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Pizzaballa, un regard de foi sur le Moyen-Orient

Manuela Borraccino
20 février 2020
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Pizzaballa, un regard de foi sur le Moyen-Orient
L'administrateur apostolique du Patriarcat latin de Jérusalem, Mgr Pierbattista Pizzaballa. ©Hadas Parush/Flash90

A la veille des rencontres de Bari entre les évêques du bassin méditerranéen, quelques réflexions de l'archevêque Pierbattista Pizzaballa sur le rôle des chrétiens dans le contexte du Moyen-Orient.


La page d’histoire actuelle au Proche-Orient nous présente la guerre qui ne voit pas de fin en Syrie, les grandes manifestations de rue en Irak et au Liban, l’état moribond du processus de paix israélo-palestinien, la désaffection pour la politique en Israël qui se rend « aux urnes le 2 mars prochain pour la troisième fois en un an, alors qu’en Palestine on ne se souvient plus de la dernière fois à laquelle on a voté ». Tout cela laisse penser « que ce n’est pas le moment de faire de grands gestes : nous sommes dans une phase de fragilité sociopolitique, dans laquelle nous avons besoin d’une politique forte et sérieuse et de dirigeants forts et convaincants qui ne sont pas là pour le moment ».

C’est pourquoi, comme le souligne l’Administrateur apostolique du Patriarcat latin de Jérusalem, Mgr Pierbattista Pizzaballa, lors d’une rencontre organisée le 15 février à Vercelli par le Mouvement ecclésial d’engagement culturel (Meic), « c’est plutôt le temps des mouvements et des actions sur le terrain, c’est le temps des territoires où nous voyons fleurir les initiatives à partir des écoles, des paroisses, des organisations de la société civile. C’est le moment d’encourager toute les actions afin de créer une émulation, en évitant la tentation du découragement et en disant : mieux vaut ne rien faire tellement rien ne change ».

La contribution spécifique des chrétiens

 Le rôle des chrétiens, en effet, « n’est pas de construire des ponts dans le sens de faire dialoguer Israéliens et Palestiniens, parce que cela, ils le font déjà très bien sans nous ». La mission de l’Eglise – rappelle l’archevêque originaire de Bergame qui vit à Jérusalem depuis 30 ans, où il a été Custode de Terre Sainte de 2004 à 2016 – est plutôt de « se comporter chrétiennement dans ce conflit, c’est-à-dire en créant des occasions de rencontre, de pardon, de gratuité, sans avoir la présomption de tout changer. C’est ce que les deux peuples attendent de nous ».

Alors, la Méditerranée, mare nostrum o male nostrum ? Face à cette question qui, à l’initiative de la Conférence épiscopale italienne, trouvera un écho à Bari du 19 au 23 février auprès d’une soixantaine de cardinaux, d’évêques et de religieux du Saint-Siège et de 20 pays riverains de la Méditerranée, Mgr Pizzaballa remarque que « tant qu’il y aura des inégalités aussi marquées, avec 60% de la population de la rive sud qui a moins de 29 ans et souffre d’un taux de chômage de plus de 50%, la Méditerranée ne pourra que continuer à représenter une voie en quête d’espoir ».

« Nous, les chrétiens – a ajouté l’archevêque – ne changerons pas les problèmes de la Méditerranée, mais en attendant, la première étape est de comprendre, de se faire une idée de l’Afrique et de son accroissement démographique, de ses immenses ressources énergétiques, des injustices et de l’exploitation dont nous voyons malheureusement aujourd’hui les résultats, ses problèmes de développement durable. Dans Laudato si’, le Pape lie indissolublement les injustices sociales à la question environnementale, et demande de nouveaux modèles culturels dans lesquels intégrer de nouveaux modèles économiques. Comment est-il possible que deux milliards de croyants dans le monde n’aient rien à dire sur ces questions si cruciales pour notre avenir ? Nous avons le devoir d’étudier ces problèmes afin d’orienter l’avenir ».

Un horizon changé

 Interrogé par le président de l’association culturelle Nova Jerusalem Norberto Julini sur ce qui reste de l’appel lancé il y a 10 ans avec le document Kairos Palestine. Un moment de vérité, une parole de foi, d’espérance, d’amour au cœur de la souffrance des Palestiniens, signé en 2009 par les responsables des communautés chrétiennes présentes en Terre Sainte, l’archevêque a remarqué qu’« aujourd’hui la situation [avait] complètement changé : aujourd’hui nous n’écririons plus ce document.

