Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

khan Al-Hatrur La mémoire du Bon Samaritain

Pietro Kaswalder ofm Studium Biblicum Franciscanum - Jerusalem
20 juillet 2010
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Sur la route de Jéricho à Jérusalem une halte de nouveau accessible aux pèlerins permet d’évoquer l’épisode évangélique du Bon Samaritain.


Le Khan du Bon Samaritain a été rouvert au public au mois de mai 2009. Le site était resté fermé durant quelques années pour permettre d’effectuer des travaux d’excavations et de restaurations programmés par l’Administration Civile de la Judée et Samarie, en collaboration avec le Département des Antiquités d’Israël.

Le résultat final des fouilles et la conservation des antiquités sont admirables. En ordre d’importance, trois sont les points de majeur intérêt de l’intervention : 1) L’examen archéologique de toute la zone, au sud et au nord de la route moderne. 2) La création du musée du Bon Samaritain. 3) La récupération de l’aire sacrée restituée à l’attention des pèlerins. Sur ces thèmes nous reviendrons après avoir analysé quelques mémoires relatives au site du Bon Samaritain.

La parabole du Bon Samaritain, Lc 10,30-37

« Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba au milieu de brigands… » c’est comme ça que commence la célèbre parabole du Bon Samaritain (Lc 10, 30-37). Le récit de saint Luc situe la parabole sur la route qui depuis toujours relie les monts de Judée à la Vallée du Jourdain. Le parcours commence à partir du Mont des Olivers vers la vallée du Torrent Og (wadi es-Sidr), et continue le long de la vallée du torrent Perat (wadi el-Kilt) pour arriver à Jéricho.

Au cours de la narration, l’on fait allusion à une « hôtellerie » où le samaritain miséricordieux aurait confié le pauvre voyageur pour qu’il reçoive l’assistance et les soins nécessaires après sa mauvaise aventure: « Puis (il) le chargea sur sa propre monture, le mena à l’hôtellerie et prit soin de lui » (Lc 10,34).

En tenant compte des résultats de la recherche archéologique à peine conclue, il semble possible d’affirmer qu’à l’époque du Nouveau Testament (Ier siècle ap. J.-C.) il existait dans le site appelé Khan al-Hatrur (l’enclos des grappes de raisin) une »ructure pour accueillir les voyageurs. Par conséquent, il est possible que l’auteur de la parabole se soit inspiré de la réalité qu’il avait vue en passant par la route qui va de Jéricho vers Jérusalem.

La parabole de Lc 10,30-37 est située par les chrétiens à un point de passage particulier de la route, à peu près à mi-parcours entre Jérusalem et Jéricho. Précisément au Khan al-Hatrur, à 18 km de la Ville Sainte. Située sur le côté de l’artère asphaltée, l’« hôtellerie » du Bon Samaritain est visible de loin, étant positionnée sur une hauteur qui indique le passage de la petite plaine de saint Euthyme (Khan al-Ahmar, Mishor Adummim) à la descente finale vers la vallée du Jourdain.

La première mémoire du site est faite par saint Jérôme qui met en relation la parabole évangélique et le fort militaire qui protégeait la route depuis la première époque romaine (Ier siècle ap. J.-C).

Les textes les plus anciens parlent seulement de la caserne militaire, pas encore de la mémoire évangélique, cf. Eusèbe dans Onomastique et la Notitia Dignitatum, 74,48. Selon ce document officiel de l’empire romain, à Maaleh Adummim stationne la Cohors prima salutaris, chargée de surveiller la route entre Aelia Capitolina et Jéricho. Ce n’est que plus tard qu’est mentionnée, à côté de la caserne des soldats, l’« hôtellerie » du Bon Samaritain.

Saint Jérôme est le premier auteur qui met en relation la parabole de Lc 10,30-37 avec la station militaire de Adommim. Sa proposition est probablement à l’origine de l’identification du site faite peu après, quand au VIe siècle a été construite l’église avec l’auberge pour les pèlerins et les voyageurs, à côté de la fortification militaire.

