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Tombeau des rois: ouverture d’un chapitre devant la justice

Christophe Lafontaine
21 mai 2019
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Tombeau des rois: ouverture d’un chapitre devant la justice
Juifs ultra-orthodoxes rassemblés pour prier lors d'une manifestation contre la fermeture du site du Tombeau des rois au public, à l'entrée du site, à Jérusalem-Est, le 24 janvier 2019 © Yonatan Sindel/Flash90

Dans une action en justice du 16 mai, une association cultuelle juive réclame à la France la propriété du Tombeau des rois (Jérusalem-Est). Alors que la France va bientôt rouvrir le site désormais restauré.


C’est un écheveau historique, politique et religieux dont un avocat franco-israélien veut se saisir devant la justice. Ainsi, mercredi 16 mai, le ministère français des Affaires étrangères et le Consulat général de France à Jérusalem ont été assignés devant le tribunal de grande instance de Paris (France). Selon Le Figaro qui a rapporté l’information, « les rabbins israéliens issus de la mouvance ultra-orthodoxe veulent bouter la France hors du Tombeau des rois qui appartient au domaine national français en Terre Sainte depuis la fin du XIXe. » A l’instar de l’église Sainte-Anne, l’abbaye d’Abou Gosh et l’Eléona sur le Mont des oliviers. Un privilège unique en Terre Sainte, héritage de l’empire ottoman, dont le statu quo a été confirmé par Israël peu après sa création ainsi que par l’Autorité palestinienne en 1997.
Le Tombeau des rois est un site vieux de plus de 2 000 ans abritant plus d’une trentaine de tombes juives. Il est situé dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est. Depuis 1886, le site est administré et entretenu par le consulat de France à Jérusalem.
Depuis neuf mois, des groupes de juifs ultra-orthodoxes réclament devant le portail – qui est fermé – de pouvoir prier au Tombeau des rois. Leurs manifestations (essentiellement des prières devant l’entrée) sont soutenues par les factions israéliennes de droite, le ministère israélien des Affaires religieuses, le grand rabbin de Jérusalem et le rabbin du Mur occidental. La procédure judiciaire lancée par certains d’entre eux mercredi dernier est l’un des prolongements de ces protestations. Mais, comme a voulu préciser sur son compte Facebook, Maître Goldnadel, « contrairement au sous-titre [de l’article du Figaro], les revendiquants, que j’ai l’honneur de représenter, n’ont rien d’« ultra-orthodoxes » et , pour la plupart, ne sont même pas barbus. »
L’association qui a décidé de contester la propriété et les droits sur le site qui sont revendiqués par le consulat général de France se dénomme le « Hekdesh du Tombeau des rois ». Le Hekdesh est un organisme chargé de gérer les donations faites à perpétuité par un particulier à une œuvre pieuse du judaïsme.
Le site du consulat général de France, indique que le domaine, « fut acquis par les frères Pereire, célèbres banquiers du Second Empire, qui le donnèrent à la France en 1886. »
Selon les rabbins Isaac Mamo et Jacob Zalsman, qui en 2015 ont intenté un procès via un tribunal rabbinique contre la France pour occupation d’un lieu saint du judaïsme (mais sans suite car la France avait refusé de se soumettre à une instance juridique religieuse, conformément à la Convention de Vienne – 1961 -), le Tombeau des rois a été acquis par Berthe Amélie Bertrand, née Levi, une richissime philanthrope, réputée pour être très religieuse et apparentée aux frères Pereire. « Les lois ottomanes, explicite Le Figaro, l’auraient contrainte de passer par un mandataire, le consul de France à Jérusalem de l’époque, pour réaliser l’opération. » Dans une lettre, elle déclara alors n’avoir « d’autre but que la conservation de cet antique et vénérable monument. (…) C’est en souvenir de mes ancêtres que je veux préserver de toute profanation le Tombeau. » Suite au souhait de Berthe Amélie Bertrand, il fut alors spécifié en présence du grand rabbin de Paris, Lazar Isidor, que le terrain avait vocation à rester propriété de la communauté juive. Après héritage, la famille Pereire donna le site à la France en 1886.

