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Jésus de la grotte au tombeau

Frédéric Manns ofm, Studium Biblicum Franciscanum
24 novembre 2021
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Jésus de la grotte au tombeau
Depuis les années 1990, le rocher du calvaire ou Golgotha en hébreu, est visible de chaque côté de l’autel grec-orthodoxe. © MAB/CTS

À l’occasion de son centenaire, Terre Sainte Magazine a demandé au frère Frédéric Manns un article retraçant la figure de Jésus telle que l’archéologie nous la fait découvrir tout au long du siècle écoulé. Il en résulte un long article dont voici le 5e et dernier épisode


Le Jésus de l’Histoire au regard de l’archéologie : Jésus de la grotte au tombeau

S’il est un monument vénérable à Jérusalem c’est bien le Saint-Sépulcre. En 1991 et 1992, l’archéologue grec T. Mitropoulos avait participé à la mise au jour de la partie supérieure du rocher du Golgotha dans la chapelle grecque-orthodoxe. Sous les dalles de marbre, il découvrit une couche de mortier de calcium de 50 cm d’épaisseur qui était restée intacte. Le mortier a été soigneusement enlevé. Au milieu, une cavité ronde a été découverte où se trouvait un anneau de pierre de 11 cm de diamètre qui pouvait avoir été utilisé pour fixer la Croix. Le rocher du Calvaire avec ses grandes fissures est visible sous une protection de verre. Sous l’autel grec-orthodoxe, un disque d’argent, avec une ouverture au centre, permet aux pèlerins de toucher le rocher en contrebas, où était plantée la Croix de Jésus.

L’ouverture de la pierre tombale dans l’édicule du Saint-Sépulcre en 2016 a permis des avancées archéologiques majeures. Une dalle en marbre blanc couvrait en effet le tombeau. En dessous, les restaurateurs ont trouvé une seconde dalle, de marbre gris, au centre de laquelle était gravée une croix patriarcale. Et cette dalle brisée était elle-même posée sur un remblai de 5 à 6 cm d’épaisseur recouvrant un lit de pierre. Il y avait donc bien, à l’origine de l’édicule, une banquette funéraire taillée dans le roc. Les sondages magnétiques ont montré par ailleurs qu’une chambre funéraire s’étendait au nord et au sud de l’édicule. Antonia Moropoulou, la responsable des fouilles au nom de l’Université d’Athènes, a fait analyser le mortier qui scellait la dalle. Les résultats sont encore inédits, mais le magazine National Geographic ainsi que Terre Sainte Magazine en ont déjà divulgué la teneur : le mortier daterait du IVe siècle ap. J.-C. En d’autres termes, l’aménagement de la tombe remonterait à la construction du Saint-Sépulcre, sous l’empereur Constantin et sa mère Hélène vers 326.

Lire aussi >> Un monument sur la tombe de Jésus a précédé la construction de la basilique

Autre découverte : les deux parois latérales du rocher qui flanquent le lit funéraire de Jésus existent toujours en partie. Elles étaient enfermées dans les marbres internes et externes de l’édicule. Le sultan Hakim qui pensait détruire le tombeau n’a pas réussi à éliminer toute la roche. À quelques mètres du tombeau du Christ, on trouve d’autres sépultures de la même période creusées dans le roc dans la chapelle des syriaques. Cela prouve que cette église avait été bâtie sur un cimetière juif. Les lecteurs du magazine ont été amplement informés de ces découvertes.

Dans la vallée du Cédron, plusieurs tombeaux sont visibles qui l’étaient déjà du temps
de Jésus. ©Hadas Parush/Flash90

En 1968 des restes humains d’un crucifié furent découverts à Give’at Mivtar, au nord de Jérusalem. Une protubérance osseuse incrustée de calcaire était traversée par un clou de fer à la pointe recourbée. Sous la tête du clou se trouvait une plaquette de bois de 2 cm d’épaisseur. Le clou dont la longueur est évaluée à 11 cm ne la traversait pas du haut en bas, mais latéralement. L’historien Flavius Josèphe signale de nombreux cas de crucifixions, bien qu’il reste avare de détails sur la façon dont le condamné était cloué à la croix.

Le site du baptême du Christ tel qu’on peut le voir côté jordanien. ©JanSmith

Dans l’église syrienne de Saint-Marc, que la tradition présente comme la maison de Jean Marc, une inscription syriaque localisée sur le mur de l’église mentionne la destruction de Jérusalem en l’an 70. Dans la vallée du Cédron des monuments funéraires taillés dans le rocher, en particulier le tombeau d’Absalom, le tombeau de Zacharie et les catacombes de la famille des Bene Hezir, composent un paysage qui n’a pas dû se modifier beaucoup depuis le Ier siècle. La nécropole du Dominus Flevit sur le mont des Oliviers a restitué de nombreuses tombes romaines à fours (kokhim) ainsi que de nombreux ossuaires portant des inscriptions. Quant à l’ossuaire de Caïphe qui provient des fouilles de Talpiot faites en 1990 il a trouvé un grand retentissement dans les médias, mais reste discuté. Plusieurs familles sacerdotales portaient ce nom. La relative simplicité de la tombe fait penser que la découverte ne concerne pas le grand-prêtre Caïphe, mais une famille sacerdotale du même nom.

Dans la vallée du Cédron des monuments funéraires taillés dans le rocher, en particulier le tombeau d’Absalom, le tombeau de Zacharie et les catacombes de la famille des Bene Hezir, composent un paysage qui n’a pas dû se modifier beaucoup depuis le Ier siècle.

