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Regarder vers l’avenir de notre Église avec confiance et espérance

Marie-Armelle Beaulieu
23 juillet 2016
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Regarder vers l’avenir de notre Église  avec confiance et espérance
Transition. Le père Pierbattista Pizzaballa, à gauche nommé administrateur apostolique du diocèse de Jérusalem dont le siège est vacant après la démission de Mgr Fouad Twal (à droite) ©Nadim Asfour/CTS

On attendait un patriarche, éventuellement arabe ou arabophone,
on accueillera un administrateur apostolique franciscain italien
et hébréophone. Décryptage (personnel).


Une vague de chaleur s’était abattue sur Jérusalem quand le ciel de l’Église locale a été transpercé d’un coup de tonnerre. Le 24 juin, en la fête de saint Jean le Baptiste, le Saint-Siège faisait savoir que le pape avait accepté la démission de Mgr Fouad Twal patriarche de Jérusalem, atteint par la limite d’âge depuis octobre dernier. Jusqu’ici, rien d’anormal.

On apprenait aussi que Rome avait nommé un administrateur apostolique – dans l’attente de pourvoir le siège patriarcal – en la personne de l’ancien custode de Terre Sainte : Pierbattista Pizzaballa. Et ce fut là que le ciel se déchira en deux.

Pourquoi un coup de tonnerre ? Parce que le Saint-Siège ne choisissait pas de patriarche. Parce que l’administrateur n’était pas un arabe ni ne parlait l’arabe. Parce que c’était un franciscain. Parce que c’était ce franciscain, ex custode de Terre Sainte depuis trois semaines. Parce qu’après des mois de supputations, de bruits de couloirs, ce nom en définitive déjouait les pronostics. Dans le Landerneau local, ça faisait beaucoup d’un coup. Bien que l’information ait largement fuité dès la veille, la lire pour officielle délia nombre de langues.

Un héritage arabophone

Dans un message qu’il adressait le jour même au diocèse, le père Pizzaballa essayait donc de désamorcer quelques rumeurs. Le premier à être lucide sur le fait qu’il n’était pas attendu c’était lui. “Je ne cache pas que j’ai été surpris par cette demande, connaissant mes limites personnelles et objectives. Vous pouvez ainsi imaginer quelle n’a pas été mon inquiétude et ma préoccupation devant cette tâche qui m’a été confiée. Je peux aussi comprendre toutes les questions que cette annonce suscite en vous, et peut-être aussi votre perplexité.”, déclarait Pizzaballa dans sa lettre ouverte.

De la perplexité… pour le moins. Une partie des Palestiniens comme des Jordaniens tenaient mordicus qu’il fallait un arabe à la tête du patriarcat. Et cela peut en partie se comprendre.

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Il faut se figurer la blessure des populations locales, et singulièrement celle des catholiques latins, à s’entendre accusés d’être, sur leur propre terre, ce qui reste des Croisés, un produit d’importation qui n’aurait pas sa légitimité dans la région. Si un sentiment de fierté nationaliste existe, c’est surtout dans cette accusation – qui fait le lit de l’islam radical – qu’il faut comprendre cette volonté d’affirmation chrétienne et arabe.

Le christianisme d’expression arabe a un très riche passé. Il a seul porté le flambeau de la foi dans le Moyen Orient chrétien jusqu’au XIXe siècle. Les catholiques latins, bien que priant dans une forme occidentale, en sont pétris et en sont fiers à juste titre. Sans eux, le christianisme n’aurait plus droit de cité dans la ville sainte.

Capacité d’analyse

Tout le travail exceptionnel réalisé par les franciscains de la Custodie de Terre Sainte, durant les quelque 600 ans où ils ont été quasi les seuls chrétiens d’Occident autorisés à vivre ici, n’aurait pas produit grand chose sans cette chrétienté locale qui les a suivis autant qu’aidés. Trois cents franciscains n’auraient jamais pu maintenir à eux seuls la présence de l’Église catholique latine ici.

C’est parce que les uns se sont mis au service des autres, qu’en dépit des vicissitudes politiques, l’Église catholique latine est encore présente. Et ni les uns ni les autres ne devraient oublier cette réciprocité qui correspond d’autant mieux à Jérusalem que ce diocèse a une vocation locale et universelle.

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En cela, le choix du père Pizzaballa tombe plutôt bien. Déjà au cœur de la Custodie – gardienne autant des lieux saints que des communautés chrétiennes locales – il avait expérimenté ce double aspect. Au cœur du patriarcat, il approfondira ses connaissances sur les œuvres du patriarcat en Jordanie, en Israël, en Palestine et à Chypre comme sur son accueil d’une diversité ecclésiale qui lui vient du dehors.

Et connaissant la capacité d’analyse du nouvel archevêque, à n’en pas douter, le pape aura de l’Église de Terre Sainte une cartographie particulièrement affinée et ce d’autant plus que l’analyste ne sera pas juge et partie.

Car c’était un point abondamment commenté à l’annonce de sa nomination : les divergences d’appréciations entre les différentes parties du diocèse sur le diagnostic à apporter et les impulsions à donner.

