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Quand l’ivoire raconte l’oppulence de Jérusalem

Christophe Lafontaine
5 septembre 2022
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Quand l’ivoire raconte l’oppulence de Jérusalem
Les ivoires étaient incrustés dans un ameublement - peut-être un canapé-trône dans une structure somptueuse. © Eliyahu Yanai, Cité de David

De très rares décorations mobilières en ivoire de la période du Premier Temple ont été découvertes à Jérusalem. Selon les experts, cela donne un éclairage sur l'importance de Jérusalem à l'époque du royaume de Juda.


Dans la Bible, l’ivoire – objet de luxe – n’apparaît qu’à de rares reprises. Et quand c’est le cas, c’est toujours en lien avec la royauté ou l’oppulence. En témoignent les descriptions du trône du roi Salomon (I Rois 10, 18) et du palais d’ivoire construit par le roi Achab à Samarie (1 Rois 22, 39) ou encore le châtiment du prophète Amos contre la noblesse israélite : « Ils sont couchés sur des lits d’ivoire, se prélassant sur leurs divans » (Amos 6, 4).

Devant l’or, l’ivoire était considéré comme l’un des matériaux les plus coûteux du monde antique. Son prestige était dû à sa rareté et à l’habilité requise pour le travailler. On comprend de ce fait que peu a retrouvé jusque-là au Proche-Orient.

Mais c’était sans compter de récentes fouilles effectuées par des archéologues de l’Université de Tel Aviv et de l’Autorité des Antiquités d’Israël (AAI). Les deux institutions ont fait part dans un communiqué en date du 5 septembre, de la découverte – « parmi les rares dans le monde, et la première de ce type à Jérusalem » – de pas moins de 1 500 minuscules fragments d’ivoire qui remonteraient d’une période allant du Xe av. J.-C. à  – 586 av. J.-C., appelée de époque du Premier Temple.

 

Les objets ont été retrouvés au milieu des ruines d’une imposante maison palatiale des VIIIe et VIIe siècles av. J.-C. sur le parking Givati de ce que les Israéliens identifie comme la Cité de David,  au pied des remparts de la Vieille Ville, à Silwan, quartier palestinien de Jérusalem-Est, annexée et occupée par Israël.

Après un travail méticuleux d’assemblage et de restauration en laboratoire des centaines de petits artéfacts, les archéologues ont pu reconstituer au moins 12 petites plaques carrées d’environ 5 cm2 et de 0,5 cm d’épaisseur tout au plus.

Un type de décoration pour l’élite

Pour les experts, ces plaques d’ivoire ciselées étaient incrustées dans des meubles en bois ou des portes en bois que l’on trouvait dans les résidences de ceux qui occupaient les lieux. C’est-à-dire selon le communiqué de l’AAI : « Des gens riches, influents et puissants, peut-être de hauts fonctionnaires ou des prêtres ». Yiftah Shalev de l’AAI, dans une vidéo accompagnant le communiqué, suggère même que le palais a pu appartenir à un membre de la famille royale. Mais le bâtiment dans lequel les ivoires ont été ramassés a été dévasté probablement lors de la conquête babylonienne de Jérusalem en 586 av. J.-C. C’est pour cela que les ivoires ont été découverts en petits morceaux ou brûlés.

La plupart ont les mêmes motifs. Ils sont constitués de cadres incisés de rosaces au centre desquelles se trouver un arbre stylisé. D’autres plaques sont ornées de fleurs de lotus et de figures géométriques.

Selon Ido Koch et Reli Avisar de l’Université de Tel Aviv, qui ont étudié les artéfacts, « la rosace et l’arbre étaient des symboles populaires dans le répertoire visuel mésopotamien et dans d’autres centres culturels ». Des objets en ivoire aux décors similaires ont été en effet découverts dans l’assemblage d’ivoires de Samarie (alors capitale du royaume d’Israël), et dans des palais plus lointains, comme dans ceux de l’actuel Irak à Nimrud (capitale de l’empire assyrien) et Khorsabad – Dur-Sharrukin – autre ville importante de l’empire. « L’élite judaïque a adopté ces symboles à l’époque où Juda était sous le règne de l’Empire assyrien (à partir de la seconde moitié du VIIIe siècle avant J.-C.) », signale l’AAI dans son communiqué. « Les ivoires ont pu arriver à Jérusalem comme un cadeau de l’Assyrie à la noblesse de Jérusalem », expliquent les directeurs des fouilles, Yuval Gadot de l’Université de Tel Aviv et Yiftah Shalev de l’AAI. Des tests microscopiques ont révélé que les artéfacts avaient été fabriqués à partir de défenses d’éléphant d’Afrique qui ont été certainement rapportées en Assyrie, travaillées là-bas et ensuite envoyées à Jérusalem.

Jérusalem, au rang des grandes villes du Proche-Orient ancien

Et les deux archéologues de poursuivre : « suite à une comparaison avec des objets complets qui apparaissent sur les plaques murales du palais du roi assyrien Sennachérib à Ninive, nous suggérons que les plaques d’ivoire de Jérusalem étaient à l’origine incrustées dans un canapé-trône ».

Pour l’AAI, la découverte des ivoires est assurément « un pas en avant » dans la compréhension du statut politique et économique de la ville dans le cadre de l’administration et de l’économie mondiales. « Le fait de réaliser que la culture matérielle des élites sociales de Jérusalem à l’époque du Premier Temple n’était pas inférieure – et peut-être même supérieure – à celle des autres centres dirigeants du Proche-Orient ancien, démontre le statut et l’importance de Jérusalem à cette époque », souligne ainsi Eli Eskozido, directeur de l’Autorité des antiquités d’Israël.

 

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