La Terre Sainte, c’est beaucoup plus que la Terre Sainte ! Invitation à rencontrer les églises vivantes du pays du Christ.
Bien sûr on peut découvrir la Terre Sainte au cours d’un voyage organisé, un pèlerinage paroissial par exemple : la découverte des Lieux saints passera cependant souvent à côté des pierres vivantes que sont les communautés chrétiennes. Que ce soit en territoires israéliens ou palestiniens, les chrétiens locaux sont à une écrasante majorité catholiques ou orthodoxes et presque tous arabes (plus de 90 %). Outre les chrétiens arabes, il existe en Israël une autre minuscule réalité : des communautés chrétiennes hébraïques ou encore des juifs messianiques. Mais si elles revêtent un caractère prophétique, témoignant de l’universalité du christianisme, elles restent une infime minorité aux contours flous.
Dès lors, aller à la rencontre de nos frères chrétiens de Terre Sainte, Palestiniens, c’est aussi découvrir leur vie, leur culture, leur pays : la Palestine. Que cette région ne soit plus nommée ainsi sur les cartes de géographie ne l’empêche pas d’exister comme terre et comme peuple.
Le plus simple est de se déplacer sac au dos, en bus et taxis collectifs, au son des poèmes de Mahmoud Darwich mis en musique par Marcel Khalife ou ceux des Frères Rahbani chantés par Fairouz, ou plus sobrement de la récitation du Coran, en suivant les Lieux saints, bien entendu : Jérusalem, Bethléem, Nazareth, Jéricho, Hébron, Cana, Jaffa, Haïfa et le Carmel… – mais aussi en se rendant dans les autres villes et villages chrétiens de Palestine : Ramallah, Taybeh, Jifnah, Aboud, Ein Ariq, Birzeit, Zababdeh…, mais encore Naplouse ou Gaza qui furent de grandes métropoles chrétiennes et comptent encore de petites communautés bien vivantes. Visiter les paroisses et se laisser porter par la proverbiale hospitalité palestinienne. Rencontrer les prêtres francophones, leurs ouailles polyglottes, boire avec eux le café arabe à la cardamone et le thé à la menthe ou bien à la sauge – appelée ici El-Maryamiyya, la Mariale, selon une légende de la fuite en Égypte : l’âne qui portait la Vierge et l’Enfant-Dieu ne parvint au havre égyptien que grâce à la sauge dont il s’était nourri sur le chemin…
Mais rencontrer les chrétiens de Terre Sainte, c’est aussi rencontrer le peuple auquel ils appartiennent, majoritairement musulman, et s’intéresser à cette réalité multiforme dans son histoire comme dans son actualité. La Palestine ottomane (1516-1917) puis britannique (1917-1948) a connu une coexistence plutôt pacifique – non sans inégalités ni heurts – entre ses différentes communautés religieuses : juives, chrétiennes, musulmanes, ou encore druzes, mais malheureusement les conflits arabo-sionistes puis israélo-palestiniens et l’essor des nationalismes rivaux ont largement créé une fracture entre musulmans et chrétiens d’une part et juifs d’autre part. Cependant Yasser Arafat, dont l’épouse était chrétienne, déclarait toujours : « La Palestine est juive, chrétienne et musulmane », et chantait chaque Noël lors de la messe de minuit à Bethléem l’Adeste fideles en latin… Affirmations officielles de l’attachement de la société palestinienne à sa minorité chrétienne – exprimé très tôt dans le nationalisme palestinien qui dès l’entre-deux-guerres s’organisait autour de comités islamo-chrétiens – et que le développement contemporain de courants islamistes ne remet pas en cause. Les insurgés de la grande révolte antibritannique de 1936-1939 portaient souvent sur le drapeau palestinien la croix et le croissant tout ensemble. De nombreux villages étaient chrétiens ou mixtes, comme Birwa (rasé, une fois ses habitants chassés, comme des centaines d’autres par l’armée israélienne), village natal de Mahmoud Darwich, qui se souvient du curé du village, ami de son père, qui passait de longues heures chez eux à boire le café et jouer aux échecs.