L’hôtellerie du Bon samaritain a subi les événements historiques, étant exposée le long d’une artère très fréquentée et étant unie à une structure militaire. Les témoignages écrits qui nous parlent de ce sanctuaire à partir de l’époque croisée, et pas avant, nous parlent d’un lieu mal conservé et dangereux pour la santé.

Maale Adummim, la Montée des Rouges

Les mémoires bibliques de Maaleh Adummim sont rapidement résumées. Dans la géographie de l’Ancien Testament apparaît le nom de Maaleh Adummim, qui est à la limite entre les territoires de la tribu de Juda (Gn 15,7) et celui de la tribu de Benjamin (Gn 18,17). Le site se prête bien, du fait de sa localisation, à être un point de référence aux voyageurs d’occasion ou de profession comme les militaires, la colline domine le passage qui va de Jérusalem à Jéricho là où la route s’approche du torrent nommé wadi el-Qilt.

Le territoire alentour est connu comme Désert de Juda, il est parsemé de ruines de monastères d’époque byzantine. Pour n’en citer que les principaux, en descendant du Mont des Oliviers, on trouve en premier lieu le monastère de Martirius (Khirbet Murassas) conservé au centre du gros quartier moderne de Maaleh Adummim. Et tout de suite après, en descendant encore un peu, on trouve les ruines du monastère de saint Euthyme le Grand (Khan el-Ahmar). En continuant il y a la déviation pour le Monastère de saint Georges de Koziba.

Saint Jérôme (400 ap. J.-C.) traduisant en latin l’Onomastique des lieux bibliques écrit par Eusèbe de Césarée (300 ap. J.-C.), propose une explication intéressante, à moitié entre l’exégèse biblique et la paraphrase édifiante : « Adommim à l’époque était une petite ville, maintenant elle est réduite en ruines ; de la tribu de Juda ; lieu qui jusqu’à aujourd’hui est appelé Maledomnei. En grec elle est appelée la montée des rouges ; mais en latin on peut l’appeler la montée des rouges à cause du sang répandu en ce lieu par les brigands. C’est aussi la limite entre les tribus de Juda et Benjamin, en descendant de Aelia vers Jéricho où était construit un château militaire, pour le secours des voyageurs. Le Seigneur évoque ce lieu sanglant et cruel dans la parabole de celui qui descendait de Jérusalem à Jéricho » (Onomastique 25,9-16).

Dans la Lettre 108 où saint Jérôme trace le compte-rendu du pèlerinage fait par sainte Paule, nous lisons : « En allant en avant (depuis Béthanie), elle descendit à Jéricho, évoquant le récit évangélique de l’homme blessé. Elle a vu la localité appelée Adomim, qui signifie « du sang », à cause des fréquentes incursions des brigands qui le versaient. »

Le terme rouge, est employé aussi bien en hébreu (adummim) qu’en arabe (ahmar), en faisant référence à la couleur des marnes rosâtres qui affleurent le long du trajet. En arabe nous trouvons aussi le nom de Talaat ad-Dam, la montée du sang, qui dérive de cette interprétation de la parabole.

Saint Jérôme fait dériver la couleur rouge de la roche au sang des voyageurs tués le long de cette route, attribuant de cette façon à la nature l’enseignement de la parabole. Les pèlerins des siècles successifs répèteront à l’unisson cette explication.

Les fouilles archéologiques de Khan al-Hatrur

L’examen archéologique dirigé par l’israélien Y. Magen a permi de reconstruire l’histoire de l’occupation du site, et cela est certainement le résultat le plus probant du pojet « Bon Samaritain ». Les fouilles archéologiques ont mis à jour les traces des premières habitations disséminées le long de ce parcours. À l’époque hérodienne (Ier siècle av. J.-C.) des citernes avaient été creusées et un édifice de moyennes dimensions y avait été construit. Il était doté de thermes, avec des pièces et des murs en briques de bonne facture, et des pavements en mosaïque. Les fondations de cette structure se trouvent près de l’abside de la petite église d’époque byzantine. À proximité de l’édifice des grottes naturelles ont été adaptées pour en faire des dépôts ou des habitations de fortune.

