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Les Franciscains et l’orgue, une histoire d’amour

Marie-Armelle Beaulieu
14 novembre 2025
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L’orgue a précédé les Franciscains en Terre Sainte. Une fois les tuyaux de celui de Bethléem enfouis, l’instrument ne se fit plus jamais entendre. Jusqu’à ce que les Frères mineurs le réintroduisent au XVIIe siècle. Histoire d’une épopée qui dure.


La légende raconte que les Franciscains auraient introduit le premier orgue au Saint-Sépulcre en cachant les tuyaux dans les plis de leurs bures. Nous sommes en 1615, attestent les textes, et l’on sait de cet instrument qu’il fut acheté à Venise par le custode Basilio Caprarola.

Le XVIIᵉ siècle marqua le grand retour de l’orgue en Terre Sainte. Dans la première moitié du siècle, outre le Saint-Sépulcre, le couvent Saint-Sauveur (1630), siège de la Custodie de Terre Sainte, et la basilique de la Nativité à Bethléem (1640) furent pourvus du “roi des instruments”.

Ces orgues, parfois modestes, accompagnaient processions et pèlerinages. D’après les chroniqueurs de l’époque, leur musique ne séduisait pas seulement les fidèles chrétiens. Les offices franciscains attiraient aussi des curieux venus du monde musulman environnant. Le père Antonio de Castillo, missionnaire à Jérusalem entre 1627 et 1634, témoigne : “Il est très rare qu’il n’y ait pas de Turcs aux offices. Ils viennent écouter cette musique d’orgue qu’ils n’entendent pas chez eux et qui les émerveille.” Une appréciation que ne partageaient pas les moines grecs-orthodoxes dans les sanctuaires où ils coexistaient avec les latins.

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Au XVIIIᵉ siècle l’orgue continua sa percée tout en prenant de l’ampleur. On doit aux dessins d’Elzéar Horn, franciscain allemand et organiste de la Custodie, de connaître leurs formes et leurs compositions. L’orgue du Saint-Sépulcre, note-t-il, possédait déjà un pédalier et 21 registres ; celui de Nazareth, fabriqué à Naples et inauguré en 1734, comptait 8 registres ; tandis que celui de Saint-Sauveur en avait 32.

Et l’atelier vit le jour

Encore fallait-il entretenir les instruments. Dès 1637, un premier atelier improvisa la remise en état d’un orgue arrivé en piteux état d’Égypte. Plus tard, en 1754, Jérusalem accueillit deux frères espagnols de Valence, Antonio Monton et Francisco Xibiach, facteurs d’orgues de métier. Leur mission : construire un nouvel instrument pour la basilique du Saint-Sépulcre.

Les rivalités confessionnelles contrarièrent le projet. Les grecs-orthodoxes refusèrent son installation dans le sanctuaire. L’orgue fut relégué à l’église Saint-Sauveur, trop exiguë pour accueillir sa pleine dimension. Réduit, il n’en impressionna pas moins les voyageurs : le Français Jean Mariti, de passage en 1767, le jugea “extraordinaire” et “superbe”.

La Custodie doit aux provinces franciscaines espagnoles d’avoir pourvu en facteurs d’orgues l’atelier qui porta fièrement l’appellation latine Officina sacris extruendis organis – atelier de construction d’orgues sacrés – jusqu’à la mort, à 78 ans, du frère Delfino Fernandez en 2002. Arrivé à Jérusalem en 1950, son habileté manuelle, quelques cours et sa passion pour l’instrument lui valurent de prendre la tête de l’atelier.

À la fin des années 1980, frère Delfino travailla à la restauration de certains orgues avec le facteur israélien Gideon Shamir. Quelques années après sa mort, la Custodie, grâce au Commissariat de Terre Sainte d’Autriche et à l’entreprise de renommée internationale Rieger, entretient son patrimoine, le rénove quand nécessaire ou équipe de nouveaux sanctuaires, comme Gethsémani en 2014.

Avec la création du Festival d’orgue Terra Sancta, la Custodie continue de promouvoir l’instrument partout où elle l’a installé : Israël, Palestine, Jordanie, Grèce, Chypre, Égypte, Liban et Syrie.

L’orgue, inconnu des peuples d’Orient, est devenu bien plus qu’un instrument : un trait d’union entre les cultures et le témoignage de l’amour que lui ont voué des générations de religieux.

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