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Les chrétiens Palestiniens et la vie en diaspora

Nizar Halloun
30 mai 2018
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Les chrétiens Palestiniens et la vie en diaspora
Baie de San Francisco USA, l’Administrateur apostolique, Pierbattista Pizzaballa, avec quelques membres de la communauté palestinienne chrétienne de la région.

Comment un Palestinien en arrive-t-il à émigrer aux États-Unis,
ou dans un pays du Golfe ? Une fois sur place, s’intègre-t-il
ou reste-t-il palestinien ? Mieux comprendre l’émigration chrétienne peut aider à l’endiguer ou construire des ponts avec la diaspora.


L’émigration est un sujet qui mêle la sociologie et la géographie, commence par expliquer Fawadleh. Par ailleurs, toutes et tous sont concernés par l’émigration, l’asile, la souffrance des émigrés qui sont des questions toujours d’actualité.”
Hadeel Fawadleh est professeure à l’université de Bir Zeit et spécialiste de l’émigration chrétienne palestinienne. Son sujet de thèse a porté sur l’émigration et la diaspora palestiniennes. Dans ce travail elle a choisi de faire une comparaison entre les chrétiens Palestiniens ayant émigré à San Francisco aux États-Unis et ceux partis pour Amman en Jordanie.
Le plus grand nombre de Palestiniens des pays arabes se trouvent en Jordanie, où ils constituent plus de 60 % de la population jordanienne. Le choix de l’Amérique du nord dans l’étude de Fawadleh traduisait le désir d’explorer un terrain moins étudié. En effet davantage d’enquêtes ont été faites sur l’Amérique du sud où se trouve la majorité des chrétiens Palestiniens.
Dans son travail Fawadleh s’est consacrée à plusieurs aspects de l’émigration en commençant par ce que l’on appelle le remapping migration, le re-traçage des routes de migration. “Par exemple nous savons qu’une famille établie à San Francisco n’est pas partie directement aux États-Unis. Expulsée, par exemple, en 1948 de Nazareth à Ramallah, elle serait partie, après 1967, en Jordanie, puis dans les pays du Golfe. Avec les guerres au Koweït puis en Irak, elle serait revenue en Jordanie pour repartir à San Francisco.” C’est un exemple de chemin de migration. Chaque période et mouvement migratoire sont justifiés par des facteurs économico-politiques.
“Il y a donc eu la Nakbah (NDLR – l’exode consécutif à la guerre de 1948), la Naksa (NDLR – l’exode qui suivit la guerre des Six jours en 1967), la guerre du Golfe, septembre noir (le conflit entre les Palestiniens et l’armée jordanienne en 1970), la guerre civile libanaise (1975), la première et la seconde intifada. Tous ces événements majeurs et mineurs ont poussé les Palestiniens, année après année, vers la porte de sortie.” Les Palestiniens, dans l’impossibilité du retour vers leur pays d’origine, avaient donc le choix entre revenir vers la Jordanie ou profiter de leurs relations et réseaux familiaux aux États-Unis pour se procurer un visa et émigrer.
“Le cas de l’émigration palestinienne est particulier, rappelle Fawadleh, c’est un déplacement qui n’obéit pas à une volonté libre mais à un fait imposé, particulièrement en 1948. Les Amériques offraient un choix facile parce qu’il y a une religion et une langue communes, deux aspects qui facilitent la vie culturelle.” Par ailleurs des Églises occidentales en Terre Sainte ont encouragé l’émigration. L’école de la “Société des Amis” à Ramallah, appartenant aux Quakers, une dissidence de l’Église anglicane, incita les jeunes à poursuivre leurs études aux États-Unis et beaucoup choisirent d’y rester. “Les écoles étrangères, au départ chrétiennes, offraient un système pédagogique différent. Elles apportaient une culture et des langues supplémentaires, ouvrant des possibilités autrefois inexistantes aux étudiants. Ceci est une des raisons pour lesquelles les chrétiens ont commencé à émigrer avant les musulmans.”

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Toujours Palestiniens

Dans les pays de destination les émigrés ont formé des communautés, attirants de plus en plus de gens. À San Francisco, les émigrés Palestiniens de Ramallah ont habité dans un secteur particulier comme Ocean Street ou Sun Set District. “En Jordanie, compare-t-elle, le cas était similaire, les Palestiniens chrétiens ont habité dans des camps à proximité des couvents et des églises : c’est le cas d’Achrafieh ou Jabal Amman. La raison est simple : les Églises offraient des aides humanitaires aux émigrants, c’est toujours le cas aujourd’hui, sans distinction de religions.”
“Les chrétiens Palestiniens en Jordanie n’ont pas habité dans les camps de réfugiés”, explique Fawadleh. Un grand nombre de chrétiens avaient une situation financière confortable et par conséquent n’ont pas résidé dans les camps. D’autres sont restés peu de temps en Jordanie avant de partir dans les pays du Golfe ou d’Occident.
“Restant groupés dans des quartiers, ils ont conservé leur identité palestinienne régionale et religieuse d’origine. Avec le temps ils se sont ouverts aux autres cultures tout en réussissant à garder leur identité palestinienne et chrétienne, devenue alors une identité ethnique.”

