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L’histoire chrétienne d’une des plus belles mosaïques trouvées en Israël occultée

Marie-Armelle Beaulieu
28 mai 2025
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La mosaïque après restauration. ©Emil Aladjem/IAA

Un communiqué de l’Autorité des Antiquités israéliennes informe qu’une des plus belles mosaïques trouvées en Israël est désormais visible pour le public. Ce qu’il ne dit pas c’est qu’elle ornait le sol d’une église sur une route de pèlerinage. Ce qu’il omet aussi c’est la passionnante page d’histoire de l’Eglise que représente le site où elle fut découverte.


C’est non sans fierté que l’Autorité des Antiquités israéliennes (IAA) a annoncé présenter au public, au siège du Conseil régional de Merhavim, au nord-ouest de Beer Sheva, l’une des mosaïques les plus impressionnantes jamais découvertes en Israël.

Localisation du site de de Khirbat Be’er Shema près du Kibboutz Urim

C’est en 1990 aux abords du kibboutz Urim, près de la bande de Gaza, dans la zone de Khirbat Be’er Shema, que la mosaïque de Be’er Shema (également appelée Birsama) a été exhumée lors de fouilles dirigées par Dan Gazit et Shaike Lender. Immédiatement recouverte pour la protéger, elle a été restaurée et est désormais exposée dans le cadre du projet « Les antiquités chez vous », une initiative conjointe du ministère du Patrimoine et de l’IAA, visant à rapprocher le patrimoine archéologique du grand public.

Comprenez que la mosaïque a été déplacée du site où elle a été trouvée, un vaste complexe monastique dont elle ornait le sol de l’église. Un mot « église » étonnement omis dans le communiqué de presse qui préfère parler du grand pressoir à vin et des entrepôts contenant des jarres du complexe monastique dont l’économie reposait sur la production de vin.

Le caractère chrétien de la mosaïque passé à la trappe

Sur 60 mètres carrés, la mosaïque présente 55 médaillons richement décorés. Ils illustrent des scènes de chasse, des moments de la vie quotidienne, des animaux exotiques, des paniers de fruits ou encore des figures mythologiques, dans un foisonnement de détails et de couleurs. Composée de minuscules tesselles de pierre, de verre et de céramique, l’œuvre témoigne du savoir-faire exceptionnel de l’artiste qui l’a réalisée.

L’équipe de conservation de l’Autorité israélienne des antiquités travaille à la préservation de la mosaïque. ©Emil Aladjem/IAA

« Ce joyau archéologique est désormais une attraction touristique pour notre région, une invitation à découvrir notre patrimoine et à renforcer le lien entre passé, présent et avenir », s’est réjoui Shay Hajaj, chef du Conseil régional de Merhavim.

Où est Victor l’intendant ? ©Emil Aladjem/IAA

Pourtant, dans aucun des discours il n’a été fait mention du caractère chrétien de ce passé. L’église d’où elle a été soustraite compte rien moins que dix inscriptions rédigées en grec [1]. « La plupart d’entre elles sont dédicatoires », comme l’avait renseigné Dan Gazit dans ses conclusions. Elles citent les noms de « donateurs et donatrices, dont des noms d’Arabes, témoignant de la conversion des nomades locaux au christianisme », expliquait-il encore. Le nom de Stéphanos, qui construisit l’église et la dédicaça à saint Stéphane/Etienne le protomartyr, apparaît sur plusieurs d’entre elles. Sur le médaillon du centre, dans la deuxième rangée en partant du haut, on voit représenté un homme, tenant un plat cylindrique, qui pourrait contenir la jambe d’un animal, mais surtout, de chaque côté de la tête on voit les lettres BIKTWP pour Victor, désigné comme intendant dans une des inscriptions.

Il faut croire que parce qu’elle ne présente aucun symbole chrétien, la mosaïque est suffisamment « casher » pour être présentée au public israélien.

Et s’il s’agissait d’Hagar et de son fils Ismaël ?

Souhaitons au moins que soit présentée au public, la passionnante interprétation des médaillons osée par Dan Gazit.

La femme allaitant ©Albert Nathan/IAA

S’interrogeant sur la femme allaitant représentée au bas de la mosaïque, il en est venu à une interprétation qu’il explique sur son blog [2] : « Il m’est venu à l’esprit qu’il s’agissait peut-être du “désert de Be’er Sheva” mentionné dans la Bible (Genèse 21, 14), où, selon la tradition biblique, Hagar, la servante égyptienne, s’égara en chemin vers sa maison (en Égypte !) après avoir été chassée : la direction correspond (de Be’er Sheva via Be’er Shema vers l’Égypte), la distance aussi (quelques heures de marche jusqu’à ce que “l’eau de l’outre soit épuisée”), le lieu est approprié (un désert), et il y a même quelques puits dans la région, certains très anciens (voir verset 19).

