Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Au Liban, la béatification de deux martyrs capucins réjouit

Christophe Lafontaine
6 juin 2022
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
Au Liban, la béatification de deux martyrs capucins réjouit
Photo des pères missionnaires et martyrs, Léonard Melki et Thomas Saleh, tirée de la page officielle en arabe dédiée à leur béatification

Deux prêtres capucins martyrisés sous l’Empire ottoman, Léonard Melki et Thomas Saleh, ont été béatifiés le 4 juin à Beyrouth. Une belle nouvelle pour un pays qui gît sous le poids de son histoire et des circonstances.


« Grande joie pour les Capucins, pour le vicariat, pour l’Eglise et le Liban ». Voilà le sentiment exprimé par Mgr César Essayan, vicaire apostolique de Beyrouth pour les catholiques de rite latin au Liban à l’occasion de la béatification de Léonard Melki et Thomas Saleh.

Samedi 4 juin en fin d’après-midi, en présence du nonce apostolique, du président général de l’Ordre des Capucins dans le monde, de Mgr César Essayan, du patriarche des maronites, du patriarche syriaque catholique, du Custode de l’Ordre des Capucins au Proche-Orient (Syrie-Liban), des représentants des confessions chrétiennes au Liban, le cardinal Marcello Semeraro, Préfet de la Congrégation pour les causes des saints, a présidé au couvent de la Croix à Jal El Dib dans la banlieue nord de Beyrouth au Liban, la messe de béatification des serviteurs de Dieu précités.  

Lire aussi >> Mgr Essayan: «Sortir du communautarisme pour aller vers le bien commun»

Les deux prêtres missionnaires de l’Ordre des Capucins des Frères Mineurs (la grande famille franciscaine) sont morts en martyrs, autour de l’âge de 35 ans, en 1915 et 1917, dans le contexte de l’effondrement de l’Empire ottoman. Dans son homélie, relayée par Vatican News, le cardinal Marcello Semeraro a rappelé que leur martyre « se mêla aux événements tragiques de la persécution contre tout le peuple arménien et contre la foi chrétienne ».

Une béatification riche de sens pour les Libanais

La cérémonie de béatification, a rapporté l’agence de presse Fides « a été précédée d’une semaine de rencontres, de veillées de prière, de processions et de concerts organisés au Pays du Cèdre pour partager avec tout le peuple libanais, dans cette phase difficile de son histoire, la gratitude sincère des communautés chrétiennes locales pour le trésor de foi, d’espérance et de charité qui brille dans l’expérience du martyre des deux nouveaux bienheureux ». 

Dans cette perspective, à l’heure où le Liban connaît une crise pluridimensionnelle, « nous avons besoin de témoins, de martyrs, qui se sont totalement donnés », a encore expliqué le cardinal Marcello Semeraro dans son homélie.

Dans un communiqué, le président du Liban, Michel Aoun, a estimé que cette cérémonie de béatification « affirm[ait] au monde entier que le Liban demeure au cœur des préoccupations de l’Eglise et qu’il restera le pays de la sainteté ».  Le chef de l’Etat a aussi remercié le pape François « pour avoir exaucé un vœu cher aux Libanais » et a renouvelé l’espoir que le Pape visitera bientôt le pays du Cèdre.

Lire aussi >> Frère Quirico Calella : « Au Liban, il est difficile de refuser d’aider des gens »

Le patriarche Bechara Raï, qui a célébré une messe d’action de grâce au lendemain de la cérémonie de béatification, s’est adressé aux Libanais à l’aune du contexte actuel dans le pays du Cèdre : « En béatifiant deux moines libanais, Dieu s’adresse une fois de plus aux Libanais, aux responsables, aux politiques et au peuple, dans les circonstances difficiles que nous vivons de toutes parts, et nous appelle à nous ouvrir à l’œuvre du Saint-Esprit ».