Reste un mot à dire sur la basilique de la Nativité de Bethléem, la seule église byzantine de Terre Sainte encore en activité et dont les mosaïques médiévales viennent de retrouver leur éclat primitif. Certains exégètes ont mis en doute le fait que Jésus de Nazareth soit né à Bethléem. Seuls deux Évangiles mentionnent sa naissance dans la ville de David. Des historiens soupçonnent les évangélistes d’avoir fait naître Jésus à Bethléem pour établir un lien entre lui, le Galiléen, et une ville de Judée dont le prophète Michée annonçait qu’elle serait le berceau du Messie. Les Évangiles de l’enfance, qui appartiennent au genre littéraire du midrash chrétien, n’ignorent aucunement les données historiques. Plus que l’histoire tout court, c’est l’histoire du Salut qui leur importe.

Vue aérienne sur le premier sanctuaire marial de Terre Sainte : le Kathisma. ©Nizar Halloun/CTS

Retour à Bethléem

Le premier témoignage incontestable de vénération de la grotte de Bethléem est celui de Justin de Naplouse dans son Dialogue avec Tryphon 78 au IIe siècle : “Comme Joseph ne put trouver du logement, il prit ses quartiers dans une grotte, près du village et pendant, qu’ils étaient là, Marie mit au monde le Christ et l’a placé dans une mangeoire et ici, les Rois Mages, venus d’Arabie, l’ont trouvé”. Ce témoignage est confirmé au IIIe siècle par Origène, un exégète de Césarée maritime, qui note : “À Bethléem, on peut voir la grotte où Jésus est né”. Jérôme, le traducteur de la Bible en latin, la Vulgate, confirme ce témoignage. Dans sa Lettre, 58, 3 il relate que la grotte de Bethléem était vénérée déjà du temps d’Hadrien qui pour empêcher ce culte y fit planter un jardin consacré à Adonis. Sans le vouloir Hadrien rendait un service aux historiens.

Au début du IVe siècle, l’empereur Constantin envoya une délégation en Terre Sainte afin d’identifier les lieux associés à la vie du Christ et de les sanctifier par la construction d’églises et de sanctuaires. Ayant localisé ce qu’ils considéraient être la grotte de la Nativité, les délégués y firent bâtir une église, ancêtre de celle d’aujourd’hui qui remonte à Justinien. Certains ne se prononcent pas sur le lieu de naissance du Christ, faute de preuves matérielles. Selon eux le vieil adage de l’archéologie est plus que jamais d’actualité : “L’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence”.

La section archéologique du Terra Sancta Museum permet de voir des objets issus des fouilles franciscaines de Capharnaüm ou Magdala. ©Nadim Asfour/CTS

Sur la route de Bethléem les restes du sanctuaire du Kathisma furent découverts en 1992, à l’occasion de l’élargissement de la route reliant Jérusalem et Bethléem. Ce sanctuaire du “repos” de Marie enceinte avant d’arriver à Bethléem reprend une tradition apocryphe du Protévangile de Jacques. Un bulldozer heurta accidentellement un sol de mosaïques, non loin du monastère de Mar Élias, ce qui permit de découvrir les vestiges de l’église byzantine. Lors de fouilles préliminaires effectuées entre octobre 1992 et février 1993 par R. Avner seule la partie occidentale de l’église fut mise à jour, révélant des sols de mosaïques qui furent recouverts en vue d’assurer leur préservation. La reprise des fouilles en 1997 permit de découvrir une église octogonale édifiée au Ve siècle et restaurée au VIe. Selon la Vie de Théodose, un ouvrage datant du VIe siècle, l’église et le monastère de l’ancien Kathisma furent construits par Ikelia, une riche veuve qui vivait à l’époque de Juvénal, évêque de Jérusalem de 450 à 458. Le récit indique que l’église fut élevée à l’endroit où Marie se reposa, sur la route menant de Jérusalem à Bethléem. Ces fouilles démontrent l’importance que les communautés primitives attachaient au site de Bethléem. Une tradition importante ne naît pas ex nihilo.

Un mot pour terminer. En Jordanie l’endroit du baptême de Jésus a fait l’objet de fouilles en l’an 2000, à l’occasion du grand Jubilé de la Rédemption. C’est à wadi Kharar que les byzantins localisaient le baptême de Jésus. D’autres traces de sanctuaires évoquent Jean le Baptiste dans la même zone.

Dans le musée archéologique du couvent de la Flagellation qui est le siège du Studium Biblicum Franciscanum, une salle déjà ouverte est consacrée aux objets de la vie quotidienne au Ier siècle. Aiguière, clé, miroir, assiettes en verre, cuillère en bois, boucles d’oreilles, bagues, pelles à encens, bouteilles à parfum, cruches et flacons de terre cuite, encrier, lampes en terre cuite et de nombreuses monnaies s’y côtoient. Bientôt, avec l’ouverture de nouvelles salles, les pèlerins pourront voir de leurs yeux les objets découverts dans les fouilles de Nazareth, Capharnaüm, au Dominus Flevit et à Bethléem.

Une approche pluridisciplinaire s’impose aujourd’hui si l’on veut étudier le problème du Jésus de l’Histoire. Archéologues, anthropologues et exégètes sont appelés à collaborer, même si certains esprits hypercritiques continuent à douter de l’identification de certains sites. Le milieu de vie du Nouveau Testament renaît avec les fouilles archéologiques 2 000 ans après le passage de Jésus. Point n’est besoin, comme le demandait saint Ignace de Loyola, d’imaginer le contexte de l’Évangile, car l’archéologie le recrée sous nos yeux.

 

Dernière mise à jour: 24/04/2024 09:49

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