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 « Les gens ont senti que leur Église ne les abandonnait pas »

Propos recueillis par Samuel Forey
8 mai 2021
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 « Les gens ont senti que leur Église ne les abandonnait pas »
Le patriarche grec-orthodoxe de Jérusalem, Théophilos III, ©Wisam Hashlamoun/FLASH90

Toutes les Églises de Terre Sainte ont été touchées. Terre Sainte Magazine a rencontré le patriarche grec-orthodoxe Théophilos qui témoigne que la pandémie a posé des problèmes très contemporains à la plus ancienne Église de Jérusalem.


Béatitude, permettez que l’on revienne un peu arrière. Avant la pandémie, il n’y a jamais eu autant de pèlerins en Terre Sainte. Comment cela se passait-il, pour l’Église grecque-orthodoxe ?

Le patriarcat grec-orthodoxe joue un rôle-clé en Terre Sainte. Il est bien connu que nous avons des traditions chrétiennes très anciennes, déjà mentionnées par la pèlerine Égérie, et beaucoup d’autres témoins comme Eusèbe de Césarée. Nos liturgies sont très importantes. Elles attirent des milliers de personnes, y compris parmi les catholiques ou les protestants, et même les membres d’autres religions, pas seulement des chrétiens. Quant au pèlerinage, il constitue une part importante de l’histoire de la Terre Sainte. Beaucoup de sites, témoins d’événements de l’Ancien et du Nouveau Testaments, ont été maintenus intacts grâce aux pèlerins. Les archéologues en charge des antiquités puisent aujourd’hui encore des informations dans les notes des pèlerins.

Ces quinze dernières années nous avons vécu quelque chose d’inédit. Un flux croissant de pèlerins est venu du monde entier jusque depuis ses zones les plus reculées. Ça ne s’était encore jamais produit. On est venu des villages, des montagnes… Aujourd’hui, de très nombreux pèlerins de toute la Russie, d’Ukraine, de Roumanie, et bien sûr de Grèce, arrivent toute l’année, tous les jours, et pas seulement pendant les grandes célébrations, comme Pâques ou Noël. Les Israéliens comme les Palestiniens en ont beaucoup bénéficié, et ont beaucoup investi. Je recevais des pèlerins toute la journée. Ça faisait beaucoup de monde pour nos capacités ! Je l’ai réalisé quand tout s’est arrêté.

Comment avez-vous vécu l’arrivée de la pandémie ?

C’était incroyable. Tout à coup, plus rien. C’était à la fois un drame et une bénédiction. Un drame d’abord, notamment dans les Territoires palestiniens. Pour les chrétiens de Bethléem, totalement dépendants des pèlerins, ce fut une catastrophe.

Une bénédiction aussi, parce que nous avons compris à quel point notre mission est importante ici. Jérusalem est la capitale spirituelle du monde entier. Nous gardons les Lieux saints non pas comme des antiquités mais comme des lieux de culte et de prière. Nous les avons fait vivre, avec les autres communautés, pendant cette crise. C’est très important et nous le rappelons sans cesse aux autorités. Il faut protéger cela. Et dès que les frontières auront rouvert, le tourisme reprendra. Avec une “clientèle” qui s’élargit sans cesse, comme les visiteurs du Golfe, qui peuvent entrer en Israël suite aux accords de normalisation.

Nous avons aussi réalisé que nombreux sont ceux, pendant cette crise, qui se sont tournés vers Dieu. Y compris ceux sans religion. Ils ont vu, avec la gestion de la pandémie, qu’on ne pouvait accorder qu’une confiance relative aux gouvernants… Avec toute notre science et notre technologie, un petit virus suffit à mettre le monde à terre. Avec la vaccination, on voit enfin un peu de progrès. Maintenant, on commence à en sortir.

 

Cette crise vous a-t-elle rapproché des chrétiens de Terre Sainte ?

Bien sûr. Ce fut très dur. Nous avons continué à prier sans cesse, avec nos fidèles. La fermeture des lieux de culte les a rendus plus vulnérables. Il y a eu des restrictions, pas de tourisme, pas de pèlerins. Les gens étaient enfermés, ne pouvaient pas travailler, pas d’argent, pas de nourriture… Nous avons fait de notre mieux et, comme les autres Églises, nous avons abondé à un fonds créé par l’Autorité palestinienne pour venir en aide aux citoyens. Nous avons aussi gelé les loyers de nos propriétés pendant un an. Chrétiens, musulmans, nous ne leur avons rien demandé pendant cette période. Sans compter l’aide alimentaire… Les gens ont senti que leur Église ne les abandonnait pas. Au contraire.

 

Est-ce que ça change quelque chose dans la façon de prier ?

Pas vraiment. Si, nous nous sommes mis aux célébrations à distance, via Internet. Des milliers de personnes nous suivent via leurs écrans. Je n’avais jamais vu ça. Mais on pourrait y passer notre temps. À tel point que c’est devenu un problème ! Nous avons conquis l’espace et le temps avec les nouvelles technologies. Notre monde est devenu tout petit. Mais nous ne maîtrisons pas tout encore…

Dernière mise à jour: 08/04/2024 11:57

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