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Venez et Voyez: Beer Sheva, la porte du désert et du pèlerinage

Claire Burkel
29 novembre 2017
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Venez et Voyez: Beer Sheva, la porte du désert et du pèlerinage
Il pleut aussi aux portes du désert ! Et depuis la tourelle aménagée pour les visiteurs, le site se déploie à 360 degrés ©Sarah Murray

C’est l’hiver, direction le sud pour arriver à Beer Sheva, actuelle capitale du Néguev aux 3000 ans d'histoire.


Le pèlerin qui cherche une porte d’entrée à son parcours en Terre Sainte trouvera à Beer Sheva les meilleures raisons d’y faire sa première visite. La capitale du Néguev, est en pleine expansion ; modeste cité turque avant la Seconde Guerre mondiale, elle a vu arriver après les décolonisations une vague d’immigrants du Maghreb, particulièrement Marocains et Tunisiens, qui ont retrouvé là des cultures et un climat qui leur étaient familiers.

Puis un flot de juifs soviétiques, à tel point que nombre de magasins ont leur enseigne en cyrillique ; un tiers des 250 000 habitants aujourd’hui sont d’origine russe. On n’aura aucun mal à s’y loger et restaurer, mais le pèlerin s’intéressera surtout au petit tell situé à quelques kilomètres à l’est, où les archéologues ont mis au jour une bourgade de l’âge du Fer (entre 1 200 et 600 av. J.-C.), située au-dessus du confluent de deux rivières, le nahal Sheva et le nahal Hébron, ces eaux étant sans doute la raison de cet établissement ancien.

Découvert en 1975 durant les fouilles de Tell Sheva, l’autel à cornes est maintenant abrité dans le musée de la ville : 4 cornes qui ornent les 4 angles fidèles aux prescriptions ©Tamarah

 

Passé le guichet d’entrée, on se dirige vers une profonde tranchée pédagogique. C’est l’occasion d’expliquer qu’un tell est une colline artificielle témoin de plusieurs siècles d’occupation humaine. Ce que l’on visite ne peut être que l’état à une époque donnée et l’on a parfois détruit des étages supérieurs pour atteindre un niveau antérieur. L’intérêt d’une tranchée est de visualiser, sans les détruire, les strates empilées les unes sur les autres que les spécialistes datent grâce aux objets, et surtout les poteries, qu’elles renferment.

Siècles endormis

Celles-ci livrent en effet une foule de renseignements selon la couche dans laquelle elles se trouvent, la terre avec laquelle elles ont été fabriquées, le mode de cuisson, les formes et dessins dont elles sont ornées. Un archéologue anglais, Flinders Petrie, a établi un système de datation qui fournit de manière rigoureuse et infaillible l’époque d’une strate de fouilles grâce aux tessons de poteries et céramiques qu’on y découvre.

Après cette vision des siècles endormis sur toute la hauteur du tell, on monte vers le sud en contournant par l’est et l’on arrive au puits profond de 20 m. Son aspect actuel, haute margelle reconstituée et structure de levage en bois, évoque l’activité de tous temps nécessaire. Il se trouve, comme dans toutes les villes de la région, à l’extérieur de la cité, afin de préserver pour les troupeaux l’accès à l’eau. N’imaginons pas l’entrée en ville de tous les nomades avec chèvres et moutons poussiéreux ! La véritable hospitalité est plutôt de laisser disponible en avant des murs la source ou le puits bienfaisants et non de l’accaparer à l’intérieur.

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La direction des parcs archéologiques ayant installé des bancs sous auvent juste devant le puits, rien n’est plus agréable pour faire connaissance ici avec le premier patriarche, Abraham et sa descendance. Le point fixe d’Abraham fut plutôt Hébron, un peu plus au nord, et celui de Jacob les régions d’au-delà du Jourdain. Mais des raisons politiques à partir de David et sa dynastie, ont fixé à Beer Sheva, le point le plus méridional du pays, de nombreuses traditions propres aux patriarches : Gn 22, 19 Abraham résida à Bersabée. On lira avec profit les chapitres 20, 21 et 26 du livre de la Genèse.

Des histoires de rencontres

Histoires qui ne commencent pas toujours sous de bons auspices. Si Abimelek, lorsqu’il vient voir Abraham à Beer Sheva Gn 21, 22-34, se fait accompagner de son général en chef Pikol, c’est qu’il a quelque crainte sur l’issue de l’entrevue. Lisant alors Gn 20, on se remémore que leur première rencontre à Gérar, sur le territoire d’Abimélek, s’était soldée en défaveur du roi, à cause d’une tromperie d’Abraham, elle-même causée par de la peur.

