, j’ai eu l’occasion de voyager dans plusieurs de ces pays, du Golfe au Maghreb. Dans aucun d’eux je ne me suis senti étranger. Au contraire, où que je sois je me reconnais dans mon monde. C’est ma culture, c’est ma langue, c’est ma mentalité, c’est ma façon de voir le monde.

Bien qu’il y ait beaucoup de pays arabes, on peut parler d’un monde arabe.

Qu’est-ce que la Ligue arabe pour le monde arabe ?

La Ligue arabe est l’expression politique du monde arabe. Comme il y a l’Union européenne, il y a la Ligue arabe qui est censée faire progresser le monde arabe vers plus d’unité et de complémentarité.

Mais les intérêts du monde arabe peuvent diverger d’avec les intérêts que des puissances extérieures ont dans le monde arabe… De ce fait, il y a des interventions étrangères qui viennent bouleverser le jeu. Le monde arabe ne laisse personne indifférent. Et son principal intérêt vu de l’Occident c’est son pétrole. Mais c’est aussi une région stratégique entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Tout au long de l’Histoire, tous les stratèges ont cherché à s’emparer du Moyen-Orient pour dominer le monde. Si bien que le monde arabe n’est jamais laissé à lui-même. Il y a toujours eu des interventions pour le dominer, pour le plier aux intérêts qui lui sont extérieurs. Et actuellement plus que jamais.

Vous parlez de la Ligue arabe comme d’une représentation politique du monde arabe, mais elle est très critiquée y compris dans les pays arabes.

Elle est critiquée et critiquable. Elle est même en crise. Mais elle existe. Elle réunit le monde arabe mais elle est entrée dans des problématiques impossibles, dictées en partie par les intérêts des grandes puissances étrangères, surtout les États-Unis d’Amérique. Les intérêts des États-Unis ne concordent pas toujours avec les intérêts du monde arabe.

A vrai dire, vu d’ici, les Occidentaux semblent vouloir continuer à façonner le monde arabe à leur mesure. Et continuer à diviser ce qu’ils ont déjà divisé il y a cent ans. L’Occident a détruit la Palestine (deux pays), il a détruit l’Irak (trois pays) et la Libye. C’est maintenant au tour de la Syrie, bastion du nationalisme arabe. On assiste à un processus de morcellement du monde arabe sur une base religieuse ou confessionnelle ou ethnique pour des intérêts qui ne sont pas les siens.

Lire aussi >> À Taybeh, l’église el-Khadr ou le christianisme arabe en héritage

Le monde arabe est revenu sur la scène de l’Histoire comme allié et ami de l’Occident. Malheureusement, durant cent ans, l’Occident et sa politique dans la région l’ont ligué contre lui et en ont fait un ennemi, au point qu’aujourd’hui il y a ici une haine de l’Occident qui apparaît comme n’ayant jamais cessé de vouloir le diviser pour le dominer.

L’Occident a peut-être tout fait pour diviser le monde arabe. Il a néanmoins trouvé des alliés sur place pour l’aider ?

Bien sûr. Malheureusement ces alliés sont actuellement surtout des mouvements extrémistes musulmans, une anomalie jamais vue. Le monde arabe est à la recherche de lui-même. Il n’a pas encore trouvé sa stabilité politique, économique, culturelle et sociale…  C’est comme l’Italie au XIXe siècle ; elle a compté dix-neuf républiques mais elle a trouvé son unité. Le monde arabe en est encore là. A la recherche de son unité. Et par conséquent il est encore instable. Et qui dit instable, dit manipulable. Malheureusement l’Occident exploite cette instabilité pour chercher à modeler le monde arabe à la mesure de ses intérêts.

De nos jours, le monde arabe est plus que jamais secoué. Le rêve d’un monde arabe uni existe-t-il toujours dans les populations ?

Oui. A l’intérieur, profondément ancrée, il y a une aspiration des populations à s’unir dans leur propre intérêt. S’unir pour participer dans la spécificité de leurs identités à la table des Nations, comme on a l’Amérique latine, l’Afrique, l’Europe, il y a le monde arabe qui apporte à l’humanité sa propre couleur. Je dois dire ici que ce qui unit les différents pays arabes est beaucoup plus important que ce qui, par exemple, unit la France et l’Allemagne.

Quel pourrait être le ferment d’unité ?

Le président égyptien Nasser a proposé une unité. C’était un peu l’unité dans l’uniformité. Le monde arabe dans sa fermentation depuis cent ans n’a pas résolu le problème de l’autre, le problème de la diversité des composantes de ses sociétés pour donner droit à ces composantes.

A défaut d’être respectées, les différentes composantes, plutôt que de contribuer au monde arabe, en sont devenues les ennemis. Voyez les Kurdes. Ils sont présents dans plusieurs pays arabes mais cherchent aujourd’hui à s’en séparer.

L’unité se fait petit à petit. Regardez la constitution des pays européens et l’Europe elle-même.

Le monde arabe doit peut-être chercher son unité dans son économie, ou sa culture. En tous les cas, ce n’est pas une unité qui peut être imposée par le haut vers le bas. C’est une unité qui viendra de la base, et qui se construit petit à petit, à petits pas. Mais est-ce qu’on lui en laissera le temps ?

Y a-t-il des gens qui travaillent à ça ?

Oui beaucoup. Il y a beaucoup de partis politiques dans le monde arabe qui font de l’identité arabe la base de leur vision de la société. Mais le chemin est encore long et parsemé de difficultés et d’embûches.

Pour l’instant nous sommes dans l’attente. Je suis personnellement optimiste pour l’avenir, malgré les signes contraires et les difficultés immenses.

Mais l’unité arabe fait peur…

Mais ce n’est pas nécessairement un monde ennemi ! Si nous l’aidons à récupérer sa propre identité, il peut entrer en échange avec le reste du monde. Un échange fait de respect. Nous, Arabes, voulons exister en partenaires avec le reste du monde. Nous ne voulons ni dominer ni être dominés.

Pour ma part je reste optimiste. Nous passons par une période d’épreuves et c’est dans l’épreuve que naissent les sociétés. J’ai cette espérance qu’au-delà de toutes ces souffrances il y aura une nouvelle naissance du monde arabe, un monde arabe qui va s’ouvrir à lui-même d’abord et ensuite au monde.


Vocabulaire – La nahda ou la renaissance arabe du XIXe

Le terme arabe nahda désigne cette période de l’Histoire où, au XIXe siècle, le monde arabe connaît une renaissance culturelle et religieuse ainsi qu’un premier éveil politique. Cette époque voit la reconfiguration de la pensée arabe sur des sujets aussi essentiels que la pratique de la religion, la place de l’islam en politique, la conception du pouvoir ou les questions socio-économiques.

On prend souvent comme point de départ de la nahda l’expédition d’Égypte de Napoléon Bonaparte, en 1798 : le contexte de la nahda est bien, en effet, cette période où l’Empire ottoman se trouve très affaibli, jusqu’à voir contestée son intégrité par les grandes puissances étrangères, et où l’influence européenne se fait de plus en plus forte en Orient. Deux tendances principales se dessinent dans le mouvement général qu’on appelle nahda : d’abord le réformisme islamique et d’autre part l’éveil politique du monde arabe, pour lequel l’Égypte joue un rôle déterminant puisqu’elle est le premier pays arabe à conceptualiser l’État-nation comme un véritable devenir politique. Introduction de l’article de Tatiana Pignon sur le site Les Clés du Moyen Orient

Dernière mise à jour: 21/01/2024 23:52