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Des soeurs en Syrie mettent en cause la partialité des médias

Christophe Lafontaine
9 mars 2018
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Des soeurs en Syrie mettent en cause la partialité des médias
Un enfant syrien au milieu des ruines de sa maison touchée par une roquette ©Custodie de Terre Sainte/Syrie

Dans une lettre relayée par Fides et AsiaNews, le 5 mars 2018, les moniales trappistes d’Azeir expliquent leur présence en Syrie et dénoncent le manque de vérité sur la situation du pays. Elles ne sont pas les seules.


A mi-chemin entre Homs et Tartous en Syrie, dans un petit village maronite à la frontière avec le Liban, vivent depuis mars 2005, quatre religieuses trappistines d’origine italienne. En pleine  zone essentiellement chiite et alaouite, elles se veulent à Azeir « humble présence » orante, « levain dans la pâte. » Voulant ainsi, écrivent-elles dans une lettre ouverte dont se sont fait l’écho les agences Fides et Asia News, poursuivre « l’expérience de [leur] frères de Tibhirine », assassinés, il y a douze ans, lors de la guerre civile algérienne.

Reconnaissant que « la guerre en Syrie a blessé en de nombreuses manières et à divers endroits la coexistence interreligieuse », elles confient que l’espérance ne meurt pas. Tout en admettant qu’ « il est difficile de pardonner. » Les quatre cisterciennes affirment « vivre encore actuellement ensemble, pour le bien de tous. » En témoignent, disent-elles, « les nombreuses œuvres de charité, de secours, de développement gérées par des chrétiens et des musulmans de manière conjointe. » N’éludant en rien les horreurs de la guerre, elles confient prier pour toutes les victimes, civiles comme djihadistes. « Parce que chaque homme qui choisit le mal est un fils perdu. C’est un mystère caché dans le cœur de Dieu. C’est à Lui qu’il faut laisser le jugement, Lui qui ne veut pas la mort du pécheur mais qu’il se convertisse et vive. »

Aux côtés de ce témoignage, les religieuses s’émeuvent dans un long développement – au ton particulièrement dur –  du traitement unilatéral de l’information réservé à la situation actuelle en Syrie. N’hésitant pas à fustiger gouvernements et médias occidentaux, ainsi que certaines ONG. La plupart, expliquent-elles, ces dernières semaines, ont accusé le gouvernement syrien et le président syrien Bashar al-Assad, de cibler délibérément des civils. Mais les religieuses tiennent à rectifier les faits. C’est de la Ghouta orientale (enclave contrôlée par les rebelles à la périphérie de Damas), selon elles, que « les attaques contre les civils qui vivent dans la partie contrôlée par le gouvernement ont commencé, et non l’inverse. »

« Pourquoi cette cécité de l’Occident? »

Les trappistines rapportent également que les civils qui n’ont pas soutenu les djihadistes sont persécutés dans cette banlieue. « Ils ont été placés dans des cages en fer : hommes, femmes, exposés à l’extérieur et utilisés comme boucliers humains. »

« Pourquoi cette cécité de l’Occident? », s’interrogent les religieuses. « Comment est-il possible que ceux qui nous informent, même dans la sphère de l’Eglise, soient aussi unilatéraux? » Les moniales ajoutent : «  Pourquoi n’est-ce que lorsque le gouvernement syrien intervient, en suscitant la gratitude de la part des citoyens Syriens qui se sentent ainsi protégés contre tant d’horreur (on l’a constaté, et ils nous l’ont raconté), pourquoi seulement à ce moment-là on s’indigne de la férocité de la guerre? »

Et les sœurs d’expliciter leurs propos : « nous, qui vivons en Syrie, nous sommes dégoûtées par l’indignation générale qui se lève pour condamner ceux qui défendent leur propre vie et leur propre terre. » En clair, les moniales veulent appeler les choses par leur nom : « on ne peut pas confondre celui qui attaque avec celui qui se défend. »