Parmi les objets récupérés dans les fouilles, il faut mentionner quelques monnaies frappées au temps d’Hérode le Grand et de son neveu Agrippa Ier. Et puis quelques monnaies de l’époque de la première révolte contre Rome. Une autre porte l’inscription latine : « An second de la libération de Zion » (69 ap. J.-C.), une autre encore porte l’inscription latine: Iudaea Capta, frappée à l’époque de Titus Flavius (72 ap. C.).

Le complexe formait un solide refuge pour les caravanes de passage, militaires ou commerciales. Peut-être l’auteur de la parabole du Bon Samaritain avait-il devant les yeux la réalité de la station située le long de la route qui menait à Jéricho, et s’est-il inspiré de moments de vie vécue, comme beaucoup d’autres paraboles le montrent.

Par contre les vestiges qui remontent au IVe et Ve siècle ap. J.-C. sont très rares. Et cela semble étrange parce qu’ils n’offrent pas une précise confrontation de la caserne militaire signalée dans l’Onomastique 24,9-11 et la Notitia Dignitatum 74,48.

Au VIe siècle fut construit l’enclos chrétien sacré, un rectangle de 24 x 26 mètres. Il était composé d’une cour avec une entrée au sud et une grosse citerne creusée au centre, une église et quelques salles affectées à des habitations. Une seconde cour dans le secteur était réservé aux animaux des caravanes. L’église (11×21 mètres) avait deux files de colonnes qui séparaient la grande salle des deux nefs latérales. Elle avait le pavement en mosaïque, décoré de simples motifs géométriques. Malheureusement, après la redécouverte de l’église qui eut lieu en 1934 presque tout était perdu à cause du manque d’assistance et de conservation. Après un très long travail de patience le pavement en mosaïque a été reconstitué, il est formé d’environ 1,7 million de tesselles colorées ! Le site était fréquenté jusqu’au VIIIe siècle ap. J.-C., comme le témoigne une pierre miliaire datée de 720 ap. J.-C. trouvée dans la fouille.

Le sanctuaire chrétien a été construit à l’époque croisée (XIIe siècle ap. C.) ses dimensions étaient supérieures à celles du précédent. De 1169 à 1172, les templiers ont construit le Château Rouge (Château de Maldoim, Turris Rubea, ou Château Rouge selon les sources d’informations de l’époque), il mesurait 60×70 mètres, il était situé au nord-est de l’enclos religieux. Une tour de défense de 8×9 mètres a été placée sur le côté nord, et un fossé d’une largeur variable de 7 à 4 mètres avait été taillé (creusé) dans la roche pour garantir une ultérieure protection au fort. Aujourd’hui les ruines de ce grand château se trouvent sur le côté nord de la route asphaltée, qui en pratique sépare la forteresse militaire et le complexe sacré.

L’enclos pour les pèlerins fut construit par les croisés, ses dimensions étaient de 34 x 36 mètres, sur les quatre côtés il y avait des petites pièces.

À la citerne d’époque byzantine, fut ajoutée une nouvelle grande citerne recouverte de voûtes, 16 mètres de longueur sur 7 m de largeur et 7 m de profondeur.

Ce complexe chrétien est appelé Citerne Rouge selon les sources d’informations d’époque croisée, cf. Théodoric (1172 ap. J.-C.) ; Willibrandt (1212 ap. J.-C.) selon lequel le château était petit ; Tethmarius (1217) ; Burckhardt du Mont Sion (1283 ap. J.-C.) ; Jacques de Vérone (1335) et Félix Fabri (1480). Le récit de Théodoric est illuminant : « Au-delà de Béthanie vers l’Est, à quatre miles de Jérusalem se trouve sur un mont une citerne rouge avec une chapelle, dans laquelle on dit que Joseph aurait été jeté par ses frères. En ce lieu les templiers ont construit un solide château ». Quelques siècles plus tard, le Khan du Bon Samaritain est appelé le Monastère ou la Maison de Joachin, cf. Fr. Suriano (1485) et Anselme (1509).