Au-delà des différences

En effet, les réalités politiques en Israël, en Jordanie et en Palestine diffèrent. Après un patriarche palestinien et un autre jordanien, les uns aspiraient à la continuité, les autres au mouvement de pendule. Les chrétiens d’Israël de leur côté pouvaient redouter que la cause palestinienne ne mobilise la parole patriarcale. Rome a donc botté en touche. Le choix d’un étranger vient faire taire les accusations, réelles ou supposées, de népotisme. Ces accusations qui viennent miner la confiance dans les structures de l’Église et blesser inutilement le corps ecclésial.

Ces divergences, Pierbattista Pizzaballa entend les respecter mais aussi les dépasser : “Le Salut “s’incarne” dans la rencontre : à la suite de l’invitation du pape François, je souhaiterais que jaillisse de Jérusalem, de cette Terre Sainte et blessée, pour nous et pour toute l’Église, cette capacité à se rencontrer et à s’accueillir les uns les autres, à construire des routes et des ponts et non des murs : entre nous et le Seigneur, entre les évêques et les prêtres, entre les prêtres et les laïcs, entre nous et nos frères des différentes Églises, entre nous et nos frères et amis juifs et musulmans, entre nous et les pauvres, entre nous et tous ceux qui ont besoin de miséricorde et d’espérance. Alors seulement pourrons-nous répondre pleinement à la vocation unique et universelle de l’Église de Jérusalem, Église des Lieux Saints.”

Si on a dit, ou entendu dire que Pizzaballa avait été choisi pour venir assainir les comptes d’un patriarcat en déficit – ce qui n’est pas faux – il arrive aussi à un moment charnière. Il y a d’ailleurs une singulière similitude avec la nomination, il y a 67 ans, d’un autre ex custode comme patriarche de Jérusalem. C’était en 1949, l’État hébreu avait déclaré son indépendance un an plus tôt.

« Espérance, confiance, courage »

Le Saint Siège, à la mort du patriarche Luigi Barlassina en 1947, ne parachuta pas un prélat italien venu d’on ne sait où. Il choisit un custode qui venait lui aussi d’accomplir 12 ans à la tête de la province franciscaine de Terre Sainte et la connaissait bien.

Bien qu’il n’y ait pas eu d’événement politique aussi majeur dans les différents pays que couvre le diocèse, nous traversons néanmoins une période charnière. Celle de la recomposition de tout le Proche-Orient chrétien. Celle de l’enlisement du conflit israélo-palestinien, de la gangrène de son “regressus” de paix. Les chrétiens sont épuisés d’avoir espéré en vain. Mais parce qu’il est étranger, parce qu’il ne vit pas dans sa chair la blessure des peuples de la région, Pizzaballa veut puiser ailleurs une énergie qui pourrait bien être communicative.

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Ainsi dans une interview au site du patriarcat latin, à la question “Quelles sont les premières paroles que vous aimeriez adresser aux fidèles de la communauté chrétienne latine de Terre Sainte ?” Il répondait ainsi : “Espérance, confiance, courage. Nous voulons regarder vers l’avenir de notre Église avec confiance et espérance, certains que le Seigneur nous soutient et nous accompagne. Nous devons et nous voulons être une Église qui ouvre le dialogue avec tous ceux et tout ce qui, sur cette terre, déchirée par des divisions de toutes sortes, veulent être un petit signe d’unité. (…) L’Église, notre Église, doit prendre une grande respiration, pour voir comment aller de l’avant, toujours voir un “plus” en tout, et témoigner de son appartenance à Jésus.”

A ce jour on ignore combien de temps Rome laissera le diocèse sans patriarche. Mais dans sa fonction le père Pizzaballa peut se préparer à rester quelques années pour accomplir la tâche qui lui a été confiée, et qu’il a exprimée ainsi : “Comme Jean-Baptiste, il nous faut d’abord nous tourner vers le Christ et en le regardant, nous reconnaître comme Église. Alors seulement pourrons-nous devenir ce baume capable de panser les si nombreuses blessures de cette terre et des peuples qui y vivent. Préparer la voie, voilà ce qui nous est demandé. Ouvrir les chemins, les parvis, les libérer de tout ce qui nous empêche de Le rencontrer et de rencontrer l’autre.”


Eléments biographiques

Pierbattista Pizzaballa naît à Cologno al Serio (Bergame – Italie) le 21 avril 1965. Il a reçu l’habit religieux franciscain en 1984 et fait profession temporaire en 1985, puis solennelle en 1989. Ordonné prêtre le 15 septembre 1990, il est transféré en Terre Sainte en octobre de la même année. Après ses études, il est entre officiellement au service de la Custodie de Terre Sainte en 1999. Elu custode de Terre Sainte en 2004, à l’âge de 39 ans, il a quitté sa fonction le 6 juin 2016, le jour de l’entrée solennelle de son successeur, le frère Francesco Patton.

Dernière mise à jour: 10/01/2024 20:28

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