« Dire aujourd’hui à la Syrie, au gouvernement syrien, de ne pas défendre sa nation est contre toute justice », déplorent les quatre trappistines italiennes. Qui rappellent que l’Eglise ne condamne pas la légitime défense, bien qu’elle ne souhaite pas le recours aux armes et à la guerre. « La foi ne condamne pas ceux qui défendent leur propre patrie, leur propre famille, leur propre vie. Il est possible de choisir la non-violence jusqu’à en mourir. Cependant, il s’agit d’un choix personnel, qui ne peut mettre en jeu que la vie de ceux qui le font et il n’est pas possible de le demander à une nation entière, à un peuple entier », avancent-elles.

Mais les sœurs n’en restent pas là dans leur réquisitoire. Pour elles, « il n’est pas possible de se scandaliser à cause de la brutalité de la guerre et se taire à propos de ceux qui ont voulu la guerre et la veulent encore aujourd’hui.» Visant les « gouvernements qui ont déversé en Syrie au cours de ces années leurs armes toujours plus puissantes pour ne pas parler des mercenaires qu’ils ont laissés délibérément entrer en Syrie en les faisant passer par les pays limitrophes. »  Ces mêmes gouvernements, souvent, qui « ont obtenu des bénéfices de cette guerre et continuent à en retirer des profits. »

Une plus grande objectivité

La réaction des trappistines d’Azeir n’est pas isolée.  Au lendemain, de leur appel, Mgr Shomali, Vicaire du patriarcat latin de Jérusalem pour la Jordanie, pays où de nombreux syriens se sont réfugiés, a dressé le même constat au micro de Vatican News : « en Syrie, on ne dit qu’une partie de la vérité ». Mgr Shomali a d’ailleurs déclaré qu’en ce qui concerne les massacres de ces semaines dans la Ghouta, « on parle des 600 morts causés par les bombardements du gouvernement mais pas des 600 morts causés par les bombardements des rebelles. »

Mgr Armash Nalbandian, évêque apostolique arménien de Damas a demandé la semaine dernière aux médias occidentaux de s’en tenir à une plus grande objectivité sur la situation syrienne. L’évêque arménien était à Vienne pour une réunion de la fondation autrichienne Pro Oriente pour le dialogue avec les Eglises orthodoxes orientales. S’il déplore les souffrances de la population civile de la Ghouta orientale, il souligne le manque de reportages internationaux relatant les dégâts causés par les bombardements des milices islamistes sur la vieille ville de Damas, où se trouvent d’ailleurs les quartiers chrétiens de Bab Touma, Abassiyine, ou encore Koussour et Jaramana. La ville a sombré dans la torpeur. Mgr Nalbandian explique en outre à Pro Oriente que les écoles sont fermées depuis deux semaines, tout comme la grande majorité des commerces. Les églises sont désertées par les fidèles à l’heure des messes. Mgr Samir Nassar, archevêque maronite de Damas a confié dans une lettre adressé à l’Œuvre d’Orient que  « douze personnes seulement sont venues vendredi soir au Chemin de la Croix au lieu de 600 personnes. »

Déclenché en 2011 par la répression du Printemps arabe, le conflit en Syrie s’est progressivement empêtré dans le chaos avec l’implication de groupes djihadistes et de puissances étrangères. La Ghouta orientale est le dernier bastion des insurgés aux portes de Damas. A ce jour, les forces du régime syrien ont repris plus de 50% de l’enclave et sont déterminées à en reconquérir l’intégralité. L’offensive se poursuit alors que le Conseil de sécurité de l’Onu a adopté fin février une résolution réclamant un cessez-le-feu de 30 jours dans toute la Syrie, qui devait permettre la livraison d’aide humanitaire et l’évacuation de blessés. Un nouveau convoi de l’Onu devait tenter jeudi 8 mars 2018 de porter secours aux populations de la Ghouta.

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