Des clés pour comprendre l’actualité du Moyen-Orient

Yusef Daher : “Un seul État qui garantisse l’égalité des droits”

Propos recueillis par Constance Avenel
15 septembre 2025
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
Yusef Daher dirige le Bureau de liaison du Conseil œcuménique des Églises, qui assure depuis la Vieille ville cette attention à la présence chrétienne. ©MAB/CTS

Natif de Jérusalem, Yusef Daher est un chrétien engagé de longue date. Secrétaire exécutif du Bureau de liaison du Conseil œcuménique des Églises, il est à ce titre un observateur attentif de la présence chrétienne dans la ville sainte. Avec d’autres chrétiens, il pense que la solution c’est un État unique qui garantisse les mêmes droits à tous.


Yusef Dayer, vous vivez à Jérusalem, y êtes-vous né ? Comment grandit-on dans une telle ville ?

Oui, je suis né à Jérusalem, comme mon père, et ma mère est de Haïfa. Comme d’autres Palestiniens, sa famille a fui son foyer en 1948. Mes enfants sont également nés à Jérusalem. J’y ai vécu toute ma vie. Grandir à Jérusalem comme chrétien n’a rien de particulier, c’est chez nous. La différence, c’est que nous vivons sous Occupation. Une partie de nos familles est en Israël, une autre en Cisjordanie.

Cette séparation territoriale divise les familles. De plus, les chrétiens subissent à Jérusalem même toutes sortes de discriminations. À Pâques, les chrétiens locaux ne peuvent pas accéder à la Vieille Ville. J’ai essayé de m’y rendre avec ma femme. Nous avons finalement pu passer mais nos enfants et petits-enfants sont restés en dehors des remparts. Ici, on empêche les fidèles de prier dans leur propre ville.

Avez-vous ressenti une évolution au fil du temps, notamment en ce qui concerne votre situation de chrétien?

La situation actuelle est la plus difficile de ces vingt dernières années. Nous avons le gouvernement le plus brutal et le plus extrémiste. Les discours que tiennent les ministres Smotrich et Ben-Gvir encouragent des groupes radicaux qui s’attaquent aux chrétiens palestiniens et aux symboles chrétiens à Jérusalem et en Cisjordanie « . C’est très sensible. Concrètement, ce sont des crachats, des attaques contre des bâtiments, des églises.

Ces agressions ont considérablement augmenté en nombre sous ce gouvernement. En 2018, Israël a promulgué une loi sur la nationalité, définissant clairement Israël comme « L’État nation du peuple juif ». Ce dernier est désormais le seul a disposer du droit à l’autodétermination et il peut légalement s’installer où il le souhaite en terre d’Israël.

« Nous lutterons, de manière non violente, contre ce système d’apartheid pendant encore 50 ans s’il le faut. »

Cette loi a ouvert la porte aux discriminations et au racisme envers les populations autochtones. Les pratiques discriminatoires étant désormais inscrites dans la loi, les organisations internationales de défense des droits de l’homme ont commencé à parler d’apartheid.

Vous êtes secrétaire exécutif du Bureau de liaison de Jérusalem du Conseil œcuménique des Églises. En quoi consiste votre mission ?

Le Conseil œcuménique des Églises est une organisation chrétienne internationale reconnue qui regroupe la plupart des Églises protestantes et orthodoxes. À Jérusalem, je travaille dans l’une des deux antennes.
Concrètement, nous menons des actions de plaidoyer pour la justice, la paix et l’égalité sur ce territoire. Nous facilitons également les visites de hauts responsables religieux et ecclésiastiques.

L’équipe du Kairos 2. D’après Yusef Daher qui a posté cette photo sur ses réseaux sociaux, un document “Kairos Palestine 2” serait en cours de rédaction. Le premier avait fait grand bruit. ©DR

Nous organisons enfin un programme très important, celui des Accompagnateurs œcuméniques en Palestine et Israël (connus sous le nom de EAPPI). Ces personnes sont formées ici pendant une à deux semaines, puis passent trois mois sur place avec des Palestiniens et des Israéliens engagés pour la justice, la paix et la fin de l’Occupation.

Vous n’avez pas toujours travaillé au service de l’Église. Comment votre parcours vous a-t-il conduit à vous engager dans cette voie ?

À l’origine je travaillais dans le tourisme et l’organisation de pèlerinages. Mais en 2000, nous avons connu la deuxième Inti-fada. Celle-ci, contrairement à la première, a été violente. Et à partir de ce moment-là, nous les chrétiens palestiniens qui étions très engagés dans la politique et la lutte publique contre l’Occupation, nous nous en sommes retirés. À l’époque, tous les responsables politiques pensaient pouvoir combattre Israël par les armes, ce qui était une idée stupide et n’a jamais été la solution.

