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Tensions à Jérusalem : des Palestiniens bientôt expulsés ?

Christophe Lafontaine
7 mai 2021
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Tensions à Jérusalem : des Palestiniens bientôt expulsés ?
Forces israéliennes montant la garde devant la maison d'une famille juive lors d'une manifestation dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est le 3 mai 2021. © Jamal Awad / FLASH90

La Cour suprême israélienne a reporté au 10 mai une audience sur l'expulsion de familles palestiniennes du quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est. La tension règne et s’ajoute à d’autres troubles en Cisjordanie.


Sheikh Jarrah, quartier de Jérusalem, voit s’installer ces derniers jours des heurts réguliers entre Palestiniens et Israéliens. Une bataille juridique qui dure depuis plusieurs années en est à l’origine. Nachalat Shimon, une organisation de colons, cherche à judaïser ce secteur, proche de la vieille ville, au nord de la porte de Damas. Or, ce quartier qui porte le nom d’un médecin de Saladin, se trouve dans la partie orientale de Jérusalem, occupée et annexée par Israël, illégalement au regard du droit international.

Les colons soutiennent que les maisons palestiniennes du quartier ont été construites avant la création de l’Etat d’Israël, en 1948, sur des terres achetées par des Juifs et des associations juives à la fin du XIXe, à proximité du tombeau de Simon le Juste, huitième grand prêtre à officier au début du Second Temple de Jérusalem au IIIe siècle av. J.-C.

Mais la guerre israélo-arabe de 1948, déclenchée après la création de l’Etat hébreu, a fait passer sous contrôle jordanien le secteur oriental de la ville sainte. Et ce, jusqu’à son occupation par Israël en 1967. Durant cette période, des familles palestiniennes ont acquis aux autorités jordaniennes maisons et terrains à Sheikh Jarrah.

Absence de compromis

Or, selon une loi israélienne de 1970, si des Juifs peuvent prouver que leur famille possédait un bien à Jérusalem-Est avant la guerre israélo-arabe de 1948, ils peuvent demander à ce que soit rendu leur « droit de propriété ».  L’AFP rappelle qu’« une telle loi n’existe toutefois pas pour les Palestiniens ayant perdu leurs biens pendant la guerre. »

C’est dans le cadre de la loi israélienne précitée que dès 1972, des associations de colons ont engagé leurs premières revendications foncières. Et aujourd’hui, ce sont quatre familles palestiniennes qui sont menacées d’expulsion imminente.

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Le tribunal de district de Jérusalem a de fait rendu un peu plus tôt dans l’année une décision favorable aux familles juives. La juge de la Cour suprême israélienne a cependant demandé aux deux parties de parvenir à un compromis avant jeudi 6 mai. Mais aucune solution n’a été trouvée. Les résidents palestiniens ont rejeté un projet d’accord basé sur la reconnaissance des droits de propriété des Israéliens en échange de quoi un membre par famille palestinienne aurait été désigné comme « locataire protégé ». C’est-à-dire qu’à la mort de ce dernier, le logement tomberait dans le giron des colons et que les familles palestiniennes seraient tôt ou tard expulsées.

En l’absence de consensus, la Cour suprême israélienne va recevoir le 10 mai une demande d’appel présentée par les familles de Sheikh Jarrah, menacées d’expulsion. Selon l’agence de presse palestinienne Wafa, la Cour examinera également une autre demande d’appel de trois autres familles dont l’expulsion est prévue pour le 1er juillet.

Un climat lourd qui ne se cantonne pas qu’à Jérusalem

Selon Ir Amim, un groupe israélien de gauche pour la défense des droits de l’Homme, environ 200 familles de Jérusalem-Est seraient ainsi menacées. Et environ 70 de ces familles vivent à Sheikh Jarrah. « Pour les Palestiniens, cette affaire s’inscrit dans une campagne plus large visant selon eux à les chasser de Jérusalem-Est, où vivent aujourd’hui plus de 210 000 colons israéliens et plus de 300 000 Palestiniens », souligne l’AFP.

C’est pourquoi des manifestations se sont déroulées dans le quartier depuis plusieurs jours pour dénoncer la possible expulsion de dizaines de résidents palestiniens. Ce matin, après de nouvelles échauffourées, la police israélienne a renforcé sa présence à Jérusalem avant les prières du Ramadan, et des routes entourant la vieille ville ont été fermées.

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Hier, au moins 15 Palestiniens ont été arrêtés lors de manifestations. La veille, dans la nuit de mercredi à jeudi, une vingtaine de Palestiniens ont été blessés selon le Croissant-Rouge.

Mais ce climat lourd ne se cantonne pas à Jérusalem. Ce matin, trois Palestiniens ont tiré en direction d’une base de l’armée israélienne à Salem, près de Jénine, en Cisjordanie occupée. Deux des attaquants ont été tués. Un adolescent palestinien a été tué mercredi par des soldats israéliens près de la ville palestinienne de Naplouse et un jeune israélien a succombé cette semaine après avoir été blessé par des tirs attribués à un Palestinien, au carrefour de Tapuah, au sud de Naplouse, dimanche dernier. Une femme palestinienne a également été tuée au début de la semaine alors qu’elle tentait de mener une attaque à l’arme blanche contre des soldats israéliens.

Escalade des violences

Les tensions font craindre une escalade de violence. Lundi, jour de l’audience de la Cour suprême israélienne pour la question de Sheikh Jarrah, risque d’être très sensible car la journée correspond à Yom Yerushalayim, qui commémore la conquête par Israël de la moitié orientale de la ville en 1967. Les célébrations sont souvent marquées par des tensions, et cette année, la date touche de très près la fin du ramadan.

De plus, le chef de la branche militaire du mouvement islamiste Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza, a alerté que « si l’agression contre notre peuple ne [cessait] pas à Sheikh Jarrah » alors « l’ennemi en [paierait] un prix élevé ».

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L’envoyé spécial de l’Onu pour le Moyen-Orient, Tor Wennesland, jugeant que la situation était « très préoccupante » a exhorté Israël « à cesser les démolitions et les expulsions, conformément à ses obligations en vertu du droit international humanitaire ». Avant d’alerter que « la situation pourrait devenir incontrôlable ».

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