Tant de choses ont déjà été dites du Saint-Sépulcre.
Terre Sainte Magazine vous propose ici une façon très originale d’aborder la sainteté du lieu. Christine Dezarnaud Dandine,
docteur en physique et docteur en philosophie, nous explique
une expression souvent entendue au Saint-Sépulcre : “Il rayonne.”
Ce peut-il que des ondes émanent effectivement de la basilique ? Une occasion de revoir vos cours de physique mais aussi et surtout d’aller piocher au centre de la foi.
Le langage courant cache parfois des énigmes dont il est difficile de discerner les liens avec le réel. Ainsi, de nombreux visiteurs, de certains hauts lieux de la culture universelle, expriment l’impression ressentie en les approchant en disant : “Cet endroit rayonne”, “Je ressens des ondes” etc. Autant d’expressions que l’on entend au Saint-Sépulcre.
Quel phénomène interagit entre ce lieu et un visiteur – croyant, incroyant, rationaliste, ou agnostique – au point de lui faire dire qu’il ressent dans la basilique des “ondes”, comme l’attestent de multiples témoignages ?
Les ondes associées au spectre électromagnétique recouvrent un large domaine (voir encadré 1 p. 35 ) et seules certaines nous sont familières comme les rayons X, les micro-ondes et “la lumière” ou le spectre visible avec les couleurs de l’arc-en-ciel. Or, il a été montré, qu’à l’échelle atomique, toute onde peut être assimilée à un corpuscule en mouvement.
Convergence
Si scientifiquement parlant le rapprochement du rayonnement et de l’onde est lumineux, il s’agit aussi de montrer comment sémantiquement ces deux termes s’entrechoquent, comment s’est effectuée, au travers du langage et de l’expérience, une convergence entre deux notions primitives : celle d’onde, associée aux mouvements de l’eau et celle de rayonnement qui concerne tout phénomène se développant à partir d’un centre.
L’étymologie du mot onde, du latin unda, signifie mouvement de l’eau. L’expérience la plus intuitive relevant de nos sens, montre que deux phénomènes sont visibles dans les
mouvements de l’eau. Le premier consiste à observer la progression régulière des vagues parallèles formées par un mouvement oscillatoire de l’eau ; le second provient des vagues circulaires, concentriques, issues d’un centre où une pierre est tombée.
Chateaubriand : Le Sépulcre triomphant
“Les lecteurs chrétiens demanderont peut-être à présent quels furent les sentiments que j’éprouvai en entrant dans ce lieu redoutable ; je ne puis réellement le dire. Tant de choses se présentaient à la fois à mon esprit, que je ne m’arrêtais à aucune idée particulière. Je restai près d’une demi-heure à genoux dans la petite chambre du Saint-Sépulcre, les regards attachés sur la pierre sans pouvoir les en arracher. […] Tout ce que je puis assurer, c’est qu’à la vue de ce Sépulcre triomphant, je ne sentis que ma faiblesse ; et quand mon guide s’écria avec saint Paul : Ubi est, mors, victoria tua ? Ubi est mors, stimulus tuus*? Je prêtai l’oreille, comme si la mort allait répondre qu’elle était vaincue et enchaînée dans ce monument.”
Chateaubriand Itinéraire de Paris à Jérusalem, Bibliothèque de La Pléiade – p. 1031
Très tôt, la sémantique a rapproché le mouvement de l’eau (l’onde) et le milieu visible où il se manifeste. Et l’onde est devenue synonyme de l’eau et de toutes ses propriétés. Des mots illustrent ce rapprochement : l’ondée (averse), ondoyer (couvrir d’eau), ondoyant et l’ondoiement qui est un rite simplifié du baptême durant lequel seule l’ablution baptismale est faite et qui est pratiqué en cas de risque de mort imminente.
Une deuxième convergence est aisée à effectuer. Elle consiste en la jonction entre deux notions au départ distinctes : d’un côté, l’onde et de l’autre le rayonnement, une transposition qui s’opère à partir du centre géométrique, lieu de naissance des ondes. Le concept de centre ponctuel est clair en géométrie. C’est à partir de lui que se construit tout cercle. C’est de lui qu’émanent les rayons variables, c’est à lui qu’ils rapportent leur origine. Le déplacement des vagues concentriques est à la source d’une analogie très féconde en physique : le cercle est défini par son rayon (radius en latin). C’est ainsi que les traces concentriques du mouvement des vagues sont associées à un rayonnement ce qui s’exprime dans l’eau unda via un rayon variable. Par extension, sont assimilés les termes : radieux (qui émet des rayons), irradier (émettre des rayons).