Lire aussi >> « Ne renoncez pas »: depuis Jérusalem un appel œcuménique à agir pour Gaza

La plupart d’entre nous s’est engagé dans des organisations non-gouvernementales ecclésiales, qui constituaient le meilleur terrain d’action: YMCA, YWCA, Sabeel-Théologie de la Libération, Conseil œcuménique des Églises etc. Il faut dire une chose : l’Église a beaucoup fait à Jérusalem. Nous avons des hôpitaux, des cliniques et des projets de logement. L’Eglise fournit environ 1 000 logements à Jérusalem quand la ville compte 11 000 chrétiens. Cela soutient la présence chrétienne et lui permet de se perpétuer.

Vous avez fait partie du groupe qui a publié les documents « Kairos Palestine » en 2009. Que signifie cette initiative pour vous ?

J’ai été appelé à réunir un groupe de théologiens palestiniens qui écrivaient sur la théologie de la libération. Nous avons créé un groupe d’hommes et femmes, membres du clergé et laïcs. Pendant un an et demi, nous avons travaillé sur ce document afin d’expliquer a notre peuple que nous devons rester sur cette terre et comment y rester. C’est de là que sont nés les trois mots-clés de notre positionnement: foi, espérance et amour.

En bref, nous croyons tous en un seul Dieu, musulmans, chrétiens et juifs, et Dieu ne privilégie aucun peuple par rapport à un autre. Mais nous, chrétiens palestiniens, sommes la première Eglise, l’Eglise mère de Jérusalem et donc sommes les gardiens de cette terre.

Vous avez récemment reçu un prix pour une méditation : « La fuite en Égypte et le retour. D’où vous est venue cette idée ?

Cette méditation, publiée sur le site du Conseil œcuménique des Églises, m’est venue alors que nous parlions au sein de notre communauté de la nécessité de garder notre peuple d’où il vient. Il m’est revenu que la sainte-Famille elle-même a dû fuir en Égypte pour échapper à Hérode après la naissance de Jésus.

Mais elle est revenue et, sans ce retour, le ministère de Jésus jusqu’à sa mort sur la Croix et sa Résurrection n’aurait pas eu lieu. Dans certains cas, fuir est nécessaire. Mais revenir est essentiel. C’est ce que nous disons à la plupart des pays occidentaux qui accueillent des réfugiés; c’est bien que vous preniez soin d’eux mais votre devoir est ensuite de permettre à ces gens de rentrer chez eux.

Dans la situation politique présente quelle solution envisagez-vous?

Nous voulons partager la terre. Nous pensons que la seule solution est que les deux peuples vivent ensemble au sein d’un seul État, sur un pied d’égalité. Nous refusons la solution à deux États. Cette solution est incompatible avec la justice et elle ne fonctionnera pas. Il n’existe aucune égalité dans cette solution. Dans ce projet, l’un aurait une armée, l’autre non. Et un seul aurait le contrôle sur l’air et l’eau. Et de toute façon le gouvernement israélien ne veut pas de deux États.

Lire aussi >> Elles imaginent “la solution à deux États qui peut marcher”

Nous lutterons, de manière non violente, contre ce système d’apartheid pendant encore 50 ans s’il le faut. Nous nous battons pour une entité où tout le monde est égal, ou personne n’a besoin de partir. Il y a des gens côté israélien qui croient en cette solution: 1 ou 2% aujourd’hui, mais ils sont de plus en plus nombreux. Il sagit d’intellectuels, d’hommes d’affaires, d’informaticiens, de médecins et d’infirmières, la plupart de la gauche instruite.

Que diriez-vous aux jeunes Palestiniens chrétiens qui vivent ici et se sentent découragés?

Il faut continuer cette lutte, ce qui compte c’est d’aller jusqu’au bout du tunnel. Nos enfants ont perdu tout respect pour tous les types de dirigeants, des parents aux religieux en passant par les poli-tiques. On leur a parlé pendant des années d’une solution à deux États. Que s’est-il passé ? Nous avons davantage de frontières, de checkpoints et de restrictions. Les dirigeants politiques leur ont dit qu’au bout du tunnel, ils conserveraient 22% de leurs terres. Nous ne leur disons pas ça. Au bout du tunnel, vous resterez là où vous êtes sur votre terre. D’ici là, il pourrait y avoir des difficultés, peut-être un bain de sang, mais ça se réalisera.

Pensez-vous que vous devez agir au niveau international d’une manière ou d’une autre pour faire avancer votre vision ?

Oui nous avons besoin d’aide pour faire entendre notre vision à l’international. À notre surprise, la plupart des représentants de la communauté internationale sont convaincus que c’est la plus belle solution et la plus logique. Le problème est que ces gens-là, comme le Conseil œcuménique des Églises, ne peuvent pas donner de positions publiques qui vont dans ce sens. Ils sont limités par le discours légaliste sur la solution à deux Etats.

Par l’intermédiaire du Conseil œcuménique des Églises j’ai consacré tous mes efforts afin d’ouvrir une autre fenêtre. Il faut comprendre que la solution à deux États est sans issue depuis 30 ans. Et hier, le comité central du Conseil œcuménique des Églises est revenu sur des résolutions de l’assemblée générale. Il a changé de politique en reconnaissant publiquement qu’il sagissait d’apar-theid. Et même si la vision à un État n’est pas clairement pu-blique, pour la première fois, il ne parle plus de solution à deux États.

Sur le même sujet