Des droits et des conditions

Pour le défenseur du « Hekdesh du Tombeau des rois », Berthe Amélie Bertrand a acquis le site « non pas pour le posséder pour elle-même mais pour en faire don à la communauté juive. C’est pourquoi il doit revenir à l’administrateur culturel dont c’est la vocation. » D’après Le Figaro, Maître Gilles-William Goldnadel se dit « convaincu que sa demande n’est pas couverte par la prescription acquisitive. » Car « ce délai au-delà duquel il n’est plus possible de contester la légitimité de la propriété d’un bien ne concerne pas, selon lui, les sépultures. »
Il est entendu que la France ne veut pas céder sur cette question de souveraineté. Haïm Korsia, le grand rabbin de la communauté juive en France est sur la même ligne. « Il faut affirmer clairement qu’il n’est pas question de remettre en cause les droits de la France sur ce site » avait-il affirmé, au Figaro le 29 janvier 2019. « Après tout, déclarait-il, la responsabilité confiée par la famille Pereire à la France n’est-elle pas le symbole émouvant du lien qui unit la communauté juive et la République ? »
Le Figaro avance par ailleurs que l’entourage du ministre français des Affaires Etrangères considère que la donation de la famille Pereire oblige la France. Notamment en ayant la responsabilité de rouvrir le domaine au public. Il fut effectivement fermé pendant une petite dizaine d’années par les autorités françaises qui ont par la suite engagé des travaux d’un montant de près d’un million d’euros pour restaurer le Tombeau (étanchéité, sécurité, etc.) Depuis que les travaux sont terminés (annonce fut faite en septembre 2018), la France envisage la réouverture du site sous condition. Haaretz, en décembre expliquait que le consulat voulait : « premièrement, qu’Israël reconnaisse officiellement la propriété française du site et deuxièmement, que la France soit assurée qu’aucun nouveau procès ne soit intenté contre elle. » Comme ce fut le cas en 2015…
La France veut se prémunir d’une occupation des lieux qui pourrait mettre à mal sa souveraineté. Qui plus est dans les quartiers orientaux palestiniens de la ville sainte, occupés et annexés en 1967 par l’Etat hébreu. Ce qui pour la France, « engendrerait de graves complications politiques avec les Palestiniens », soulevait le quotidien israélien cet hiver. Par ailleurs, toujours selon Haaretz, le consulat général de France à Jérusalem, craindrait – comme l’Autorité des antiquités israéliennes, favorable elle aussi à son ouverture -, que le Tombeau des rois une fois accessible au public, subisse « le même sort » que de nombreux autres sites historiques de la ville qui sont passés des domaines archéologiques et touristiques à des sites purement religieux. Notamment dans la vieille ville de Jérusalem. Des faits qui ne sont d’ailleurs pas du fait des seuls juifs ultra-orthodoxes. Un exemple parmi d’autres, les chrétiens évangéliques ont pris leurs habitudes devant les portes de Hulda et sur les grandes marches de l’escalier qui permettaient l’accès au sud du Temple.

La question du rapatriement du sarcophage de la reine Hélène d’Adiabène

Le nom du complexe funéraire remontant à l’époque du Second Temple fait référence aux premiers rois de Juda suite à une erreur historique. Aujourd’hui, les archéologues dans leur majorité se rallient aux écrits de l’historien judéo-romain Flavius Josèphe (Antiquités judaïques, XX, 94-95) attribuant ce lieu de sépulture à celui de la reine Hélène d’Adiabène, convertie au judaïsme au Ier siècle après J.-C. Son royaume était situé en Mésopotamie dans – peu ou prou – l’actuel Kurdistan. Le site qui est l’un des plus grands hypogées de la région a été fouillé en 1863 par Félicien de Saulcy au grand dam des juifs de l’époque qui lui reprochèrent de déterrer des ossements juifs et de profaner ainsi le lieu. L’archéologue français fit toutefois parvenir au musée du Louvre en France, avec l’accord des autorités ottomanes, un sarcophage en calcaire supposé être celui de la reine Hélène d’Adiabène. Il contenait un squelette de femme enveloppé dans un linceul tissé de fils d’or. Maître Gilles-William Goldnadel, a fait savoir Le Figaro, prévoit également « d’engager, en marge de [l’] affaire, une action » pour demander leur retour à Jérusalem.