Ainsi, le centre acquiert une signification évidente et centrale dans toute description et toute référence, au-delà de la signification physique. C’est de ce centre qu’émane tout mouvement, que rayonne tout phénomène visible et invisible.
Omphalos ou centre du monde
Cette convergence permet d’aboutir à la notion de centre du monde : l’omphalos. Il est aisé de comprendre, que par analogie, il est devenu naturel d’assimiler le centre de tout rayonnement physiquement observé, au centre spirituel du monde, à la position centrale de toute référence des croyants. Les grecs situaient le centre du monde à Delphes, à côté du temple d’Apollon. En ce lieu, était située une sculpture de l’omphalos ou l’ombilic (littéralement nombril) qui symbolisait de manière explicite le centre du monde visible et invisible. Par ce nombril, le monde extérieur était relié à la Terre mère, aux puissances chthoniennes, comme l’enfant est relié à sa mère par le cordon ombilical.
Saint Jérôme : Se jeter au pied du Sépulcre
“Devant la croix, elle se jeta à ses pieds en adoration comme si elle y avait contemplé le Seigneur. Et quand elle entra au tombeau qui fut la scène de la Résurrection, elle embrassa la pierre que l’ange avait roulée loin de la porte du sépulcre. Sa foi était en effet si ardente qu’elle a même léché avec sa bouche l’endroit même sur lequel le corps du Seigneur avait été couché, comme un assoiffé la rivière qu’il a si longtemps désirée. Quelles larmes elle versa, quels gémissements elle poussa et de quel chagrin elle fit démonstration, tout Jérusalem le sait ? Le Seigneur aussi le sait, à qui elle a adressé ses prières. […]”
Saint Jérôme, La vie de sainte Paule
Le livre d’Ézéchiel situait Jérusalem comme le centre du monde (Ez 38, 12) “qui habite sur le nombril de la terre.” Cette idée réapparaît à partir de Constantin et subsiste jusqu’à aujourd’hui. Le monde chrétien a transféré le concept d’ombilic ou d’omphalos de Delphes à Jérusalem. La basilique du Saint-Sépulcre demeure pour tous les chrétiens un épicentre historique. La porte franchie, le bruit de la foule s’élève et ondoie d’écho en écho. Le flot des pèlerins se divise alors et une partie est attirée irrésistiblement dans le Catholicon ou chœur des Grecs. Au centre du chœur, les mains des visiteurs se posent sur l’omphalos enchaîné d’où sont supposé sortir des ondes chthoniennes. Ainsi en témoignent certains guides.
Il semble presque naturel, que le visiteur s’approchant d’une telle représentation symbolique cherche à la toucher afin de mieux participer à sa force qu’il suppose occulte. Cet omphalos, serait-il l’épicentre géométrique d’une source d’ondes électromagnétiques ?
La signature électromagnétique
Un autre phénomène est présent au Saint-Sépulcre : la fameuse “signature électromagnétique” du Feu Sacré.
Ce Feu apparaît de lui-même durant le Triduum pascal. La signature électromagnétique semble étonnante, d’où vient-elle ?
Si la propagation de la lumière s’explique admirablement qu’en est-il de sa production ? La flamme d’une bougie serait-elle un phénomène électromagnétique ? Nous pouvons répondre par l’affirmative. Une bougie allumée émet des ondes lumineuses et par suite, électromagnétiques. La physique nous apprend que tout corps chauffé émet un rayonnement de longueur d’onde directement lié à la température. Dans ce cas précis, les ondes lumineuses émises se situent dans le visible et l’infrarouge. Notons que concernant le corps humain sa température qui est à 37°C émet un rayonnement infrarouge dont la longueur d’onde est de 0,000 001 mètre.
Mais laissons-nous éblouir par la flamme verticalisante qu’est l’Amour de Dieu et songeons à la courte vision lumineuse de Pierre “ayant vu la lumière dans le Sépulcre” comme le disent la seconde Homélie sur la Résurrection de Grégoire de Nysse et les Chants liturgiques de Jean Damascène. Ce Feu Sacré de “signature électromagnétique” ne serait-il pas la mémoire vive de cette vision lumineuse de Pierre ?
