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La Tente des nations : venez et voyez !

MM. Le Vaillant et H. Morlet
30 mai 2015
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La famille Nassar a des terres en Palestine, que l’État d’Israël
a déclarées lui appartenir au prétexte qu’elles sont dans la zone C sous sa supervision militaire pour “raison de sécurité”. Mais si la famille entend ne pas se laisser exproprier, elle entend aussi mener un combat de résistance non-violente parce qu’ils “refusent d’être ennemis”.


« En route pour “la Tente des Nations”. Ils sont une petite dizaine en ce samedi matin de mars à s’être portés volontaires pour aider la famille Nassar à planter des arbres, dans leur domaine de 40 ha au sud-ouest de Bethléem, en Cisjordanie occupée. Parmi eux, une pasteure méthodiste américaine vivant dans la région, quelques-unes de ses ouailles arrivées des États-Unis pour dix jours en Terre Sainte, mais aussi de jeunes Anglais et Français vivant à Ramallah.

De tous âges et parfois pour la première fois, ils expérimentent le travail de la terre en plantant des vignes sur les pentes de la colline aménagées en terrasses, sous les conseils de Daher Nassar. Ce Palestinien chrétien aux mains de travailleur et à l’air tranquille explique : “Il faut attendre 3 ans pour les vignes, et 10 ans pour les arbres fruitiers avant de pouvoir récolter. C’est un acte de confiance en l’avenir de les planter. Mais qui sait, peut-être que dans quelques années nous pourrons nous asseoir avec eux et boire ensemble le vin issu de ces vignes que nous plantons aujourd’hui !” Eux, ce sont les Israéliens habitant dans les cinq colonies situées sur les sommets entourant le terrain des Nassar.

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Au vu de son histoire et de sa situation géographique, à la limite de la zone C, c’est-à-dire en territoire palestinien sous contrôle israélien, la ferme Nassar ne pouvait être une plantation comme les autres. Fondée en 1916 sur les collines du village palestinien de Nahalin, elle est jusqu’à maintenant restée aux mains des petits-enfants de son fondateur Daher Nassar. Mais en 1991, l’État d’Israël déclare le terrain domaine d’État, faisant fi des titres de propriété reconnus pourtant par les autorités ottomanes, britanniques et jordaniennes tout au long du XXe siècle. Une longue bataille juridique s’est donc engagée pour faire reconnaître le droit de la famille à rester sur ses terres.

Résistance non-violente

C’est pour investir leurs frustrations dans des initiatives constructives et positives qu’ils ont créé à l’aube des années 2000 le projet Tent of Nations (La Tente des Nations) (1). Daoud Nassar, l’un des huit de la fratrie de Daher, raconte : “Face aux injustices et à la pression constante, il y a plusieurs façons de réagir. La première est la violence, en tant que réflexe de survie lorsqu’on est acculé. C’est compréhensible sur le moment, mais à moyen et long terme ce n’est pas constructif. La deuxième est de se résigner et d’attendre un sauveur. Cela revient à devenir passif et à agir comme une victime. L’autre choix, c’est de fuir les problèmes et d’émigrer, ce que font de nombreux Palestiniens, souvent les plus éduqués.

Peu satisfaits de cette palette de possibilités, les Nassar en testent une quatrième : résister de façon non violente. “Nous avons clarifié nos principes très rapidement. Nous refusons d’être des ennemis et des victimes, et choisissons d’agir plutôt que de réagir. Nous rejetons la haine, ce qui est très exigeant dans un contexte où tout nous encourage à haïr, mais nous n’acceptons pas les mauvaises actions des autres. Et, en tant que chrétiens, nous avons l’espérance qu’un jour la justice l’emportera.”

Forte de ces convictions, la Tente des Nations accueille des volontaires internationaux pour quelques semaines, mois, ou parfois une année entière. Ils animent des camps d’été pour les enfants palestiniens, donnent des cours d’anglais et d’informatique aux femmes du village voisin, ou cultivent la terre. Les visées sont environnementales et éducatives, pour permettre aux internationaux de renouer le contact avec la nature, et aux locaux d’avoir accès à une ouverture plus grande sur le monde.

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Les restrictions et l’interdiction de construire des bâtiments compliquent la vie quotidienne mais Daoud explique : “Trouver des solutions créatives aux problèmes est notre défi. Par exemple, nous avons installé des panneaux solaires et des toilettes sèches pour pallier le manque d’eau et d’électricité. Nous avons réhabilité des grottes pour y loger l’hiver, et installons de grandes tentes durant l’été !” Son frère Daher fait visiter les grottes aux visiteurs curieux. Décorées et même équipées désormais d’Internet, c’est pourtant là que son père a grandi au début du XXe siècle.

