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Frère Firas Lutfi : « À Damas, les chrétiens vivent encore dans la panique »

Rédaction italienne
21 juillet 2025
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Fedeli nella chiesa di San Paolo, a Damasco. © Couvents Saint-Paul

Le supérieur des franciscains à Damas raconte l’atmosphère qui règne dans la capitale syrienne à moins d’un mois du massacre dans l’église orthodoxe de Mar Elias et au lendemain du bombardement du ministère de la Défense.


L’attaque israélienne sur Damas, qui le 16 juillet a détruit le ministère de la Défense et les bâtiments voisins, est survenue après plusieurs jours de violences à Soueïda, dans le sud de la Syrie, principal centre de la minorité druze. Celle-ci s’était affrontée plusieurs jours durant avec les forces de sécurité syriennes et des groupes jihadistes sunnites. Les violences auraient commencé à la suite de querelles locales entre combattants druzes et Bédouins arabes, qui ont dégénéré en affrontements armés. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, près de 250 personnes auraient été tuées.

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À Soueïda également, des bombardements israéliens avaient eu lieu. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré avoir ordonné l’intervention pour protéger la minorité druze. En Israël, les druzes sont tellement intégrés qu’ils occupent des postes dans l’armée. En Syrie, leur présence sert les intérêts d’Israël en contrôlant les territoires du sud, à la frontière avec le Golan occupé par Tel-Aviv depuis 1967. Israël veut éviter que les forces gouvernementales syriennes ne s’approchent trop de sa frontière.

De son côté, le nouveau gouvernement syrien d’Ahmed al-Sharaa, huit mois après son arrivée au pouvoir, peine à pacifier le pays. La formation d’une armée unique à partir des divers groupes armés est entravée par la prolifération des armes et par les rivalités entre milices, après plus de quatorze ans de guerre civile.

Le choc de Mar Elias

Mais l’événement qui a le plus bouleversé les chrétiens de la capitale syrienne reste le massacre du 22 juin dans l’église orthodoxe de Mar Elias.
« Ce sont des temps préoccupants », confie le frère Firas Lutfi à Terrasanta.net. « Au milieu de ces violences, nous attendons de voir quel sera l’avenir, dans l’espérance de vivre dans un pays stable, démocratique, où chacun puisse se sentir en sécurité ».

L’attaque contre l’église chrétienne, survenue pendant la messe, a été un choc, malgré des années de guerre civile.
« Tout le pays est bouleversé, explique le frère Firas, supérieur du couvent Saint-Paul dans la vieille ville. C’est la première fois qu’un attentat kamikaze de ce genre se produit : 25 martyrs, 60 blessés, dont beaucoup garderont des séquelles… Tous, comme damascènes, nous en subissons les conséquences. Beaucoup de fidèles vivent dans la panique, même ceux qui n’étaient pas présents ce jour-là. La fréquentation des églises a baissé. Pendant la guerre, elles étaient un refuge de paix et de sécurité ; aujourd’hui, elles sont perçues comme un lieu de danger ».

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Une autre église dédiée à Mar Elias, maronite celle-ci, située dans le village d’Al-Kharibat près de Tartous, a elle aussi été visée le 13 juillet par un attentat déjoué à temps. Une voiture piégée avait été repérée par les habitants et les forces de sécurité.

« En général, les mesures de sécurité aux entrées des églises ont été renforcées, avec l’aide de volontaires et des forces gouvernementales, poursuit le frère Firas. Mais malgré cela, les gens ont peur. Même dans une paroisse dynamique comme celle des franciscains, qui fait vivre des centaines d’enfants et de jeunes à travers le catéchisme et le scoutisme, la baisse de participation est manifeste ».

Damas, martyrs d’hier et d’aujourd’hui

Le 10 juillet, Damas a commémoré les martyrs de 1860, canonisés l’an dernier à Rome par le pape François. La célébration, à laquelle participait le nouveau Custode de Terre Sainte, le père Francesco Ielpo, a pris un relief particulier.
« Il y avait une grande affluence, mais les fidèles auraient pu être deux fois plus nombreux », note le frère Firas. « Le bombardement israélien d’hier accroît la peur et le désarroi. Nous ne savons pas ce qui attend le pays. La nonciature se trouve près du ministère de la Défense bombardé, entourée de nombreuses ambassades, et pourtant l’attaque a eu lieu en plein après-midi : d’abord un drone frappant l’entrée du bâtiment, puis cinq missiles tirés par des avions. Le nombre de victimes et de blessés n’a pas été communiqué. Je suppose qu’ils visaient le ministre de la Défense, Murhaf Abu Qasrah, proche collaborateur du président al-Sharaa, qui s’y trouvait ».

Le frère Lutfi a accompagné le Custode de Terre Sainte, p. Francesco Ielpo, et l’évêque latin de Syrie, Mgr Hannah Jallouf, lui aussi franciscain, au Patriarcat orthodoxe de Damas pour exprimer condoléances et proximité entre les communautés chrétiennes. Ils ont visité ensuite l’église Mar Elias, théâtre de la tragédie de juin, rencontrant survivants et familles des victimes. « Avec la chorale, nous avons entonné des chants d’espérance et de résurrection. Nous ne devons pas laisser le mal avoir le dernier mot. Nous croyons en la force de la grâce de Dieu et en la résurrection ».

Entre solidarité et incertitudes

Le frère Firas souligne qu’il y a aussi beaucoup de gestes de solidarité : des frères visitant les blessés dans les hôpitaux, des prêtres se rendant auprès des familles. Les contacts entre les Églises se renforcent aussi, pour prévenir de nouvelles tragédies et améliorer la sécurité. Mais des lacunes subsistent :
« Le gouvernement ne parvient pas à tout contrôler. Certains miliciens opposés à l’ancien régime n’acceptent pas d’intégrer le processus de construction du nouvel État. Ils préfèrent rester des combattants de l’islam… Quant à Israël, il est difficile de dire ce qu’il veut, face à cette extension de la violence. Il y a quelques jours encore, on parlait d’un dialogue entre Israël et la Syrie en Azerbaïdjan, et aujourd’hui tout semble interrompu ».

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