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Les déplacés internes ne baissent pas les bras

Fanny Houvenaeghel
4 juin 2012
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Les déplacés internes ne baissent pas les bras
Dans le village chrétien de Bir’aam, les anciens villageois et leurs descendants veulent conserver le souvenir. Ici, lors d’une visite, ils placent un écriteau indiquant à quelle famille appartenait la maison en ruines depuis 1948.

300 000 arabes israéliens sont des «réfugiés internes», des personnes déplacées (et leurs descendants) dont les villages ont été détruits ou qui ne sont pas autorisées à revenir dans leurs maisons. On les appelle en anglais des ‘present absentees’, des absents présents.
64 ans après, ils espèrent encore recouvrer leurs droits au retour sur la terre de leurs ancêtres aujourd’hui en Israël


Résidents palestiniens en Israël, ils travaillent dans le pays et ont la citoyenneté israélienne. De simples palestiniens israéliens parmi d’autres, pourrait-on penser ! Et pourtant… non. Ces habitants ne sont pas comme leurs semblables qui habitent leur maison depuis de nombreuses générations. Déracinés de leurs propriétés il y a plus de soixante ans, nombreux parmi eux clament depuis lors le droit au retour dans leur village d’origine mais n’ont pour toute réponse que des refus ou des promesses sans lendemain.

Déplacements forcés

Des familles entières ont déserté leur village de gré ou de force pendant la guerre de 1948, par peur de l’armée israélienne. Après avoir fermé la porte à clef et glissé leur acte de propriété (lorsqu’il existait) dans la poche, ils se mirent en route avec l’idée de revenir dès que la guerre aurait pris fin. Ces habitants se réfugièrent dans les villages ou les villes les plus proches de chez eux, comme Nazareth qui accueillit des milliers de personnes. Dans le même temps, les autorités militaires procédèrent également à de nombreuses expulsions et beaucoup furent amenés à traverser de force les frontières vers le Liban, la Syrie, la Jordanie ou la Cisjordanie. À la fin de la guerre, 160 000 Palestiniens se trouvaient encore dans l’État d’Israël et prirent la nationalité israélienne. Parmi eux, les études estiment à environ 25 000 à 30 000 le nombre d’habitants qui furent déplacés1. La majorité d’entre eux était originaire de la région nord de l’État d’Israël, dont une partie était, selon le plan de partage de 1947, destinée à faire partie d’un futur État arabe.
À la fin de l’année 1948, un comité spécial des affaires arabes fut établi par le gouvernement israélien. Il autorisa certains déplacés à retourner dans des villes qui concentraient avant la guerre une forte présence de Palestiniens (comme Haïfa, Jaffa ou de Saint Jean d’Acre). Cependant, parfois leurs maisons étaient occupées par des habitants juifs et ils durent alors trouver d’autres habitations.
Une politique différente fut appliquée envers les personnes déplacées qui venaient de villages désormais complètement vidés de Palestiniens. Ces derniers n’ont pas été autorisés à rentrer chez eux, mais encouragés à s’installer là où ils avaient trouvé refuge. Par ailleurs, les expulsions par l’armée commencées pendant le conflit se poursuivirent.

Participation à Tel Aviv de réfugiés Palestiens pour le 63e anniversaire
de l’adoption de la déclaration des Droits de L’homme à l’ONU. © Zochrot

Pourquoi ces explusions ?

Quelles peuvent être les raisons de cette double politique d’expulsion et d’interdiction au retour ? Premièrement, la peur d’une seconde attaque des troupes arabes et la crainte d’une « cinquième colonne » formée par les villageois aboutirent à l’évacuation des villages en zone frontalière. Par ailleurs, la fin de la Seconde Guerre Mondiale et la création de l’État d’Israël conduisirent à l’afflux de centaines de milliers d’immigrants juifs. De nombreux kibboutzim furent alors créés sur les terrains des villages palestiniens vides, comme le Kibboutz Megiddo bâti sur les terres de Lajun par exemple.
D’un point de vue légal, plusieurs dispositifs furent mis en place pour déposséder les Palestiniens de leurs terres. La loi sur les propriétés des absents fut adoptée en 1950. Elle stipulait que toute personne non présente dans sa propriété entre le 29 novembre 1947 et le 1er septembre 1948 était considérée comme absente. Sa propriété devenait alors « propriété d’absent » et passait sous le contrôle total d’une Autorité des propriétés des absents.
Parallèlement, en 1952 un accord fut signé avec l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Ce dernier cessa d’enregistrer les Palestiniens déplacés à l’intérieur d’Israël comme des réfugiés et abandonna leur prise en charge au gouvernement israélien.
En 1953, la Loi sur l’Acquisition de la Terre donna le cadre juridique permettant le transfert de toutes les propriétés des absents à l’État en échange d’une compensation financière ou territoriale. Environ 75 000 Palestiniens furent affectés par cette loi, qui permit la prise par l’État de plus de deux millions de dunams (un dunam = 1 000 m2) de terres arabes 3.
Face à cette injustice, de nombreux déplacés internes se rassemblèrent et s’organisèrent pour faire entendre leur volonté de retourner dans leurs villages d’origine. Dès la fin de la guerre et surtout à partir de 1952, des comités locaux furent mis en place et tentèrent de faire entendre les revendications d’un droit au retour. Cependant, les comités ne jouirent pas d’un relais national et les résultats ne furent pas à hauteur des espérances.
À partir de 1958, l’État voulut mettre un terme aux revendications et entreprit la construction de maisons permanentes dans les villages d’accueil pour les déplacés en échange d’une renonciation définitive à leur terrain d’origine. Cette politique réussit en partie et une partie des déplacés se stabilisa, mais nombreux aussi refusèrent d’abandonner leurs anciens droits de propriété.
En 1967, la guerre des Six Jours créa une autre vague de réfugiés. L’opinion publique ainsi que l’activisme des politiciens se tournèrent alors vers la situation des territoires occupés de Cisjordanie, de Gaza et du Golan tandis que les déplacés internes furent quelque peu relégués au second plan. L’utilisation de plus en plus extensive des terres des réfugiés par Israël approfondit par ailleurs le sentiment que ces derniers ne pourraient plus y avoir accès. Enfin, le boom économique que connu Israël dans la période d’après guerre eut des retombées sur la population arabe d’Israël. De ce fait, le besoin matériel et vital de retourner dans les villages d’origine pour vivre de l’exploitation des terres se fit moindre et les revendications diminuèrent sensiblement.

