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A Raqqa en Syrie, les chrétiens toujours sans culte

Christophe Lafontaine
7 février 2022
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A Raqqa en Syrie, les chrétiens toujours sans culte
Depuis près de neuf ans, après les exactions de Daesh, la destruction des églises, l’émigration des familles chrétiennes et l’absence de prêtre, il n’y a plus « ni cloche ni prière » à Raqqa © Miriam Alster/FLASh90

L'Observatoire syrien des droits de l'homme a révélé le 4 février que malgré la libération de Raqqa de l’emprise de Daesh, les chrétiens ne pouvaient pas encore prier dans leurs églises, car elles sont détruites ou sans prêtres.


« Quatre ans après la libération de Raqqa de l’emprise de l’organisation « État islamique », les églises restent sans cloche ni prière ». C’est le titre d’un tout récent rapport publié le 4 février par l’Observatoire syrien des droits de l’homme, dont les informations ont souvent été reprises pendant la guerre civile syrienne par les trois grandes agences de presse internationales, l’AFP, Reuters et Associated Press.

Dans son tout dernier rapport l’OSDH soutient qu’«actuellement, près de 30 familles chrétiennes vivent dans la ville de Raqqa, mais elles sont privées de la pratique de leurs rites dans les églises de la ville depuis près de neuf ans ».

En cause, « toutes les églises de la ville ont été détruites en raison d’opérations militaires », souligne le rapport. Et parce que de nombreuses familles chrétiennes ont été contraintes de quitter la ville de du long de l’Euphrate près de la frontière turque au centre de la Syrie quand elle est devenue « capitale » syrienne de l’organisation djihadiste État islamique de 2014 à 2017.

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Avant 2014, trois églises accueillaient les fidèles chrétiens de Raqqa, soit descendants des chrétiens locaux depuis des générations, soit descendants d’Arméniens qui avaient fui vers la Syrie après les massacres en Turquie pendant la Première Guerre mondiale. Les membres de l’Eglise grecque-catholique melkite, se retrouvaient dans l’église de l’Annonciation, désormais détruite. L’Etat islamique l’avait transformée en un centre d’ »Islamic Dawa » (appel à embrasser l’islam). Quant aux fidèles de l’Eglise orthodoxe arménienne, ils se retrouvaient dans l’église d’une école aujourd’hui dévastée. L’école a été transformée en « maison pour la Zakat » (l’aumône qui constitue le troisième pilier de l’Islam), avant d’être transformée en centre de réception des plaintes lorsque les factions de l’opposition et les groupes djihadistes ont capturé la ville, après avoir vaincu les forces du régime.

Une église restaurée mais sans prêtre

Les catholiques arméniens, eux, priaient dans l’église des martyrs, dite « Al-Shuhadaa ». Elle a pu rouvrir en novembre dernier, après avoir été restaurée grâce à l’ONG américaine des « Free Burma Rangers » dirigée par un missionnaire chrétien protestant, David Eubank, en coopération avec le « Conseil local de Raqqa ». L’OSDH fait savoir que selon ses sources, aucun prêtre n’a cependant été nommé. Ce qui désole une enseignante chrétienne de 65 ans, mère de trois fils et grand-mère de neuf enfants qui a dû quitter Raqqa pour Damas quand l’Etat islamique contrôlait la ville. « Il y a deux mois, j’ai été invitée à l’ouverture de l’église « Al-Shuhadaa ». Cependant, aucune prière n’a été organisée dans l’église jusqu’à présent », se désole-t-elle.

Selon certaines familles chrétiennes interrogées par l’OSDH, la raison pour laquelle aucun prêtre n’a été nommé dans l’église « Al-Shuhadaa » résulte du fait que les chrétiens de la ville de Raqqa sont affiliés à l’archidiocèse d’Alep, la ville étant dans les mains du régime syrien, les prêtres ne peuvent pas se rendre dans les zones tenues par les FDS (Forces démocratiques syriennes). Ces dernières ont annoncé la prise complète de Raqqa à l’Etat islamique en 17 octobre 2017, à la suite d’une longue bataille qui a entraîné des destructions massives dans la ville.

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Entre 2013 et 2017, le nombre de familles chrétiennes dans la province de Raqqa est passé de 4 000 à seulement 200. Certaines familles ont pu en effet rester dans la ville après avoir payé la « Jizya », taxe annuelle collectée sur les dhimmis, c’est-à-dire les sujets non musulmans d’un état régi par la loi islamique. Ceux qui n’ont pas pu payer cette taxe sont partis en Turquie ou dans d’autres régions de Syrie, indique le rapport de l’Observatoire syrien des droits de l’homme.

L’organisation terroriste a non seulement investi les églises mais aussi fait subir aux chrétiens toutes sortes d’intimidations, de violences et de discriminations. A cette époque, rappelle le rapport « l’Etat islamique a transformé les églises de la ville en quartiers généraux militaires et en institutions administratives, a détruit leurs croix, déclenché des campagnes d’arrestations visant un grand nombre de chrétiens et contraint les habitants à se conformer aux principes stricts de l’islam », en les empêchant ainsi de pratiquer leur foi.

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