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L’orgue de Bethléem, pièce maîtresse du futur Terra Sancta Museum

Marie-Armelle Beaulieu
14 novembre 2025
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La section historique du Terra Sancta Museum la vocation à relater 800 ans de présence franciscaine en exposant ce que l’on a coutume d’appeler “le Trésor du Saint-Sépulcre”. Des lampes, des calices, des patènes, des tabernacles rivalisant d’or et d’argent, de pierres précises, d’émaux et de coraux, offerts par les souverains d’Europe au long des siècles.
Pourtant, 222 tuyaux de plomb, trouvés par hasard, s’ingénient à leur voler la vedette.


Miraculeux, exceptionnel, émouvant, historique, les qualificatifs n’ont pas manqué pour saluer l’événement qui s’est déroulé dans le hall de réception du couvent Saint-Sauveur de Jérusalem, le quartier général des Franciscains de la Custodie à la mi-septembre.

Huit tuyaux d’orgue datant du Moyen Âge ont produit leurs notes d’origine, sans la moindre intervention humaine de restauration ou d’ajustement. “C’est comme ressusciter un dinosaure”. Les quelques notes du Benedicamus Domino entendu étaient – qu’on se rassure – plus belles que le barrissement d’un pachyderme.
L’événement, organisé par le Terra Sancta Museum, n’était pas un simple concert expérimental. Il marquait une étape décisive dans la mise en valeur d’un trésor archéologique et musical appelé à devenir une pièce maîtresse de la section historique du futur musée de la Custodie.

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Pour les Franciscains, tout commence en 1906. Cette année-là, ils entreprennent à Bethléem la construction d’un hospice pour pèlerins, la Casa Nova, sur un terrain adjacent à leur couvent. En creusant, ils découvrent un dépôt extraordinaire : 254 tuyaux de cuivre et 13 cloches. L’ensemble, attribué au XIIᵉ siècle, rejoindra divers objets liturgiques, enfouis eux aussi dans la terre de l’ancien cimetière des frères, et découverts quelques années plus tôt. Celui que l’on nommait déjà le “trésor de Bethléem” se complétait.

On suppose qu’il fut enterré à la hâte par les Croisés, peut-être lors de l’invasion de la ville en 1244. La logique du démontage, perceptible dans l’ordre des pièces retrouvées, laisse entrevoir la main d’un organiste contraint de sacrifier son instrument.

Les tuyaux d’orgue s’ajoutaient à une crosse, des chandeliers émaillés et des bassins de cuivre décorés d’épisodes de la vie de saint Thomas. L’ensemble, préservé dans un état remarquable, fut exposé dès les années 1930 dans le musée franciscain de la Flagellation à Jérusalem, avant d’être placé dans les réserves, à l’occasion de la restructuration de la section archéologique, du fait de l’ouverture programmée d’une section historique.

David Catalunya ordonne les 13 cloches du trésor de Bethléem. © Photos Nadim Asfour/CTS

Les tuyaux de Jérusalem détrônent ceux de Sion

Pendant des décennies, l’orgue de Bethléem ne suscita qu’un intérêt limité. Il fallut attendre les années 1980 pour qu’un passionné britannique, Jeremy Montagu, en publie une première étude. Mais c’est à l’Espagnol David Catalunya, musicien et historien de la musique, que l’on doit sa véritable redécouverte.

Alors qu’il menait des recherches à Oxford, il tomba sur la mention de ces tuyaux oubliés. En 2021 il se rendit à Jérusalem et entreprit un examen systématique des 222 tuyaux subsistants(1). Peu à peu se dessina l’hypothèse d’un instrument plus vaste, probablement composé de 360 tuyaux.

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Les analyses de matériaux, de techniques de fabrication et les inscriptions, gravées dans le style médiéval, permirent de dater l’instrument du XIᵉ siècle. Catalunya estime qu’il fut construit en France, dans l’orbite culturelle de Cluny, puis apporté en Terre Sainte par les Croisés au XIIe. Si cette hypothèse se confirme, les tuyaux de Bethléem seraient les plus vieux du monde encore capables de produire un son – plus anciens, de quatre siècles, que ceux de l’orgue de Valère, à Sion en Suisse (1435).

Quand l’Histoire reprend voix

En septembre dernier, Catalunya et son équipe – composée de l’expert Koos van de Linde et du facteur d’orgue Winold van der Putten – ont présenté à Jérusalem le résultat de leurs travaux. Grâce à une soufflerie spécialement conçue, 8 tuyaux en parfait état ont été testés. Contre toute attente, ils ont sonné “comme s’ils avaient été fabriqués hier”.

C’est sur un chant grégorien du XIIᵉ siècle que le chercheur a choisi de donner voix à l’instrument. Le public, saisi d’émotion, a entendu pour la première fois depuis huit siècles un son intact du Moyen Âge. Les techniciens ont parlé d’une sonorité “pure et propre”, caractéristique d’une tradition musicale qui, depuis l’Antiquité, laisse place aux demi-tons.

Les plaques de cuivre étaient martelées sur une pièce de bois pour obtenir un calibre unique
de tuyaux. ©MAB/CTS

Mais l’orgue de Bethléem n’est pas seulement un objet d’étude. Pour le frère Stéphane Milovitch, responsable des biens culturels de la Custodie et du Terra Sancta Museum, “c’est un héritage vivant, un pont entre les époques et les cultures”.

De fait, sa redécouverte touche à de nombreux domaines : archéologie, histoire, technologie, musicologie, mais aussi patrimoine spirituel. Elle résonne d’autant plus dans une Terre Sainte marquée par les blessures de la guerre. “C’était comme une parenthèse enchantée”, confiait une journaliste après la présentation de septembre. Un moment qui en effet a distrait l’auditoire de l’actualité pour le replonger dans une mémoire plus longue, celle de la foi et de l’art.

Le futur “cloître musical”

L’aventure ne fait que commencer. L’équipe scientifique prévoit de reconstruire un premier fac-similé complet de l’instrument, respectant les matériaux et techniques médiévales. Les historiens et techniciens de l’instrument devront faire des choix sur le système de soufflerie qui sera manuel, et la façon d’actionner les notes qui chacune feront retentir 18 tuyaux, targette ou clavier.

Cet instrument reconstitué sera installé dans le futur Terra Sancta Museum, aux côtés des tuyaux d’origine, dans une salle dédiée : le “cloître musical”. Au milieu des collections historiques du musée, il incarnera la rencontre entre science et foi, mémoire et innovation.

Avec l’orgue de Bethléem, c’est une part oubliée de la chrétienté qui refait surface. Non plus comme une relique silencieuse, mais comme une voix retrouvée. Dans le souffle de ces tuyaux, ce sont huit siècles d’Histoire, de prière et d’art qui reprennent vie – et qui s’apprêtent à résonner pour les générations à venir.

  1. Lire le dossier L’orgue de la Nativité sort du silence après 800 ans, dans le numéro de novembre décembre 2021 – TSM 676
Sur une console de bois, les 222 tuyaux ont été assemblés selon leurs notes et tonalités.
On voit les clés dont chacune permettra à 18 tuyaux de jouer ensemble la même note. © Francesco Guaraldi/ CTS
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