Arculfe ou le Saint-Sépulcre labyrinthique
Le plan du Saint-Sépulcre proposé par Arculfe, évêque franc de la seconde partie du VIIe siècle, est à rapprocher de l’image du cercle et du centre. Le labyrinthe avec ses lignes concentriques évoque naturellement le modèle du monde, de la création (Pr 8, 27) “quand il affermit les cieux, j’étais là, quand il traça un cercle à la surface de l’abîme.” Les grecs se servaient de cercles et d’épicycles pour expliquer le mouvement des planètes. Autour de son centre, l’omphalos, les astres se meuvent en harmonie, selon des orbes parfaits, circulaires.
Il est alors possible d’établir une analogie frappante entre le premier plan du Saint-Sépulcre et celui d’une onde émanant d’un centre. Ce modèle circulaire, déjà présent dans le Panthéon à Rome sera repris à maintes reprises dans les édifices majeurs de la chrétienté (Saint-Sépulcre à Jérusalem, Saint-Pierre de Rome, Sainte-Sophie à Istanbul), que ce soit sous forme architecturale, ou dans des labyrinthes qui sont comme autant de chemins menant au centre : Jérusalem. Cette vision architecturale s’appuie sur une théologie dans laquelle se conjugue l’idée de cercle et d’onde où l’infinité de Dieu a son rayonnement, autrement appelée Révélation divine.
Par analogie, cette forme circulaire évoque les champs magnétiques dont il était question, et tels des aimants, les pèlerins sont envahis par des sentiments irrépressibles, certains les matérialisent en évoquant que de “bonnes ondes rayonnent” mais cela ne signifie rien, pas plus d’ailleurs si elles étaient mauvaises : rien de décelable ne “rayonne” car sommes-nous sensibles aux ondes émises par nos téléphones portables ou par le flash d’un appareil photographique ?
Pierre Loti : Un je ne sais quoi d’inouï
“Oh ! l’inattendue et inoubliable impression, pénétrer là pour la première fois ! […] Et partout des foules, circulant confondues comme dans une Babel […] Des psalmodies, des lamentations, des chants d’allégresse emplissant les hautes voûtes, ou bien vibrant dans des sonorités sépulcrales […] Et, dans toutes ces voix, une exaltation de larmes et de prières qui fond leurs dissonances et qui les unit ; l’ensemble, finissant par devenir un je ne sais quoi d’inouï, qui monte de tout ce lieu comme la grande plainte des hommes et le suprême cri de leur détresse devant la mort…”
Pierre Loti, Jérusalem, Petite bibliothèque Payot, p 64-65.
De tout temps, différentes analogies ont été employées pour tenter de décrire et interpréter l’interaction entre le sacré et notre sensibilité. À cette fin, le vocabulaire et sa transcription picturale ont nécessairement imprégné des philosophies, des théories physiques et même des techniques ambiantes. Le mot onde fait aujourd’hui partie du vocabulaire courant mais nous sommes bien loin du concept scientifique. S’il existe des ondes “émises” par un haut lieu, ce ne sont sûrement pas des ondes audibles ou visibles, voire de la nature des ondes électromagnétiques qui pourraient être aisément décelées par un dispositif adéquat. Ce type d’aimantation ne serait-il pas tout simplement le fruit de la foi au Christ ?
Peut-être convient-il de réfléchir à l’origine des émotions et notamment de celles ressenties au Saint-Sépulcre. Intéressons-nous au cogito charnel en nous appuyant sur Descartes. Le cogito cartésien, “moi qui pense, qui suis-je ?”. “Je pense donc je suis” (1) est proposé comme une évidence objective mais Descartes dans les Méditations métaphysiques propose une autre définition du cogito : “Je vois la lumière, j’ois le bruit, je ressens la chaleur. Mais l’on me dira que ces apparences sont fausses et que je dors…” (2).
Ces impressions qui m’envahissent et qui sont liées par exemple à la chaleur peuvent être fausses mais je ne peux nier que j’ai l’impression de ressentir cette chaleur. Le cogito quitte la sphère de l’évidence objective pour celle de la sensation, de l’affection. “Lorsqu’on dort, […] on imagine si fortement certaines choses qu’on pense les voir devant soi, ou les sentir en son corps, bien qu’elles n’y soient aucunement.”