Une variété de paysages
Aujourd’hui les territoires peuplés majoritairement de Palestiniens, outre Nazareth et la Galilée, sont surtout la bande de Gaza et la Cisjordanie. Avec au centre Jérusalem, à l’est Jéricho, au sud Bethléem et Hébron et au nord Ramallah, Naplouse puis Jénine, cette dernière concentre une grande partie des villages chrétiens comme des « territoires palestiniens ». Antiques Judée et Samarie, zones montagneuses où le Djébel El-Assur culmine à plus de mille mètres, où les agglomérations, dont l’altitude moyenne est de huit cent mètres, s’accrochent aux flancs de montagnes sacrées : le mont Sion pour Jérusalem, bien sûr, mais encore l’Ebal et le Garizim pour Naplouse, l’ancienne Sichem qui abrite les derniers Samaritains, Haïfa entre mer et Carmel… Sans oublier ceux bénis par la venue du Christ : mont des Oliviers, Thabor, Quarantaine… Bordés à l’orient par la vallée du Jourdain, la plaine de Jéricho et la mer Morte, à l’occident par les plaines côtières, ces massifs au relief tourmenté apparaissent couverts de roches et d’oliviers par milliers – millions, en réalité –, hantés de gazelles et de chacals, plus rarement de loups, hyènes et panthères – sans oublier le daman des rochers. Les forêts sauvages se sont raréfiées, le coup fatal leur ayant été porté autour de 1915 par les soldats du gouverneur turc Jamal Pacha, dit « le boucher », qui les ravagea irréparablement pour les besoins de la guerre et du chemin de fer. Quelques chênes, caroubiers, acacias, térébinthes…, témoignent de ces splendeurs passées, mais ce sont surtout les morts qui dorment aujourd’hui à l’ombre, sous les cyprès et les pins parasols des cimetières chrétiens ou musulmans. Désormais les arbres et arbustes domestiques, fruitiers, dominent le paysage : amandiers, noyers, abricotiers, orangers, néfliers, figuiers, vignes aussi…, et l’inévitable olivier cultivé depuis les temps préhistoriques. Emblème même de la Palestine, il est le symbole de l’enracinement à la terre et de la résistance dans le temps. « L’olivier ne pleure ni ne rit. Il est le seigneur des pentes pudiques. De son ombre, il recouvre ses jambes et il ne se dévêt pas de ses feuilles devant la tempête. Debout comme s’il était assis, assis comme s’il se tenait debout, il vit en frère d’une éternité familière et en voisin d’un temps qui l’aide à faire provision d’huile de lampe et à oublier les noms des envahisseurs à l’exception de ceux des Romains, ses contemporains, qui empruntèrent quelques-uns de ses rameaux pour tresser les couronnes. Ils ne le traitèrent pas en prisonnier de guerre mais en grand-père respecté dont la noble dignité brise les glaives. Dans l’argenté de son vert ascétique, la timidité de la couleur pour dire et pour regarder plus loin que la description. Ainsi n’est-il ni vert ni argenté. Il aurait la couleur de la paix si la paix avait besoin d’une couleur. » (Mahmoud Darwich) Les plus vieilles oliveraies sont ainsi dites Zaytun Rumani, oliviers romains, ou même Zaytun el-Masih, oliviers du Christ. Un pays humble, évangélique, où l’on raconte qu’au moment où l’on baptisa le Sauveur, toute la nature se prosterna et que depuis, arbres et plantes se mettent à genoux à chaque Épiphanie… Où la patrie, Bilad, est le pluriel du lieu natal, Balad…
Cet enracinement rural des Palestiniens se traduit également dans leur cuisine, simple et paysanne. L’huile d’olive et le thym moulu ou zatar font avec les galettes de pain taboun le plus simple des repas, mais il serait injuste de ne pas évoquer les courgettes, feuilles de chou et de vigne farcies, le musakhan, poulet grillé aux épices sur une sorte de pissaladière, le makloubeh, riz au poulet et aux aubergines, ou encore le mansaf, plat de riz et d’agneau au lait caillé préparé pour les fêtes – pour ne parler que des principaux. Ne pas oublier le knafeh, spécialité sucrée de Naplouse à base de fromage de chèvre, et puis les boissons alcoolisées ou non : jus de caroube ou d’amande, arak anisé, vins de Crémisan et Latroun…
Simplement Palestine
Mais la culture commune ne s’arrête pas à la cuisine, ni même à la famille – patriarcale, étendue et pleine de jeunesse (plus de la moitié de la population palestinienne est mineure…), ni encore aux chants et danses du dabké, aux poésies d’Ibrahim Touqan, Samih el-Qasim ou Tawfiq Zayyad – longtemps maire de Nazareth : elle se lance à l’assaut du ciel lorsque chrétiens et musulmans célèbrent d’un même élan leur commun patron, saint Georges, El-Khader, « le Verdoyant », protecteur des paysans, des voyageurs et des aliénés.
La Terre Sainte autrement ? La Palestine, tout simplement.
Article publié dans La Nef (avec autorisation de l’auteur)
Dernière mise à jour: 20/11/2023 16:34