À l’époque mamelouk (XIVe et XVe siècle ap. J.-C.) l’enclos resta en usage pour les voyageurs et les pèlerins. À l’époque turque (après le XVIe siècle ap. J.-C.) l’enclos a été reconstruit sur les ruines précédentes, causant en cette occasion des dommages aux structures originales. Il a subi des dégâts considérables lors de la guerre de 1917, et fut restauré partiellement durant le Mandat Anglais sur la Palestine (1934-1936).

Les restes de l’hôtellerie ont été enregistrés et étudiés par C. R. Conder et H. H. Kitchener, au cours de la Survey of Western Palestine, London 1883, vol. 3 : 207-209.

Durant la visite faite au site en 1939, P. B. Bagatti avait trouvé encore les traces du vallum, deux salles et le mur de clôture de la forteresse croisée et il avait photographié les derniers fragments de la mosaïque de l’église, cf. le rapport en B. Bagatti, Antichi villaggi cristiani di Samaria, Jérusalem 1979 : 75-79.

Le nouveau musée du Bon Samaritain

La structure rectangulaire construite à l’époque turque constitue encore aujourd’hui après les dernières interventions le noyau principal du complexe. La nouvelle disposition des espaces a permis de créer un musée qui peut contenir une bonne quantité de matériel de fouille provenant de différentes régions d’Israël, parmi lesquelles Jéricho et Gaza. Le nouveau Musée du Bon Samaritain plaira aussi bien aux pèlerins qu’aux amants des antiquités d’époque byzantine.

Les espaces extérieurs de l’église, qui récupèrent les cours primitives de l’hôtellerie ont été destinées à des salles d’exposition et un parcours didactique. En effet, ils y sont réunis de nombreux témoignages archéologiques, comme mosaïques, vases en céramique, inscriptions sur marbre et pierre. Des synagogues samaritaines (Mont Garizim, Naplouse, Khirbet Samara, el-Khirbe, Kfar Fahma) proviennent quelques fragments de mosaïque avec inscriptions.

D’autres inscriptions et objets liturgiques proviennent de quelques monastères byzantins du désert de Juda. Parmi eux, il y a des portails et des balustrades du monastère de Martirius et de saint Euthyme.

Le lieu saint chrétien, reconstitué à partir d’éléments retrouvés de l’église du VIe siècle, est devenu aujourd’hui un espace fonctionnel de lecture, prière, réflexion et illustration du site. L’ornement liturgique disposé sur l’aire de la petite église byzantine est un bon exemple de récupération du milieu ambiant et est à prendre comme modèle.

La mémoire fait recours aux descriptions faites par les pèlerins du tardif moyen-âge, qui notent l’abandon et la précarité du site. Niccolò de Poggibonsi qui effectua son voyage en 1347, dans le Libro d’Oltremare, p. 82, écrit : « En descendant (depuis Béthanie) se trouve une auberge typiquement sarrasine, à côté il y a une belle fontaine. Et en allant plus bas d’un espace de quatre miles, se trouve une montée et en haut de cette montée il y a une maison habitée par les sarrasins et ils sont très méchants. Et cet endroit dans notre langue est appelée Tour Rouge, et ce lieu porte ce nom pour le sang qui y était versé, parce qu’on y tuait et faisait des homicides et pour cela elle s’appelle rouge. ».

Le dominicain Felix Faber dans son journal de 1480 se souvient que la maison où il logea « était vide, dangereuse, pleine de déchets et de vers ». Cependant il note que l’édifice était construit sur deux étages, les personnes étaient logées à l’étage supérieur, et les animaux au rez-de-chaussée.

La possibilité de faire étape à Khan al-Hatrur pour faire mémoire de la parabole de Luc 10,30-37 est aujourd’hui de nouveau ouverte aux groupes qui transitent sur la « route qui descend de Jérusalem à Jéricho ».

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