
Pour la première fois depuis le Moyen Âge, les sons de l’orgue médiéval de Bethléem ont de nouveau résonné. Dans le grand hall du couvent Saint-Sauveur, siège de la Custodie de Terre Sainte, les chercheurs ont présenté le fruit d’une aventure scientifique et patrimoniale hors du commun.
C’est un air de grégorien banal devenu monumental. Quelques notes mille fois entendues dans la liturgie et écoutées pour la première fois. Huit petites notes de musique qui viennent en révolutionner l’histoire.
À Jérusalem, ce qui n’était jusque-là qu’une trouvaille archéologique, surprenante mais presque insignifiante eu égard à ce que l’archéologie est au pays de la bible, a résonné pour une première mondiale.
Huit des deux cent vingt-deux tuyaux d’un orgue, datant de l’époque croisée, ont sonné comme ils le faisaient il y a quelque 800 ans, dans la basilique de la Nativité, à Bethléem.
Aucune intervention n’a été nécessaire pour les ajuster. Un son, tout droit sorti du Moyen-âge a surpris l’assistance nombreuse, venue à la conférence de presse organisée par le Terra Sancta Museum.

C’est le père Eugenio Alliata, archéologue franciscain du Studium Biblicum Franciscanum, qui a rappelé le contexte de la découverte des tuyaux. Alors que la mémoire franciscaine avait transmis l’existence d’un trésor enfoui à Bethléem, ce n’est qu’en 1906, lors de la construction de la Casa Nova – un hospice pour pèlerins – que l’on exhuma les tuyaux de bronze, un carillon de treize cloches et d’autres objets liturgiques. Probablement enfoui par les croisés avant leur départ, l’ensemble a été préservé dans un état exceptionnel.
Exposé depuis les années 1930 au musée de la Flagellation, l’ensemble n’avait jamais fait l’objet d’une étude systématique par un musicologue.
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C’est au détour de ses recherches à l’Université d’Oxford que David Catalunya, historien de la musique, a découvert une mention de l’orgue de Bethléem. L’intuition s’est muée en projet scientifique, rassemblant autour de lui une équipe internationale, avec notamment l’expert Koos van de Linde et le facteur d’orgue Winold van der Putten.
Les analyses menées sur les tuyaux — matériaux, techniques de fabrication, acoustique — ont confirmé leur authenticité et leur exceptionnel état de conservation. Mieux encore : certains d’entre eux sonnent encore. « C’est comme retrouver un dinosaure vivant », résume Álvaro Torrente, directeur de l’ICCMU. « Un miracle », s’exclame volontiers Catalunya.
Au moment d’entendre les notes retentirent, on était loin cependant du rugissement de dinosaure. Les organistes présents ont parlé d’un son « pur et propre », dans la tradition de la musique pythagoricienne, qui laisse place – depuis l’antiquité – aux demi-tons.
Mais là où les techniciens ont pu décortiquer les sonorités, le reste de l’assistance s’est surtout laissé ravir par cette parenthèse enchantée. « C’est difficile de s’extraire des informations que nous traitons tous les jours depuis deux ans de guerre. Ça fait plaisir et à la fois on culpabiliserait presque de traiter de quelque chose de léger. Et puis il y a eu ce son… » L’émotion était palpable dans le silence comme dans les applaudissements.

De fait le son est unique, produit par un instrument qui ne l’est pas moins. « C’est un outil », explique Winold van der Putten, facteur d’orgues, qui a conçu la boîte qui propulse l’air dans les tuyaux. « Il faudra faire de nombreuses recherches complémentaires pour restituer l’objet en entier ».
Dans le hall de la curie, on voit l’ébauche d’une hypothèse. « Conservera-t-on des coulisses comme aujourd’hui, ou créerons-nous un clavier avec des touches ? La question se posent également pour le système de propulsion de l’air, il sera manuel mais de quelle forme et taille ? »poursuit Koos van de Lind, expert en techniques de l’orgue.
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L’événement ne se limite pas au champ de la musicologie. Il touche à l’histoire, à l’archéologie, à la technologie et au patrimoine spirituel. Pour le frère Stéphane Milovitch, en charge des Biens culturels de la Custodie et de la section historique du Terra Sancta Museum, « Cet orgue est plus qu’un objet d’étude : c’est un héritage vivant, un pont entre les époques et les cultures ».
Le Terra Sancta Museum, en cours d’aménagement au cœur de Jérusalem, prévoit de lui consacrer une salle entière : le « cloître musical ». Ce futur musée de l’art et de l’histoire de la Terre Sainte exposera ce trésor aux visiteurs du monde entier.
Avec l’orgue de Bethléem, c’est une part oubliée de la chrétienté qui refait surface. Non plus comme une relique silencieuse, mais comme une voix retrouvée. Dans la résonance de ces tuyaux, ce sont huit siècles d’histoire, de foi et d’art qui reprennent souffle.