« C’est nécessaire de planter, sinon rien ne pousse »

Conformément à la tradition d’accueil palestinien, un repas a été préparé pour récompenser les agriculteurs en herbe aux muscles endoloris. Servi dans de grandes cuvettes, il est partagé avec un groupe de pèlerins américains venus rencontrer et soutenir la famille Nassar, mais surtout prendre conscience de la réalité de l’occupation israélienne en Cisjordanie.

Notre but est d’accueillir tous les visiteurs, sans distinction. ‘’Venez et voyez !’’ La première étape vers la paix est, d’après moi, de donner un visage humain à son ennemi. Ici, les Israéliens peuvent venir nous voir et constater les conditions de vie sous l’occupation. Ce qu’ils en font après est de leur responsabilité, mais nous faisons notre part en les informant. L’étape du pardon réciproque ne sera réalisable qu’après la reconnaissance des droits des Palestiniens, avec l’avènement de la justice.”

Daoud continue sur une métaphore biblique : “Lorsque l’on plante des grains de blé, on ne sait pas s’ils vont porter du fruit. Ils ne seront assurément pas tous féconds, mais c’est nécessaire de les planter, sinon rien ne pousse !”

L’engagement des Nassar est intimement lié à leur foi chrétienne. Comme souvent chez les chrétiens de Palestine, on retrouve différentes confessions au sein de la nombreuse famille : luthériens, catholiques, orthodoxes… Pour Daoud, leurs initiatives de résistance pacifique résultent de leur volonté de vivre leur foi au quotidien. “La foi sans l’action n’est pas suffisante : mettre en pratique l’amour de nos ennemis, résister au mal par le bien… Vivre notre foi nous renforce, et peut aider les autres par l’exemple.”

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C’est le cas des autres fermiers palestiniens, qui ont recommencé à cultiver leurs terres alentours, en voyant que les Nassar obtenaient de bonnes récoltes malgré les difficultés. “Les Palestiniens ont avant tout besoin de signes de succès” constate-t-il. “Comme nous croyons profondément en ce que nous faisons, nous ne nous décourageons pas aux premières difficultés. Et si notre objectif principal n’est toujours pas atteint, nos actions ont eu des conséquences positives. Cela me rappelle Jésus demandant à ses disciples d’être artisans de paix, d’être ses témoins. Ils n’ont pas changé le monde d’un coup ni mis fin à l’occupation romaine, mais ils ont fait une différence. Si chacun fait sa part, petit à petit le monde avance.”

Déracinement d’arbres

Les visites de groupes, notamment de juifs américains, ou d’Israéliens accompagnant des associations de défense des droits de l’homme, sensibilisent les gens et ouvrent de nouvelles perspectives. Ainsi, ce colon qui après être venu à Tent of Nations, a quitté sa colonie et est revenu aider les fermiers à construire leurs toilettes sèches.

Tout compte fait, cette année, ce sont près de 2500 arbres qui ont été plantés entre janvier et mars à la Tente des Nations, par plus de 300 personnes de toutes origines venues en renfort. Daher évoque avec une gratitude encore un peu étonnée ce groupe de Néerlandais motivés qui a enraciné 850 arbres en cinq jours. Cette aide est bienvenue, après que l’armée israélienne a déraciné 1500 arbres fruitiers prêts à la récolte en mai 2014. Ils étaient plantés sur une partie des terres revendiquées par l’État d’Israël, et en attente de clarification juridique depuis une vingtaine d’années. Un second procès est maintenant en cours, les Nassar demandant réparation pour le préjudice subi.

Perrine Thorey, française et volontaire d’un jour, reconnaît l’ambiance spéciale qui règne à Tent of Nations : “Indépendamment des considérations politiques, j’ai surtout ressenti une envie de vivre normalement dans le contexte difficile auquel ils sont confrontés : envie de vivre et de monter des projets ensemble, tranquillement, sur leurs terres. Et les étrangers apportent leur soutien aux initiatives de paix d’une famille palestinienne, sans tomber dans l’excès fréquent de militantisme et d’ingérence parfois inadaptés à la culture locale. En attendant, la famille

Dernière mise à jour: 19/11/2023 11:37

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