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A Taybeh les Palestiniens “retiennent leurs souffle” durant la pandémie

Kassam Maadi
11 septembre 2020
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A Taybeh les Palestiniens “retiennent leurs souffle” durant la pandémie
La crise sanitaire fait peser sur le village de Taybeh le spectre inquiétant de l’appauvrissement de l’ensemble de la communauté. @Kassam Maaddi

La Palestine est allée d’un confinement à l’autre ces six derniers mois. Son système de santé n’aurait pas supporté l’afflux de malades graves. Kassam Maaddi nous montre ici comment les effets sociaux du confinement se font sentir dans le village chrétien de Taybeh.


Le soleil de juillet fouette les rues désertes de Taybeh dans l’après-midi. Les cloches de l’église latine permettent de garder le sens du temps, dont tout aspect de son passage est arrêté. Pas un signe de vie si ce n’est quelques magasins ouverts aux clients, et pourtant vides des jeunes qui habituellement y passent leur temps. Depuis quatre mois la circulation dans ce village chrétien de Palestine, ainsi que dans le reste de la Cisjordanie, s’est réduite au minimum, sous la pression du coronavirus.

“C’est la première fois de ma vie que nous ne célébrons pas Pâques”

La pandémie a frappé la Palestine début mars dernier. Le premier impact était à Bethléem, où le passage d’un groupe de touristes infectés a mis le personnel de leur hôtel, et la ville toute entière sous quarantaine pendant plusieurs semaines. Les cas d’infection ont ensuite augmenté dans plusieurs villes, notamment par la contagion de travailleurs palestiniens revenant d’Israël.

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Avant la fin du mois toute la Cisjordanie et la bande de Gaza étaient sous confinement général, décrété par l’autorité palestinienne.

À Taybeh il n’y a pas eu de cas d’infection par coronavirus jusqu’à maintenant. Mais le coût de la pandémie sur la vie du village a été sans précédent. “C’est la première fois de ma vie que nous ne célébrons pas Pâques” dit Randa Kort, mère de 55 ans et gérante du magasin de sa famille. “Il n’y a pas eu de procession de la lumière le Samedi saint. Et la messe, comme tous les rassemblements, était interdite” décrit-elle.

© Kassam Maaddi

 

Plus dur que pendant l’Intifada

Taybeh est situé en zone B. Le village est alors sous administration civile palestinienne, mais sous contrôle direct de l’armée d’occupation israélienne. Même si l’Autorité palestinienne n’a pas de présence policière pour vérifier le respect du confinement, les institutions s’y soumettent.

C’est le cas des deux écoles du village, appartenant aux patriarcats latin et orthodoxe. Abir Khouriyeh, directrice de l’école orthodoxe explique que “les élèves à notre école ne viennent pas que de Taybeh, mais de huit villages. C’est pourquoi la prévention est encore plus importante dans notre cas.” Abir estime que “le ministère de l’éducation va permettre la reprise des cours dans les établissements pour la rentrée. Mais de toute façon nos enseignants reçoivent maintenant une formation à l’enseignement par Internet”.

Abir Khouriyeh est aussi membre du comité d’urgences de Taybeh. Ces comités ont été formés dans toute la Palestine au début de la pandémie pour gérer la crise au niveau local. “Nous avons stérilisé les rues et les magasins. Ensuite nous avons installé des barrages aux entrées du village, en coordination avec les villages voisins, pour limiter la circulation” explique Abir.

“Nous devons faire face à un virus dont on connaît peu de choses, en plus de la crise sociale qui va avec, et les moyens sont limités”.

Ces comités sont composés de volontaires, à l’image des comités populaires, qui agissaient comme des corps d’autogestion pendant la première Intifada. “Cette fois, c’est plus dur que pendant l’Intifada”, dit Abir Khouriyeh, “Nous devons faire face à un virus dont on connaît peu de choses, en plus de la crise sociale qui va avec, et les moyens sont limités”.

Dans son magasin, Randa Kort note l’impact de cette crise : “Les gens n’ont pas d’argent, parce que leur travail est arrêté. Ils doivent épargner, alors ils n’achètent plus que les choses nécessaires au jour le jour et ça a beaucoup réduit les ventes”.

© Kassam Maaddi

 

Si je ne nourris pas mes enfants, personne ne le fera

Les Palestiniens de la diaspora ont envoyé de l’argent pour aider les familles dans le besoin, à travers les comités d’urgences. Pourtant, Abir Khouriyeh assure que c’est loin d’être suffisant. “C’est surprenant de voir combien de gens dissimulent leur situation. À Taybeh nous avons une dame âgée qui doit dépenser tous les mois 1600 shekels en médicaments et n’avait pas une pilule chez elle. Ou encore un ouvrier, père de famille, que personne n’avait embauché depuis trois mois et ses épargnes sont presque épuisées. Les cas se comptent par dizaines, et ce dans un village de 1300 habitants”.

Un des secteurs les plus affectés est celui des fonctionnaires publiques. Pour faire face à la crise sanitaire, le gouvernement a dû retarder leurs salaires. Des salaires dont dépendent des nombreuses familles de Taybeh. L’une d’elles est celle d’Iyad Youssef, 48 ans et père de trois enfants. Lui et sa femme sont employés au département de sécurité du gouvernement palestinien à Ramallah. Il confirme : “Ce n’est que le 25 juillet passé que moi et mon épouse avons reçu la moitié de nos salaires du mois de mai. Soit 500 shekels (104 euros) chacun”. Il ajoute : “Ça ne suffit pas pour acheter les légumes.”

Cette pression sociale rend l’imposition d’un confinement sanitaire impossible. “À côté de mon travail, je suis aussi mécanicien”, souligne Iyad, “sous confinement ou pas, j’ouvre mon garage et je reçois des clients. Si je ne nourris pas mes enfants, personne ne le fera à ma place”.

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Confinement banalisé

Face à cette situation, et pour permettre aux Palestiniens de travailler, le gouvernement palestinien a adopté, depuis la fin de juin, une politique confinement relatif. Celui-ci n’est décrété que pour quatre ou cinq jours uniquement dans les zones les plus affectées. Le décret est renouvelé adapté en permanence en changeant les zones incluses selon le développement de la contagion.

À Taybeh, qui est toujours inclus dans le confinement, la banalisation arrive après le coucher du soleil. “Les commerces alors ouvrent et les gens sortent un peu”, explique Abir Khouriyeh, “C’est l’occasion d’acheter de la nourriture et prendre l’air”. Dans son magasin, Randa Kort note que “beaucoup des gens passent dire bonjour, échanger un peu, sans rien acheter”. Pour elle, “les gens en ont marre. J’espère que ça sera fini avant Noël, mais j’en doute”. Abir Khouriyeh de son côté, exprime d’autres craintes ; “je ne sais pas jusqu’à quand on peut demander aux gens de retenir encore leur souffle”.


EN SAVOIR +

Taybeh 

Dernier village chrétien de Palestine

Falk van Gaver ; Kassam Maaddi,
Editions du Rocher, 2015
192 pages. ISBN 978-2-268-07 642-3

 

 

Dernière mise à jour: 11/03/2024 11:54

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