Les oubliés d’Oslo

Puis vinrent les périodes de négociations entre l’Organisation de Libération de la Palestine et le gouvernement israélien. Dans les accords d’Oslo de 1993 et 1995, la question des déplacés internes fut considérée comme « affaire interne israélienne » et mise de côté. Cependant, paradoxalement le fait que cette question ait été la grande absente des négociations donna un regain de vitalisme aux déplacés. En effet, ces derniers décidèrent de lutter en tant que citoyens israéliens et de ne plus compter sur les autorités palestiniennes. Les études universitaires menées vers la fin des années 1980 permirent une plus grande diffusion du problème des déplacés intérieurs4. Des comités nationaux et des organisations plus structurées que les précédents furent créés, comme l’Association pour la Défense des Droits des Déplacés Internes (ADRID). Cette organisation appelle à la mise en application de la résolution 194 des Nations Unies et le droit pour les déplacés internes de retourner dans leur village d’origine. Le développement de campagnes fut également mené : marches annuelles et visites des villages d’origine, préservations des lieux saints, camps d’été sur les sites… tant d’activités qui firent parfois redécouvrir l’histoire des villages aux déplacés et renforcèrent leur volonté d’y retourner.
Dans les villages d’accueil, les relations entre les habitants locaux et les déplacés internes varièrent en fonction des villages. L’intégration économique et sociale fut parfois difficile : lorsque des maisons en dur furent construites dans les villages, la population locale se rendit compte que la situation qu’elle pensait temporaire allait se muter en situation permanente, et des tensions se firent parfois sentir. Lorsque la population était hétérogène (comme à Shaykh Dannun), l’intégration des déplacés internes fut relativement facile. À l’inverse, elle le fut moins lorsque des quartiers de déplacés se dessinèrent dans les villages où la population était très homogène, comme à Tamra par exemple.

La lutte continue

Aujourd’hui, la lutte continue pour ces déplacés et leurs descendants qui représentent un quart de la population palestinienne israélienne, une « minorité dans la minorité » selon l’expression du sociologue Majid al-Haj. L’espoir est d’autant plus grand que contrairement aux réfugiés qui ont traversé la frontière israélienne et qui sont désormais loin de leurs terres, les déplacés internes vivent dans des villes ou villages très proches de leur propriété d’origine. Cependant, les dirigeants se gardent bien de donner les permis de retour. En 1972, Golda Meir (alors Premier Ministre d’Israël) exprimait sa peur de créer un précédent en autorisant certains déplacés à retourner dans leurs villages, position suivie depuis par la plupart des dirigeants israéliens.
Toute revendication demande de la patience et du courage. Jusqu’à quand les déplacés en feront-ils preuve ? ♦


Réfugiés ou déplacés : point de vocabulaire

Réfugiés ? Déplacés ? La dénomination à adopter n’est pas toujours évidente. Selon la Convention de Genève, une personne doit se trouver en dehors du pays dont elle détient la nationalité pour être considérée comme réfugiée. La définition ne s’applique donc pas aux migrants qui ont été forcés de fuir à l’intérieur même des frontières d’après-guerre d’Israël. Pourtant, ces migrants sont dans la même situation que des réfugiés… Quel imbroglio ! Pour mettre fin aux ambiguïtés, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies a établi en 2001 une définition des déplacés internes. Il s’agit de « personnes ou groupe de personnes ayant été forcées ou obligées de fuir ou de quitter leur maison ou lieu de résidence habituel, en particulier en raison ou pour éviter les effets des conflits armés, des situations de violence généralisée, des violations des droits de l’homme ou désastres causés par l’homme, et qui n’ont pas traversé de frontière étatique internationalement reconnue2 ».


Pour en savoir plus

Pour plus d’informations se rapporter aux travaux d’Adoram Schneidleder, doctorant en anthropologie spécialiste de la question des déplacés internes et de la situation des deux villages chétiens Iqrit et Bir’aam.


1. Hillel Cohen, “The State of Israel versus the Palestinian Internal Refugees” dans Catastrophe Remembered, Palestine, Israel and the Internal Refugees (essays in memory of Edward Said) 2005
2. Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays, ONU 2001
3. David Kretzmer, The legal status of the Arabs in Israël et Kimmerling et Migdal, The Palestinian people : a History
4. Adoram Schneidleder, doctorant en anthropologie spécialiste de la question des déplacés internes

Dernière mise à jour: 04/01/2024 10:47

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