La nouveauté que représentait Kairos Palestina était dictée par le fait que jusque là, c’était les patriarches et les évêques qui parlaient du conflit, ou de politique : dans ce cas, ce sont les communautés chrétiennes qui se sont réunies, ont réfléchi, élaboré un appel venant du terrain pour tenter de dire un mot en quête d’une solution ; les chefs religieux de Terre Sainte ne l’ont pas écrit, mais ils l’ont signé. Aujourd’hui, la situation est complètement différente : on ne cherche plus de solution, parce qu’on ne croit plus en la possibilité de changer les choses sur le terrain. Nous savons tous que la paix n’est pas à portée de main, qu’il faudra de nombreuses années et plusieurs générations pour y parvenir ».

Il suffit de penser, a ajouté Mgr Pizzaballa, que le prétendu « accord du siècle » présenté par la Maison Blanche le 28 janvier dernier, ou « qu’un plan unilatéral dans lequel une partie dit à l’autre ce qu’elle est prête à donner, a provoqué très peu de manifestations parmi les Palestiniens. Il n’y a pas eu de protestations dans les rues, ni même lorsque Trump a annoncé le déménagement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, ce qui a été une énorme humiliation pour les Arabes.

Nous devons prendre acte du fait que nous sommes dans une nouvelle phase : l’électorat israélien, au cours des 15 dernières années, s’est déplacé vers la droite, avec un changement qui est culturel avant d’être politique, les Palestiniens sont faibles et sans leader, ils savent qu’avec l’expansion des colonies, avec tous les changements territoriaux et politiques qu’il y a eu, avec la désintégration de l’ordre international, le repli de l’Europe sur elle-même et le désintérêt croissant pour la question israélo-palestinienne, la solution binationale n’est plus techniquement possible. Parler de deux Etats pour deux peuples est aujourd’hui un slogan, rien de plus. En revanche, il y a eu deux intifada et de nombreux affrontements au cours des 30 dernières années, avec près de 10 000 morts, et rien n’a été fait ; les conditions minimales pour que puisse redémarrer une révolte ne sont donc pas réunies, les jeunes ne sont pas disposés à mourir pour rien. Je ne dis pas qu’il y a une résignation à l’état des choses, bien au contraire, mais c’est un fait qu’il y a un manque de coordination politique pour avoir un mouvement solide et articulé de dialectique politique envers Israël ».

Voir loin est nécessaire

 Selon l’archevêque Pizzaballa, ce dont on a peut-être besoin aujourd’hui, ce n’est pas d’un document adressé à Israël et à l’opinion publique internationale, mais plutôt aux chrétiens de Terre Sainte eux-mêmes. « Nous devons nous préparer à des solutions à long terme : ce que nous devrions peut-être écrire, c’est un texte pour nos fidèles, surtout les plus jeunes, afin qu’ils réfléchissent ensemble à la manière de rester dans cette situation d’injustice et de manque de droits pour une partie importante de la population. Certains ont des droits, d’autres n’ont que des permis. Nous savons que cet état de fait est profondément injuste et ne peut pas durer, mais c’est hélas la situation dans laquelle nous allons vivre longtemps. Alors peut-être est-il temps de dire que notre espoir ne repose pas sur la libération de l’Etat, mais sur une expérience de foi qui doit être déterminée et clairvoyante afin que la prochaine génération puisse avoir le désir, la vision de ceux qui ne veulent pas renoncer à leurs rêves pour l’avenir ».

D’autre part, a ajouté le prélat, les raisons d’espérer ne manquent pas dans « les signes des temps » à saisir aujourd’hui. « Les mouvements de paix autrefois puissants, comme Peace Now et d’autres, sont maintenant aphasiques et semblent ne plus avoir d’emprise sur les citoyens : ils ont été remplacés par des organisations cross-platforms, c’est-à-dire des mouvements qui sont l’expression de la société civile avec des musulmans, des juifs, des chrétiens ou bien des Israéliens et des Palestiniens, qui s’unissent non pas à partir de la politique parce que personne ne veut plus en parler », a remarqué Mgr Pizzaballa, « mais pour faire quelque chose de concret ensemble.

Je pense à Hand in Hand, l’organisation d’écoles mixtes d’Israéliens et de Palestiniens, ou à Enfants sans frontières dans le but de faire jouer ensemble les plus jeunes des deux peuples, au Commander’s for Israel’s Security qui rassemble plus de 200 colonels et généraux israéliens à la retraite qui collaborent avec leurs homologues palestiniens sur des projets de sécurité, aux groupes d’enseignants juifs et arabes qui se réunissent pour réécrire des manuels scolaires d’histoire ou de géographie, aux femmes musulmanes pour la non-violence à Hébron. Nous savons qu’à court ou moyen terme, il n’y aura pas de paix, car nous avons trop de dettes à payer et de blessures à guérir. Pourtant, ces associations créent des relations, elles déclenchent des processus à partir de la base. Et cela nous donne beaucoup d’espoir ».

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