Plutôt lâche notre ancêtre dans la foi ! C’est qu’il a encore du chemin à faire pour marcher en toute droiture sous les étoiles du ciel. Sa vertu principale n’est pas l’impeccabilité, trouverait-on un homme qui… ? mais l’obéissance au Dieu qui lui a parlé ; il se laisse guider, sait réparer ses fautes, réviser ses mauvais jugements. Son fils Isaac répétera la même scène Gn 26, 1-11 et le brave Abimélek saura à quoi s’en tenir avec cette famille !

La photo montre les “tenailles” qui constituent la partie avancée de la porte dans son ensemble et abritaient des guetteurs, voire des soldats prêts à la défense et de l’armement. ©Stanislo Lee/SBF

 

Mais ce sont aussi des histoires d’alliance Gn 21, 32-33 Après qu’ils eurent conclu alliance à Beer Sheva, Abimélek se leva, avec Pikol le chef de son armée, Abraham planta un tamaris à Beer Sheva et il y invoqua le nom du Seigneur Dieu d’éternité. Et de paix Gn 26, 12 Isaac fit des semailles dans ce pays et, cette année-là, il moissonna le centuple. A l’orée d’un pèlerinage c’est le moment de se demander si l’on veut bien faire alliance et avec qui.

Des histoires de portes

Quittant le puits, on pénètre dans une entrée assez large qui comprend une légère chicane vers la gauche puis un passage en double tenaille, formant de part et d’autre quatre alvéoles qui étaient utilisées comme salles de garde. Le bois a disparu, qu’il s’agisse de longues barres mobiles ou de solides vantaux, mais la structure est révélatrice : on n’entre pas dans une cité sans savoir été observé et contrôlé !

C’est l’occasion de lire des histoires de portes, nombreuses dans la Bible, et qui en disent long sur les coutumes antiques. C’est en effet dans ces espaces plus ou moins vastes que se traitaient les affaires, les achats de bestiaux, les successions, les mariages, la justice.

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La confiance du vieux patriarche Jacob doit être éprouvée encore une fois. Il vient d’apprendre que son fils préféré Joseph n’est pas mort et il lui faut quitter le pays où il est établi pour une contrée inconnue Gn 46,1-5 Israël partit avec tout ce qu’il possédait. Arrivé à Bersabée, il offrit des sacrifices au Dieu de son père Isaac et Dieu dit à Israël dans une vision nocturne “Jacob, Jacob !” Et il répondit “Me voici.” Dieu reprit “Je suis El, le Dieu de ton père. N’aie pas peur de descendre en Égypte, car là-bas je ferai de toi une grande nation. C’est moi qui descendrai avec toi en Égypte, c’est moi aussi qui t’en ferai remonter, et Joseph te fermera les yeux.” Jacob partit de Bersabée et les fils d’Israël firent monter leur père Jacob, leurs petits enfants et leurs femmes sur les chariots que Pharaon avait envoyés pour les prendre.” Tout le vocabulaire est comparable au récit de vocation d’Abraham lui-même Gn 12, 1-4 et l’évoquer en ce lieu complète le tableau.

Le puits dans son état actuel : creusé près du lit de la rivière, il est alimenté par les eaux des inondations hivernales. Taillé dans la roche, il mesure 2 m de diamètre et 20 m de profondeur ©Stanislo Lee/SBF

 

Au fil du temps, à l’époque des Juges on voit les deux fils cupides et impies du prêtre Éli opérer à Bersabée. Puis, durant la période royale, Beer Sheva est citée comme ville-frontière et le point d’extension maximale de tout Israël. Détruite par le pharaon Sheshonq en 925 elle redevint une cité prospère aux 9e et 8e siècle mais fut totalement ravagée en 701 par Sennachérib l’Assyrien 2R 18, 13.

On en gardait encore le souvenir à l’époque d’Amos, dans le Royaume israélite du Nord, au milieu du 8e siècle : Am 5, 4 Ne passez pas à Bersabée ! 8, 14 Ceux qui jurent par le péché de Samarie, ceux qui disent “Vive ton Dieu, Dan, et vive le chemin de Bersabée !”, ceux-là tomberont pour ne plus se relever. Car un sanctuaire y avait été élevé, tout comme à Arad, la ville la plus proche à l’est, avant la réforme de Josias, en 622, qui exigera qu’il n’y ait plus qu’un seul lieu d’adoration – à Jérusalem – pour le seul Dieu, le Dieu d’Israël.

Voilà tout le profit d’une bonne halte sur le tell Sheva : un aperçu des méthodes de l’archéologie, un temps de lecture pour se familiariser avec celui qui, le premier, entre en dialogue avec Dieu et nous ouvre les portes du pays, un regard sur des coutumes que l’on retrouvera dans bien d’autres sites, un questionnement sur les notions d’alliance et de justice. τ

Dernière mise à jour: 29/01/2024 16:41

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