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Iqrit, le village qui ne veut pas mourir

Fanny Houvenaeghel
2 juin 2012
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La population arabe chrétienne a vécu la proclamation de l’État d’Israël, à l’instar de toute la population arabe comme un choc. En 1948, les chrétiens ont dû fuir leurs villages ou en ont été chassés. Jusqu’à aujourd’hui, même devenus israéliens, certains d’entre eux ne veulent pas oublier et demandent réparation.


« Bienvenue à Iqrit » ! Plantée à l’entrée du village situé à trois kilomètres de la frontière israélo-libanaise, l’inscription en laissera plus d’un mi-figue mi-raisin. Car exception faite de l’église prête à recevoir ses fidèles, on ne trouve plus dans ce village fantôme aucune bâtisse digne de ce nom.
Mahrof Ashkar, 83 ans, déambule au milieu des pierres qui composaient autrefois les murs de sa maison. Balayant du regard les anciens champs aujourd’hui plantés d’arbres, il pointe du doigt les quelques rares oliviers et figuiers encore debout. Sa voix, teintée de nostalgie, fait entendre une description du village : « L’école était ici, la maison de mon meilleur ami se trouvait là, et des bancs trônaient à cet endroit, c’était la place principale ».


Que s’est-il passé ? En novembre 1948, peu de temps après la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël (mai 1948), les autorités militaires se rendirent dans ce village entièrement chrétien. Les habitants d’Iqrit, comme ceux d’un autre village chrétien, Kfar Biraam, n’avaient pas opposé de résistance à l’armée israélienne. Pourtant elle leur demanda de quitter temporairement les lieux pour des raisons de sécurité, en leur promettant un retour après deux semaines.

Évacuation du village

Le village, où vivait une communauté grecque catholique de 600 personnes, fut alors totalement évacué et ses habitants transférés à Ramah, plus au sud, en Galilée.
Cependant, la promesse ne fut pas tenue et les habitants ne furent pas autorisés à rejoindre leur maison. En réaction, la communauté se rendit dès 1951 devant la Cour de Justice israélienne pour demander le droit au retour. L’institution donna raison aux demandes des villageois, et ordre fut transmis au gouvernement de le mettre en application. Toutefois, non seulement le gouvernement ne tint pas compte de la décision de la Cour, mais il ordonna aussi la destruction complète du village. Obus de chars, charges explosives… en un éclair, toutes les propriétés furent rasées. Toutes, à l’exception de l’église et du cimetière du village.
Depuis, les villageois se démènent pour faire valoir leur droit, et essaient tant bien que mal de faire vivre le village. Depuis 1972, ils sont de nouveau autorisés à enterrer leurs morts dans le cimetière. Tous les premiers samedis du mois, la messe est célébrée à l’église Sainte Marie et rassemble une centaine de croyants.

La sortie du dimanche

Le dimanche, on croise parfois des familles qui viennent pique-niquer et occuper l’ancienne place du village. Et chaque année, un camp d’été d’une semaine est organisé au milieu des ruines, rassemblant les petits-enfants des villageois d’Iqrit.
« Entretenir la mémoire collective est capital et nous devons la transmettre à nos enfants pour qu’ils continuent la lutte », explique Faraj Khoury, le fils du prêtre du village.
En novembre 2008, les habitants ont construit une route afin de faciliter l’accès à l’église. Son existence ne fut toutefois pas bien longue, car deux semaines plus tard un ordre de démolition fut émis et les autorités israéliennes la détruisirent. Persévérants, les villageois ne perdirent pas de temps et se remirent à la tâche. Deux jours après, la route était de nouveau en service. Mais dès janvier 2009, un second ordre de démolition fut émis. La communauté d’Iqrit adressa alors de nombreuses pétitions à divers avocats, autorités et personnalités chrétiennes (notamment des représentants du Vatican) pour empêcher l’application de l’ordre. Suite à de nombreuses négociations entre les habitants et la municipalité, la route ne fut pas détruite mais la situation est sous statu quo.
À la Knesset, le parlement israélien, les discussions continuent. Mais, le prétexte d’une situation politique et sécuritaire instable ne permet pas de satisfaire le désir des villageois.
« La persévérance franchit tous les obstacles », écrivait Sénèque dans De la colère au Ier siècle après Jésus Christ. Couplée à l’espérance, elle habite pleinement le cœur des habitants d’Iqrit. ♦

Dernière mise à jour: 02/01/2024 14:29

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