Et d’ajouter qu’ « il est temps pour nous d’écouter ce que Dieu nous dit, laissons de côté les voix de nos intérêts personnels, factionnels, partisans et sectaires, afin que nous puissions entendre ce que l’Esprit nous dit ».

Assassinés au cours du génocide arménien de la Première Guerre mondiale

Amis et compagnons dans la foi, les deux capucins latins, initialement élevés dans des familles maronites, étaient originaires de Baabdat, une localité du Caza du Metn dans le Mont-Liban, à 22 km de Beyrouth. Attirés par l’exemple des capucins, qui étaient alors italiens, ils choisirent de devenir missionnaires comme eux. Ils furent alors préparés au petit séminaire de Santo Stefano, à Istanbul, qui appartenait à l’Institut Apostolique d’Orient.

Le 2 juillet 1899, ils reçurent l’habit capucin et firent leur première profession le 2 juillet 1900, avant d’être ordonnés prêtre le 4 décembre 1904. Ils furent tous les deux arrêtés, torturés et tués en Turquie durant le Medz Yeghern, le « Grand Mal » comme le nomment les Arméniens, marqué par l’extermination systématique des Arméniens et des autres chrétiens, perpétrée à partir de 1915 dans la péninsule anatolienne.

Lire aussi >> Du génocide arménien à la paix de Jérusalem

Le père Léonard (1881-1915), né Youssef (Joseph) Oueiss (nom de famille changé plus tard en Melki), a exercé son apostolat missionnaire dans les villes de Mardin, Mamouret-ul-Aziz et Urfa. En décembre 1914, des actes de violence et des ordres d’expulsion ont commencé contre les frères missionnaires de Mardin. Le père Léonard, pour ne pas laisser seul un frère de plus de 80 ans, décide de rester avec lui au couvent. Il sera arrêté le 5 juin 1915 en ayant eu le temps de cacher le Saint-Sacrement chez un voisin arménien.

Torturé pendant des jours en refusant de renier sa foi, il est ensuite déporté en direction de Diarbékir avec 416 autres hommes, parmi lesquels l’Archevêque arménien catholique de Mardin, Ignace Maloyan, béatifié en 2001 par Jean-Paul II à Rome. Renonçant de nouveau à renoncer à leur foi, les déportés ont tous été tués en cours de route « à coup de pierres, puis de poignards », a rappelé le cardinal Samarero dans son homélie. Le père Léonard est mort le 11 juin 1915.

Abnégation pour leur prochain

Le père Thomas, au siècle Géries (Georges) Saleh (1879-1917), après avoir accordé l’hospitalité à un prêtre arménien durant le génocide, fut quant à lui arrêté et condamné à mort puis déporté, en plein hiver avec d’autres condamnés, d’un endroit à l’autre. Atteint du typhus, il meurt épuisé de privations et de mauvais traitements, probablement le 18 janvier 1917, répétant avec courage – rappelle Fides –  : « J’ai pleine confiance en Dieu, je n’ai pas peur de la mort ». Dans l’Eglise libanaise se perpétue le souvenir de sa sérénité et de sa force », n’a pas manqué de saluer le Cardinal dans son homélie qui a en outre souligné que « le but de l’Eglise est aussi de témoigner de cette force ».

Lire aussi >> L’Église maronite : «Un Pont entre l’Orient et l’Occident»

Hier, a rapporté l’agence I.Media, le Pape après la prière du Regina Caeli, depuis la fenêtre du Palais apostolique, a expliqué que « ces deux missionnaires libanais, dans un contexte hostile, donnèrent la preuve de leur inébranlable confiance en Dieu et de leur abnégation pour leur prochain ». C’est le 27 octobre 2020 que le pape François a autorisé la Congrégation pour la cause des saints à promulguer les décrets reconnaissant « le martyre » de Léonard Melki et Thomas Saleh, tués « en haine de la foi » (in odium fidei). La reconnaissance de leur martyre a ouvert la voie à leur béatification sans qu’il y ait besoin d’un miracle ultérieur.

Sur le même sujet