 

Chrétiens palestiniens, jordaniens et syriens pour accueillir le pape François à Amman en 2014.

 

Liens indéfectibles

Les mariages, même ceux de la seconde génération, se firent de préférence entre Palestiniens, en Jordanie comme ailleurs. “Le mariage comme façon de préserver une identité culturelle, n’est pas un cas isolé. Il y a également celui de ces trois paroisses aux États-Unis, en lien canonique avec le patriarcat latin de Jérusalem, desservies par des prêtres palestiniens (1). Les Palestiniens préfèrent avoir leurs propres églises. Des paroisses luthériennes ont également des pasteurs arabophones. Cela montre clairement le désir de conserver un héritage religieux palestinien ainsi que des us et coutumes.” C’est un pont, non pas entre l’Orient et l’Occident, mais entre la diaspora et la Terre Sainte. L’Église représente ce lieu où le culte se mêle à la rencontre et les échanges entre la nation de départ et sa diaspora. La question identitaire de la diaspora aux États-Unis est complexe, cependant les chrétiens Palestiniens se présenteraient le plus souvent comme Américains avec des racines arabes ou palestiniennes. En revanche, en Jordanie beaucoup s’identifient de préférence comme chrétiens. “La Jordanie traite très bien les chrétiens, comparée à d’autres pays arabes. Seulement, il y a toujours des lois qui freinent les chrétiens. Leur représentation au Parlement est par exemple limitée à neuf sièges, autrement dit il n’y aura jamais un Premier ministre chrétien. Ils sont limités parce que chrétiens et Palestiniens”, conséquence des tentatives d’Arafat de renverser le roi Hussein. “Cela se traduit dans les rangs militaires où tous les haut-gradés dans l’armée et les services de sécurité sont issus des clans traditionnels jordaniens. Les Palestiniens, chrétiens et musulmans, travaillent donc dans les secteurs de l’économie et du commerce. Cela explique qu’aujourd’hui les grands capitaux jordaniens sont entre les mains de nombreux Jordaniens d’origine palestino-chrétienne.”
Les familles de la diaspora palestinienne sont dispersées dans les quatre coins du monde. La rencontre entre les familles est difficile pour des raisons devenues bureaucratiques. “D’une part, c’est une dispersion géographique, sociale, mais elle est surtout intrinsèquement politique. Légalement ils ne peuvent plus revenir chez-eux, certains liens se fragilisent et finissent par se perdre. D’autre part, la diaspora a eu un effet unificateur. L’expérience de l’expulsion, l’expérience de la souffrance, la perte de ses propriétés, la perte de sa terre, ont permis aussitôt partis, la réunification des Palestiniens à l’étranger. L’expérience est à la fois singulière et commune à tous.” Les différences entre Palestiniens à l’étranger sont gommées, et l’accent porté sur l’entraide, la solidarité et l’héritage culturel.

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Aujourd’hui les capitaux palestiniens de la diaspora investissent dans les villes palestiniennes pour construire et soutenir des initiatives de longue durée. “Les Palestiniens de la diaspora ont des capitaux avec un potentiel d’impact économique autant que politique. Aujourd’hui, les personnalités palestiniennes susceptibles d’avoir un poids n’ont pas été exploitées à des fins de pression politique. Est-ce voulu ? Nous n’avons pas de réponse. La pression politique est une chose qui se construit avec le temps. Elle est étroitement liée à la question identitaire, cette dernière est la force motrice de toutes les activités politiques et culturelles.” Sur le terrain, des associations palestiniennes à l’étranger collectent de l’argent pour les différentes municipalités dont elles soutiennent les projets. L’hôpital gouvernemental de Ramallah a été fondé par la diaspora palestinienne des États-Unis. Plusieurs départements de l’Université de Bir Zeit ont également été construits grâce à des fonds de la diaspora et offrent annuellement de nombreuses bourses universitaires et diverses subventions. “Certains fonds viennent par le biais d’Églises ou d’organisations non-gouvernementales soutenir des projets sociaux, explique Hadeel Fawadleh. Les projets d’investissements passent par l’Autorité palestinienne qui prend un pourcentage, une des raisons pour laquelle beaucoup préfèrent passer si possible par les Églises ou les ONG. D’autres investissent indirectement par leurs visites régulières, via les pèlerinages ou en créant des associations d’entraide.” Les mariages entre Palestiniens deviennent également une forme d’investissement à multiples facettes. “Les liens entre la diaspora et le pays natal existent et s’expriment de différentes manières mais restent toutefois conditionnés par les contraintes imposées par l’Occupation.” t

(1) St. Thomas Moore à San Francisco, St. Joseph à Los Angeles et la paroisse du Bon berger à New York.
Les prêtres palestiniens qui desservent ces paroisses le font au titre de Fidei Donum.

Dernière mise à jour: 06/02/2024 11:37