Ainsi la sensation reste certaine alors que l’objet de la représentation est faux. Notre “je” n’a plus besoin de penser, il y a ce que nous pourrions appeler l’immédiateté éprouvée de l’existence. Ces émotions et ces sensations sont hors de tout calcul mathématique et aucune norme de la représentation ne peut s’appliquer, les ondes électromagnétiques en sont bien éloignées. La chair éprouve sans le besoin d’une substance “matérielle” comme l’onde. Ce cogito charnel ouvre tout simplement à la passion, à l’amour et non à la rationalité.
La basilique du Saint-Sépulcre est un lieu où la chair est éprouvée, nous souhaitons alors “agrandir” le langage, “sortir” de tous référentiels, “toucher” l’infinité. Alors nous nous accrochons aux mots qui renferment cette idée d’infinitude et nous disons simplement : “ce lieu rayonne.”
Les lecteurs suspicieux, pourront toujours fabriquer un kit électromagnétique pour détecter les ondes, revêtir la panoplie du chercheur d’ondes tel de nouveaux sourciers munis de deux bâtons ou instruments électroniques adaptés pour partir à la recherche des ondes électromagnétiques. Les adeptes des modes contemporaines parlent à l’envi de “bonnes ondes” ou autres influences occultes, il s’agit uniquement d’une tentative de justifier un vague charlatanisme par des cautions scientifiques. Nous sommes littéralement “baignés” par de telles ondes allant des rayons gamma aux ondes radio, en passant par les micro-ondes et celles de nos téléphones portables mais nous n’en sommes jamais conscients.
Afin de revenir à des considérations moins éthérées, citons un personnage inénarrable et truculent, le comte d’Anjou Foulques-Nerra qui aurait arraché avec ses dents un morceau du sépulcre lors de son premier pèlerinage en Terre Sainte en 1002. Cela nous permet de conclure qu’aujourd’hui, nous ne rencontrons plus de “croqueurs” de Saint-Sépulcre mais des pèlerins ou de simples visiteurs qui sont persuadés d’être l’objet de phénomènes physiques qu’ils qualifient d’effets électromagnétiques. Mais il semble important de quitter le domaine des sciences pour en rechercher la cause profonde. D’abandonner définitivement le monde matériel pour plonger dans le monde spirituel afin de saisir la cause ineffable de ces effets et de se demander s’il ne s’agit pas tout simplement d’une action de grâce ! “[…] le Seigneur, sa venue est certaine comme l’aurore, il viendra pour nous comme l’ondée […] qui arrose la terre.” (Os 6, 3).
Qu’est-ce qu’une onde électromagnétique ?
Le concept d’onde se nourrit de cette dualité onde-corpuscule et permet d’aborder celui du rayonnement qui en découle. La synthèse entre onde et rayonnement est devenue paradigmatique en physique grâce à la théorie électromagnétique de James Clerk Maxwell, qui a établi en 1864, que le rayonnement lumineux est composé en réalité par l’interaction de deux ondes, l’une électrique et l’autre magnétique, situées dans deux plans orthogonaux, se propageant à la même vitesse (voir image 2). Notons que cette vitesse de propagation dans le vide est devenue la constante universelle c qui joue un rôle central dans la science contemporaine. Le concept d’onde s’applique également à de nombreux phénomènes physiques, allant des ondes liquides aux ondes sonores, voire même sismiques, nous nous bornons à les citer.
Du centre et du rayon
Une image catéchétique simple à retenir. À partir d’un centre, un rayon est tracé que nous pouvons assimiler à une émanation de lumière. En posant que cette lumière est celle que Moïse reçut du Seigneur, il est alors facile de relier la description mathématique et la filiation intuitive d’un phénomène : le “rayonnement” de Moïse lorsqu’il redescendit de la montagne du Sinaï (Ex 34, 29) “la peau de son visage rayonnait parce qu’il avait parlé avec Lui.”
1. René Descartes, Méditations métaphysiques, Méditation seconde, tome 2, Œuvres philosophiques, Classiques Garnier, édition de Ferdinand Alquié, p. 422.
2. René Descartes Les Passions de l’âme, Article XXVI,
tome 3, Œuvres philosophiques, Classiques Garnier, édition de Ferdinand Alquié, p. 973.
Remerciements de l’auteur au Père Henri Châtelet, vicaire à Notre-Dame de Grâce de Passy, pour les suggestions et commentaires qu’il a apportés à la rédaction cet article.
Dernière mise à jour: 30/12/2023 14:04