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Liban : Mgr César Essayan au chevet des démunis

Ines Gil
16 décembre 2020
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Le vicaire apostolique de Beyrouth pour les catholiques de rite romain au Liban vient en aide aux victimes de la crise économique et de l’explosion du port de Beyrouth survenue le 4 août dernier. Evêque depuis 2016, il se démarque par son engagement auprès des latins du Liban et son franc-parler sur la situation du pays.


Sur les hauteurs de Jeita, une bourgade située à 20 kilomètres au nord de Beyrouth, une petite villa surplombe la ville. Entourée de fleurs colorées, coupée du reste du monde, la coquette barraque dégage un calme profond. C’est le vicariat des catholiques latins du Liban. A l’entrée, quelques volontaires remplissent des caisses avec du riz et de l’huile : « ces denrées vont partir vers le sud du Liban, pour des familles en difficulté », lance Mgr Essayan. Dans son bureau modeste, quelques livres de théologie et un portrait du pape François : « sa sainteté m’a appelé en 2016 pour m’annoncer que j’allais devenir évêque. C’était une vraie surprise pour moi. » Car a priori, rien ne le prédisposait à devenir vicaire pour les latins du Liban. Né dans une famille arménienne orthodoxe, il grandit chez les frères maristes, dans une congrégation latine, avec les maronites : « j’ai fini par m’ouvrir à l’Eglise à travers le mouvement eucharistique des jeunes. » Alors étudiant en architecture, il trouve sa vocation : « Je suis entré dans les ordres avant même de finir mes études » dit-il, le sourire aux lèvres.

L’aide aux plus pauvres

Mgr Essayan fait rapidement de l’aide aux démunis la raison de son engagement. Passé par Rome, il revient au Liban chez les Franciscains pendant la guerre civile libanaise[1]. Au couvent de Zahlé à partir de 2010, il mène des actions pour venir en aide aux réfugiés syriens qui ont fui la guerre dans le pays voisin : « on a créé l’association Equal pour opérer dans les petits camps de réfugiés, où les grandes ONG sont moins présentes » indique-t-il. En 2016, il devient vicaire apostolique. Il s’occupe de 45 congrégations latines au Liban, soit « 1100 religieux, dispersés sur 215 couvents. » Un nombre considérable pour un si petit pays, où les chrétiens sont minoritaires : « certes, la présence diminue, mais les églises sont encore là, principalement à travers les écoles et l’aide médicale. Les Franciscains de la croix, à eux seuls, aident 3500 personnes en situation de handicap ! » lance-t-il avec fierté. Depuis quatre ans, l’engagement de Mgr Essayan donne une impulsion nouvelle à la communauté latine du Liban : « on soutient surtout les latins car on les connait. Mais si une personne dans le besoin frappe à notre porte, on ne fait pas de distinction selon la religion. Un pauvre est un pauvre. »

Depuis l’été 2019, les activités du vicariat ont été renforcées car le Liban s’est brutalement enfoncé dans une crise économique d’une violence inouïe. Aujourd’hui, 50% de la population vit sous le seuil de pauvreté et la famine menace une partie du pays : « il y a un an, on soutenait une trentaine de familles avec une aide alimentaire, médicale et psychologique » indique Joëlle, psychologue auprès du vicariat : « aujourd’hui, on assiste 360 familles » assure-t-elle, l’air grave, « et le chiffre ne fait qu’augmenter depuis l’explosion du port de Beyrouth. »

Le traumatisme de l’explosion

Le 4 août dernier, Mgr Essayan est en retraite spirituelle à Besançon, en France, quand l’explosion du port détruit une partie de Beyrouth. De retour au Liban, il multiplie les aides pour les victimes : « on a identifié les familles dans le besoin. De nombreux latins habitent les quartiers touchés par l’explosion. »

A ce jour, 60 maisons ont été réhabilitées par le vicariat apostolique. Pour assurer un suivi sur le long terme, un centre social va être érigé à Geitawi, à proximité du port. Une première. Baptisé « Crossing together » (« traverser ensemble » en français), le centre accueillera les familles isolées avec une aide psychologique après le traumatisme de l’explosion, des rencontres et un accès internet à disposition : « on offrira aussi une aide alimentaire et tous seront les bienvenus pour les fêtes chrétiennes » assure William, qui gère le projet.

La création d’un Liban nouveau

Dans son bureau, Mgr Essayan croise ses mains, d’un air sérieux : « la crise, l’explosion… si le Liban en est arrivé là, c’est parce que depuis 1975[2], nous sommes esclaves de groupes mafieux » assure-t-il. « Le combat des jeunes descendus dans la rue à l’automne 2019 est juste » ajoute-t-il, en référence à la Thawra, un mouvement de contestation révolutionnaire qui avait réuni des centaines de milliers de Libanais en octobre 2019, pour dénoncer la corruption et demander le départ des dirigeants libanais. A l’époque, des prêtres latins se rendent régulièrement aux manifestations, « pas pour les encourager » indique Mgr Essayan, « mais pour écouter et absorber la colère. » Mais si l’évêque se montre très critique à l’égard des dirigeants libanais, qu’il décrit comme « stupides » et « avares », il appelle aussi la population à faire un examen de conscience. Selon lui, tous les Libanais sont un peu responsables des disfonctionnements dans le pays : « il faut le reconnaitre : la corruption touche toute la société, pas seulement la classe politique. Au-delà de cela, nous faisons face à un problème encore plus profond au Liban » confie-t-il, « pour construire une société libanaise fonctionnelle, il faut avant tout reconnaître les atrocités réalisées pendant la guerre civile. On a toujours fait des réconciliations superficielles. Cela empêche le Liban d’avancer. » Il ajoute : « il n’y a pas de paix sans justice et il n’y a pas de justice sans vérité. »

Selon l’évêque, la population libanaise fait face à deux défis majeurs : « construire une nouvelle identité commune, au-delà des divisions communautaires » et « garder espoir durant cette triste période. » Mais Mgr Essayan n’est pas dupe. Il dit comprendre les Libanais qui font le choix du départ : « ceux qui pensent partir, je leur dis : partez. Personne n’est obligé de vivre dans un Liban où il n’a pas de prise. Les enfants libanais ne doivent pas subir ce que notre génération a subi. » La désillusion est forte, même chez ce religieux réputé optimiste. Le regard dans le vide, l’évêque s’arrête, et lance, en un soupire : « Le chemin de la liberté sera très long et très dur. »

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[1] (1975-1990)

[2] début de la guerre civile libanaise

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