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L’énigme du théâtre du Kotel

Marie-Armelle Beaulieu
30 janvier 2018
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L’énigme du théâtre du Kotel
Au cœur du problème Les Dr. Joe Uziel, Tehillah Lieberman et Avi Solomon au cœur de la forme théâtrale. A droite, en haut,de couleur ocre jaune on aperçoit les grosses pierres hérodiennes du mur occidental. Entre le bel arrondi et le mur, les gradins du théâtre.

Les archéologues ont beau avoir levé le rideau sur leurs découvertes, un théâtre romain découvert au pied du mur des Lamentations pose
une série de colles aux scientifiques.


Coup de théâtre, un odéon retrouvé au pied du Mur Occidental”, ainsi titrait le site Internet de Terre Sainte Magazine, terrasanta.net, quand en octobre dernier, après deux ans de fouilles, des archéologues israéliens informaient lors d’une conférence du fruit de leurs travaux.

Leur intention initiale était de poursuivre le projet qui consiste à mettre à jour, sur toute sa longueur et le plus profondément possible, le mur occidental. Ainsi dégagèrent-ils une nouvelle section, large de 15 m et haute de 8, jusque-là ensevelis sous terre. Les pierres apparurent très bien conservées et de grande qualité.

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Mais c’est moins ce nouvel exploit qui les couvrait de gloire que celui d’avoir, à leur grande surprise, découvert les vestiges d’un édifice public romain de forme circulaire. Lors de la conférence de presse, il était présenté pour être un odéon ; on en parle aujourd’hui comme d’un théâtre. Pour le père Dominique-Marie Cabaret, de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (Ebaf), cette distinction n’est pas anodine : “La distinction entre odéon et théâtre n’est pas simple. Le premier odéon était à Athènes et date d’Agrippa (63 av. J.-C. –
12 av. J.-C.). Le principe de l’odéon c’est qu’il est couvert. C’était un bâtiment qui accueillait plutôt des performances lyriques. Le théâtre lui n’a pas de toiture, il est couvert d’un velum. Du point de vue archéologique, on fait souvent la distinction entre les deux en découvrant ou non les éléments d’une toiture.”

Théâtre ou odéon, dans l’optique d’en connaître davantage sur l’histoire de Jérusalem, ce que tout le monde voulait entendre c’était l’hypothèse de datation proposée par J. Uziel responsable des fouilles. Selon lui, le bâtiment aurait été érigé fin Ier ou début du IIe siècle après J.-C. “Du point de vue de la recherche, c’est une découverte sensationnelle, expliquait-il. C’est la première fois qu’un tel bâtiment public romain est mis au jour au pied du mur dans la vieille ville de Jérusalem.”

Dans le communiqué officiel, l’Autorité des Antiquités précisait qu’il n‘était pas possible de déterminer si ce bâtiment était voué à organiser des réunions de l’administration romaine ou servait comme lieu de spectacles.

Joseph Patrich, archéologue israélien lui aussi, émettait des doutes quelques mois avant l’annonce officielle. Il voulait voir dans cet ouvrage une construction hérodienne. Cela s’articulerait davantage avec ses hypothèses s’agissant d’une salle découverte 6 ans plus tôt à 10 m de là, où il voudrait voir un triclinium, la cafétéria en quelque sorte, du conseil municipal de Jérusalem.

Se peut-il qu’Hérode après tous les efforts qu’il a consacrés à l’embellissement du Temple, ait pu construire, aussi près du lieu le plus sacré du judaïsme un lieu de spectacle ? C’eut été une provocation magistrale pour le clergé juif.

Mais le plus étonnant de ce théâtre aux pierres magnifiquement taillées est qu’il n’est pas achevé.

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“Plusieurs modénatures (profils de corniche) et marches d’escaliers, ne sont pas complètement taillées et sculptées, explique le dominicain de l’Ebaf qui a visité plusieurs fois le site pas encore viabilisé. La question qui se pose est de savoir pourquoi.” Uziel estime que la construction de l’odéon aurait probablement été interrompue par la révolte de Bar Kokhba (vers 132-136 ap. J.-C.). Il s’agissait de la seconde insurrection des juifs de la province de Judée contre l’Empire romain. Le religieux français est dubitatif : “Puisque les Romains matèrent cette révolte, qu’est-ce qui les auraient empêchés de poursuivre les travaux. A moins, s’interroge-t-il, qu’ils n’aient pris conscience d’une erreur de calcul architecturale. On voit nettement que les fondations de l’Arche de Wilson qui sert de mur de scène sont atteintes. Les terrassements réalisés pour construire la “forme théâtrale” ont-ils mis en danger à ce point l’arche ? Qu’est-ce qui aurait pu conduire à ne pas reprendre les travaux après la révolte ? Un problème financier ? La mort de l’intégralité de l’équipe des tailleurs au combat ?” frère Dominique-Marie sourit en phosphorant. “Les Israéliens creusaient à ce niveau en cherchant la continuation de la rue du marché visible dans le tunnel. Or le théâtre est construit au-dessus des égouts et sous le niveau de la rue qu’il vient donc interrompre. Cela ajoute au mystère.” Ainsi a-t-on fait la découverte d’un très beau bâtiment incomplet, dont on ne sait pas exactement la fonction, ni précisément la datation, dont on ignore qui l’a commandé et pourquoi il n’est pas achevé. Mystère, vous avez dit mystères ?

Dernière mise à jour: 30/01/2024 14:51

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