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Comment Israël réagit face aux tensions russo-ukrainiennes

Christophe Lafontaine
15 février 2022
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Comment Israël réagit face aux tensions russo-ukrainiennes
Photo prise le 20 septembre 2011 à Ouman en Ukraine, ville de pèlerinage des juifs hassidiques avec ici le ministre israélien de l’intérieur de l’époque, Eli Yishai © Yaakov Naumi/Flash90.

Face aux tensions entre Kiev et Moscou, Israël s’inquiète du sort des Juifs ukrainiens et de ses ressortissants israéliens, et joue la prudence pour éviter des répercussions sur ses équilibres intérieurs et extérieurs.


La diplomatie réussira-t-elle à éviter une invasion de « la petite Russie » par Moscou ? Si des signes – ténus – de détente sont apparus aujourd’hui, rien n’est encore joué. Poutine a massé depuis des semaines 130 000 soldats aux frontières de l’Ukraine, alliée de l’Otan en affirmant vouloir se défendre contre toute expansion de l’Otan à ses portes. Pour l’heure, le retrait des troupes russes annoncé ce matin reste à confirmer.

Face aux tensions autour de l’Ukraine, Israël a plusieurs fois exhorté ces derniers jours ses citoyens et les juifs d’Ukraine à quitter le pays, sans délais. A la suite du Premier ministre israélien, le chef de la diplomatie israélienne, Yaïr Lapid, a encore relayé cet appel aujourd’hui et hier : « Si la guerre éclate, il sera beaucoup plus difficile de prendre l’avion. Ce sera encore relativement facile pour aujourd’hui ou les deux jours suivants ». Annonçant par ailleurs que l’Etat hébreu était prêt à transporter par avion tout citoyen israélien et tout juif ukrainien qui le souhaitait. Même son de cloche de la part du ministre en charge des relations avec la Diaspora, Nahman Shaï qui a rappelé que c’était du rôle de l’Etat d’Israël d’être un abri pour tout Juif qui se trouve dans la détresse dans le monde.

L’initiative israélienne n’est cependant pas du goût de la vice-ministre ukrainienne des Affaires étrangères, Emine Dzhaparova. En visite en Israël, elle a déclaré hier que les appels urgents d’Israël étaient économiquement préjudiciables et provoquaient la panique.

Les liens forts avec les juifs d’Ukraine

Actuellement, selon le ministère israélien des Affaires étrangères, il y aurait entre 10 000 et 15 000 Israéliens en Ukraine dont 2 000 étudiants. Parmi ces derniers la plupart sont arabes. Le Jerusalem Post a quant à lui fait savoir, malgré la difficulté d’obtenir des chiffres précis, que selon de hauts responsables du gouvernement israélien, l’Ukraine compterait environ 200 000 ressortissants éligibles pour s’installer en Israël en vertu de la loi du retour qui permet à une personne ayant au moins un grand-parent juif d’immigrer en Israël et de devenir citoyen israélien. Sur les 200 000, environ 50 000 sont juifs selon la loi juive. Comprendre que leur mère est juive.

Si une invasion russe se confirmait malgré les avancées diplomatiques de ce jour, elle marquerait la plus grande escalade depuis que les forces russes ont annexé en 2014 la péninsule de Crimée. Une vague massive d’immigration ukrainienne avait suivi, avec plus de 30 000 Juifs ukrainiens émigrant en Israël entre 2014 et 2018.

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L’histoire du judaïsme en Ukraine remonte à plus d’un millénaire. Le hassidisme, mouvement de renouveau religieux fondé au XVIIIe siècle en Europe de l’Est, qui associe les enseignements ésotériques du judaïsme avec une étude approfondie de la Torah, y trouve ses racines. La tombe du fondateur de la dynastie hassidique de Bratslav, le rabbin Nahman de Bratslav, réunit encore aujourd’hui des milliers de pèlerins chaque année, en particulier lors de la fête de Roch Hachana. Si l’histoire de la communauté juive en Ukraine a été riche, elle a aussi été violemment marquée par les pogroms de la période impériale, des révolutions communistes et par la Shoah. Pour mémoire, entre 1941 et 1944, plus d’un million de Juifs ukrainiens ont été exterminés.

Prudence est mère de sûreté

Les tensions en Europe de l’Est ont suscité quelques crispations entre les Israéliens originaires d’Ukraine et ceux en provenance de Russie, a expliqué le quotidien israélien Haaretz. Israël compte en effet près de 1,1 million de Juifs originaires de l’ex-URSS, lesquels représentent 16% de la population juive israélienne. La plupart ont immigré au début des années 1990. Ils seraient 400 000 russophones et 400 000 ukrainophones.

Sur le plan politique, Israël a choisi la prudence. Entretenant une relation délicate avec la Russie, alliée du président syrien Bashar Assad en Syrie, l’Etat hébreu a choisi de ne pas commenter les actions de Moscou en voulant s’épargner des complications dans la région.

Par ailleurs, Shimon Briman, un expert israélien des relations israélo-ukrainiennes, a rappelé dans une tribune libre dans Haaretz qu’Israël aurait beaucoup à perdre si un conflit ukraino-russe s’avérait. Rien que pour avoir une idée, il faut avoir en tête que l’Ukraine est le principal fournisseur de céréales d’Israël depuis plus d’une décennie. Les importations en provenance d’Ukraine représentent près de 50% de la consommation israélienne de céréales. Autre chiffre clé, la haute technologie israélienne, secteur moteur de l’économie israélienne, connaît une pénurie de main-d’œuvre de longue date, ce qui a conduit l’Ukraine à devenir le principal sous-traitant d’Israël en la matière. Bilan : près de 45% de l’externalisation de la haute technologie israélienne est basée en Ukraine.

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