Il n’y a aucun obstacle à ce que la tradition biblique des errances de Hagar et de son fils Ismaël ait été conservée dans la région et renforcée par le christianisme (qui, à l’époque, sanctifiait aussi l’“Ancien Testament”). L’image de Hagar dans la mosaïque met en évidence le contraste entre ses vêtements somptueux (comprenant un voile couvrant ses cheveux !) et son fait d’être pieds nus, comme les nomades ; son fils, allaité, est orné de bracelets et de bijoux en or, et tient un jouet en forme d’arc, illustrant ainsi sa description biblique (verset 20).

Le pavement de l’église photographié en 1990. On aperçoit la mosaïque de la béma et la forme absidale de l’église ©Albert Nathan/IAA

“Ce fut la première étape, poursuit-il, qui me mena à la compréhension que, en réalité, tout le sol (en mosaïque) est dédié aux récits des patriarches, ce qui convient à une région où, selon la Bible, ils ont agi : Victor serait Abraham accueillant les anges avec du pain (appelé ’ouga = « galette » ou « rond »), accompagné d’un morceau de viande (Genèse 18:6-7). Il est pieds nus et vêtu avec modestie, comme il sied à un homme du désert (ou bien s’agirait-il du pain et de l’outre d’eau qu’il donna à Hagar lors de son renvoi ?).

Sous lui, on trouve les frères Ésaü (« homme des champs »), appuyé sur une massue, et Jacob (« homme intègre »), un berger délicat jouant de la flûte. À sa droite se tient Cham, fils de Noé (représenté comme un homme noir chevauchant un éléphant), et à sa gauche son frère Japhet – ensemble, ils symbolisent l’humanité dans son ensemble.

Sous ces figures, un duo de conducteurs de chameau et d’âne chargés, évoquant l’épisode d’Éliézer, d’Isaac et de Rébecca (Genèse 24).
Et quel patriarche manque-t-il ? Bien sûr – Isaac, car son sitra akhra (« l’autre côté », expression kabbalistique désignant l’opposé spirituel ou le côté obscur) est son demi-frère Ismaël, qui apparaît ici dans tout l’éclat de son enfance, à la base même du tapis de mosaïque, à l’endroit le plus honoré, comme il sied au héros du récit. »

Qu’est devenu le monastère ?

En 1990, la découverte du site archéologique avait été faite à la faveur d’une fouille préventive. Dan Gazit regretta très tôt qu’on n’ait pas songé à déplacer immédiatement cette mosaïque dont l’état de conservation était exceptionnel mais qui se trouverait exposée aux effets de l’agriculture et de l’urbanisation. C’est chose faite.

La mosaïque entourant l’autel ©Albert Nathan/IAA

On ne sait pas en revanche ce qu’est devenue l’autre mosaïque. Elle se trouvait dans la béma, le sanctuaire, entourant l’autel. Les rapports de fouilles la décrivent composée de deux cadres et d’une inscription de cinq lignes. Le cadre extérieur est une chaîne composée de maillons ronds et carrés alternés. Le cadre intérieur est composé de 22 médaillons ornés de divers méandres géométriques.

Le complexe monastique se trouvait le long de l’ancienne route nabatéenne-romaine reliant Halutza au port de Gaza. Il servait de halte sécurisée pour les voyageurs menacés par les incursions bédouines. Il est enfoui aujourd’hui comme tant d’autres, mais le travail des archéologues et leur documentation nous permet de les faire revivre, du moins quand on n’oublie pas de s’y référer.


[1] Voir l’article Greek Inscriptions From The Ancient Church At Ḥorvat Beʾer-Shemaʿ. « La plupart d’entre elles sont dédicatoires », comme l’avait renseigné Dan Gazit dans ses conclusions. Elles citent les noms de « donateurs et donatrices, dont des noms d’Arabes, témoignant de la conversion des nomades locaux au christianisme », expliquait-il encore. Le nom de Stéphanos, qui construisit l’église et la dédicaça à saint Stéphane/Etienne le protomartyr, apparaît sur plusieurs d’entre elles. Sur le médaillon du centre, dans la deuxième rangée en partant du haut, on voit représenté un homme, tenant un plat cylindrique, qui pourrait contenir la jambe d’un animal, mais surtout, de chaque côté de la tête on voit les lettres BIKTWP pour Victor.

[2] Sur son blog, en hébreu, Dan Gazit propose un autre article sur le même site archéologique et l’interprétation des mosaïque, il est intitule Rapport d’activité. Les traducteurs intégrés au navigateur font merveille pour vous donner une traduction, certes approximative, mais largement comprehensible.

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